Le verdict est sévère. À vrai dire, il rejoint toute une littérature foisonnante sur le sujet depuis de nombreuses années, que ce soit le rapport de la mission d’information du Sénat sur le médicament que j’ai conduite en 2006, celui de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, sur le Mediator ou encore celui de la Cour des comptes sur la sécurité sociale en 2011.
Madame la ministre, vous me répondrez que les choses évoluent. C’est sans doute vrai. Après le scandale du Mediator, nous avons adopté au mois de décembre 2011 la loi Bertrand qui renforce le contrôle du médicament et des produits de santé et instaure la transparence. Vous poursuivez d’ailleurs cette démarche en prenant les nombreux décrets prévus par cette loi.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les améliorations apportées par cette loi sont-elles suffisantes ? Nous souhaitons, avec ce débat, faire un point sur un sujet, qui devient de plus en plus sensible aux yeux de l’opinion publique. L’affaire du Mediator et celles qui ont suivi – prothèses poly-implant, ou PIP, prothèses de hanches, anticoagulants oraux, etc. – ont gravement altéré la confiance de nos concitoyens dans le système de gestion et d’évaluation du médicament dans notre pays. Beaucoup de patients se demandent aujourd’hui à qui faire confiance. Cette attitude peut aussi, à l’inverse, être une source grave de complications par l’arrêt intempestif des traitements indispensables.
La médiatisation très large de faits établis ou supposés, soit par Internet, soit par des publications péremptoires par quelques porteurs d’opinion non dénués d’arrière-pensées, laisse le patient inquiet, dubitatif sur les risques encourus. Le vieil adage, primum non nocere, retrouve une nouvelle jeunesse, en laissant de côté l’immense progrès qu’a connu la pharmacopée au cours du siècle dernier.
Aujourd’hui, il semble de bon ton et très porteur de critiquer tour à tour les industriels du médicament qui ne viseraient que le profit financier, les agences sanitaires incompétentes, les médecins ignorants ou corrompus, le patient lui-même trop avide de consommation. Pis, certains remettent en cause, quelquefois d’une manière sournoise, des pratiques dont les bienfaits ont été largement démontrés.
Ainsi, à travers le monde, nous avons toujours un lobby anti-vaccinations extrêmement puissant. Vous connaissez la dernière hypothèse de ses tenants, contre laquelle je m’insurge peut-être plus que d’autres, étant élu de Dole, la ville natale de Pasteur, cet homme non médecin qui a pris, le 4 juillet 1885, la décision de traiter en urgence Joseph Meister. N’est-il pas curieux, voire malsain, d’entendre avancer l’hypothèse, 130 ans après, que le chien qui a mordu Joseph n’était peut-être pas porteur de la rage ? Il s’agit d’un exemple, mais il en existe bien d’autres.
En marge du médicament mais cela relève aussi du domaine de la santé publique, tout ce qui touche le mieux-être – cosmétologie, chirurgie esthétique, produits diététiques – est devenu un enjeu formidable au regard des marchés que cela représente, laissant le charlatanisme prendre le plus souvent le pas sur la sécurité du client.
Je n’oublie pas non plus les thérapies déviationnistes asservissant l’individu, comme l’a souligné le rapport de Jacques Mézard sur les dérives sectaires.
Face à tout cela, il faut d’abord être sans pitié, sans excuse pour les fraudeurs, les usurpateurs, les « sans éthique », qui portent, par ailleurs, un préjudice considérable à tous les acteurs de la filière de soins. La justice doit les sanctionner rapidement.
Face à tout cela, il faut ensuite que les autorités sanitaires fassent preuve de réactivité. Elles doivent lever rapidement le doute. Par exemple, au sujet des vaccins, elles doivent confirmer le rôle nocif ou non des sels d’alumine.
Or force est d’admettre que cette réactivité fait souvent défaut. Nos autorités tardent à énoncer le bon usage, à démentir ou à interdire si nécessaire. Pendant ce temps, les esprits sont formatés aux dires des plus bruyants. J’en veux pour preuve un certain nombre de dossiers récents qui ne manquent pas d’interpeller le public et les praticiens.
Je prendrai pour premier exemple le traitement du diabète de type 2. Le journal Prescrire énonce au mois de septembre 2012 : « Pas de place pour les gliptines ». C’est clair, péremptoire : fermez le ban.
Quatre mois après, en janvier 2013, la Haute Autorité de santé, la HAS, et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, publient les recommandations de bonnes pratiques pour cette pathologie. Au fil de ses vingt-cinq pages, ce document ne répertorie pas moins de cinquante et une recommandations pour conduire le traitement. Pourtant, pas un mot n’est dit sur l’éventuelle dangerosité des fameuses gliptines. Le médecin reste perplexe, se rappelant simplement qu’il y a quelques années, en 2008, un médicament fort répandu, l’Acomplia, devait être retiré du marché en raison des accidents observés. Au surplus, ce document émanant de nos agences ne comporte aucune donnée sur le coût du traitement. Je rappelle que cette pathologie concerne au bas mot 2, 5 millions de patients dans notre pays et que l’incidence financière n’est évidemment pas négligeable.
Un autre exemple, encore plus récent, concerne les patients en fibrillation auriculaire sous traitement anticoagulant.
La HAS nous dit, en juillet 2013, que « la prescription des anticoagulants oraux non AVK ne doit pas être privilégiée par rapport à celle des AVK ». Cependant, la commission de la transparence a rendu en février un avis favorable pour le remboursement à 65 % de ce médicament, tout en concluant à l’absence d’amélioration du service rendu – classe V.
Le 20 septembre, Le Nouvel Observateur santé titrait « Alerte sur le Pradaxa », relayé bientôt par toutes les radios et toute la presse écrite. Disons-le, ce n’est pas le seul médicament dans le collimateur : dans un communiqué particulièrement alarmiste, le syndicat des jeunes biologistes médicaux pointait du doigt tous les anticoagulants oraux, n’hésitant pas à les qualifier de « bombe à retardement » et à évoquer le risque d’un prochain scandale de même ampleur que celui du Mediator. Depuis, des plaintes en justice ont été déposées. Que doivent penser les milliers de patients sous traitement par ACO ?
Si l’on peut considérer que le volet bénéfices-risques doit être prioritaire, on peut aussi avoir un regard sur les dépenses de l’assurance maladie, avec là aussi un exemple d’actualité malheureusement parlant. Il s’agit du traitement de la DMLA humide, pour laquelle seule la molécule ranibizumab – le Lucentis – est autorisée pour un coût mensuel de 895, 57 euros, alors que de nombreux pays, les États-Unis en particulier, et certains services hautement qualifiés en France observent les mêmes résultats en utilisant le bevacizumab – l’Avastin – pour un coût vingt fois moindre de 45 euros mensuel. À raison de 300 000 patients traités, c’est 600 millions d’euros d’économies possibles ! Il serait peut-être utile de se pencher sur le bien-fondé de l’interdiction de l’Avastin.
Je pourrais aussi évoquer la polémique qui fait rage sur les statines. Après son Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, que je ne cautionne nullement, le professeur Even a publié le 18 février dernier La vérité sur le cholestérol. Quelques jours plus tard, dix sociétés savantes ou organismes divers contredisaient les théories avancées, notamment le collège national de cardiologie, le collège des cardiologues des hôpitaux ou encore la société française de cardiologie. Ces associations, que l’on aurait pu croire respectables, ont vite été « habillées pour l’hiver » par le professeur Even, qui pointe le « désintérêt de la plupart des cardiologues français occupés ailleurs, convaincus d’avance au berceau de leurs pères et grands-pères des risques du cholestérol et dont les convictions reposent sur un consensus ancien et mou diffusé comme une berceuse par l’industrie pharmaceutique en tribunes et congrès que les firmes organisent et financent devant des auditoires qu’elle transporte par charters entiers, loge et finance également ».
Mettons-nous un instant à la place de ces milliers de patients qui prennent chaque jour leur comprimé de statine ; il y a de quoi être perdu ! Et pendant ce temps, les autorités sanitaires restent on ne peut plus discrètes sur ce dilemme.
Passons sur le problème des pilules de troisième et quatrième génération, pour dire un mot sur un sujet qui concerne aussi la santé de nos concitoyens, les coupe-faim.