Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du 17 octobre 2013 à 9h30
Débat sur la protection des données personnelles

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour reprendre l’expression de notre collègue Gaëtan Gorce, je vais, pour ma part, casser un peu l’ambiance…

Notre débat est, comme l’enfer, pavé de bonnes intentions, mais nos concitoyens du XXIe siècle – y compris les jeunes qui sont dans nos tribunes aujourd'hui - ont abdiqué la protection des données personnelles. Et toutes les CNIL du monde n’y pourront rien, pas plus que le législateur que nous sommes, parce que, volontairement ou non, nous adhérons au système, comme je vais vous le démontrer.

Je voudrais savoir, rejoignant les propos de Gaëtan Gorce, comment les psychiatres et les sociologues analysent notre rapport avec ces petits objets transitionnels, iPod, iPad et autres, que nous tenons en main fiévreusement pour « twitter », « facebooker », échanger rageusement, souvent d’ailleurs des banalités et des séquences de notre vie privée. Comment faisait-on avant ?

Notre accord est si évident pour l’usage d’internet que Twitter et Facebook sont exclus des politiques de protection, par application, sans doute, comme M. Jourdain faisait de la prose, du principe de droit volenti non fit injuria – il n’est pas porté atteinte à celui qui consent.

Mais précisément, à quoi consent-on quand on clique ? Question existentielle dans notre monde dématérialisé, question philosophique, sociale et juridique, aussi, mon cher collègue.

Un petit clic est la porte ouverte à vos données personnelles, vos localisations, vos photos : votre maison apparaît même avec une précision telle que l’on peut lire la plaque d’immatriculation de la voiture qui est garée devant chez vous, qui n’est pas forcément la vôtre, d’ailleurs. Quant au floutage, n’importe quel technicien peut l’enlever.

On abdique le respect de la vie privée, le secret de l’instruction, le droit au respect à une procédure contradictoire ; on renonce à poursuivre les sites et les auteurs grâce à l’usage de l’anonymat. Alors, l’internaute n’a plus que des droits et, dans ce contexte, aucune obligation.

Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose, et en toute impunité, madame le ministre, du fait de l’anonymat et de l’usage de pseudonymes, souvent d’un goût douteux… Nous revoilà dans le débat sur ces sénateurs ringards qui ne comprennent rien et veulent restreindre la liberté d’expression !

Oui, nous avons abdiqué, mais je persiste. Je milite, vous le savez, pour que l’adresse IP – Internet Protocol – ne soit pas une donnée personnelle, afin qu’il soit plus facile de poursuivre les personnes qui diffament sur le net. Je suis vraiment désolée de rester la seule de mon espèce à vouloir défendre ce principe, mais je considère que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres !

Mais, voyez-vous, la vague est trop forte, trop haute, et les plus courageux renoncent à se battre, sachant qu’ils n’obtiendront pas gain de cause, même si la cause est juste et légitime.

Il reste le droit à l’oubli sur internet, qui a été brièvement évoqué. La question interpelle. À cet égard, il faut mentionner la nouvelle législation qui entrera en vigueur en Californie au mois de janvier 2015 ; elle est intéressante, puisqu’elle donnera aux mineurs le droit d’effacer de manière permanente, sur simple demande, leurs erreurs de jeunesse en ligne. Les commentaires embarrassants ou vulgaires, les vidéos et les photos compromettantes pourront ainsi disparaître sans laisser de traces, et les sites seront tenus d’offrir aux usagers le moyen de le faire.

Internet et vie privée, c’est évidemment un sujet extrêmement important ; l’adaptation de notre droit de la presse à ces nouveaux médias aussi.

Pour conclure, mon temps de parole touchant à sa fin, je dirai simplement que la technique l’emportera sur le droit. Nous serons évidemment comme dans la lutte entre l’obus et le blindage : le temps de concevoir le blindage, l’obus sera plus performant encore.

Dans un contexte postérieur au 11-Septembre, où même quand le terrorisme ne fait pas rage, le ressenti, la peur du terrorisme est telle dans nos civilisations que tous se méfient de tous, où nous avons besoin de transmettre des données personnelles dans les avions, où nous avons augmenté les capacités des forces de police et de gendarmerie sur les écoutes et le stockage des données, je doute vraiment que nos débats, encore une fois, pavés de bonnes intentions débouchent sur un résultat. La France se situera une nouvelle fois au niveau des principes, mais ne pourra ni les faire partager ni les appliquer techniquement.

Pour le coup, ces principes valent la peine d’être défendus, même si c’est, selon moi, peine perdue !

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