Même si je note avec satisfaction le refus d’autorisation par la Commission européenne, le 1er octobre dernier, de l’association topiramate plus phentermine – le Qsiva –, comment ne pas intervenir devant les torrents de publicité sur le net du Phen375 ? Si elle peut effectivement faire perdre du poids, cette amphétamine n’en conduit pas moins à de graves troubles du comportement, comme toutes les amphétamines d’ailleurs.
Ne vous méprenez pas, en citant ces exemples, je ne mets pas en cause la qualité du travail des directions et des personnels des autorités sanitaires, qui ont accompli des efforts importants et positifs, notamment en matière de transparence des décisions. Je m’interroge plutôt sur la multiplicité, l’absence de cohérence et le chevauchement des objectifs de ces autorités, qui s’appuient sur de nombreuses directions, commissions et groupes de travail dont la nature profondément différente peut être source de cloisonnements et parfois de rivalités.
La loi de 2011 a créé une nouvelle agence, l’ANSM, chargée de la sécurité des produits de santé pour succéder à l’AFSSAPS. Il ne s’agit pas là d’un simple changement de nom, car cette structure s’est vu confier de nouvelles missions pour mieux surveiller et mieux informer. Reste que, personnellement, je regrette que nous n’ayons pas été plus loin, en remettant radicalement en cause l’architecture de l’ensemble des organismes intervenant sur le médicament. Permettez-moi de les passer rapidement en revue.
Il y a d’abord l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, établissement public placé sous la tutelle de votre ministère, madame Touraine, et chargé de garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie, depuis les essais initiaux jusqu’à la surveillance après autorisation de mise sur le marché. Quand ce n’est pas l’European Medicines Agency, l’EMEA, c’est elle qui délivre les autorisations de mise sur le marché des médicaments en se fondant sur le rapport bénéfices-risques ainsi que sur les autorisations temporaires d’utilisation, ou ATU. C’est aussi sur elle que repose toute la pharmacovigilance, organisée comme une longue chaîne, du niveau régional au niveau national.
Il y a ensuite la Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante qui évalue les médicaments en vue de leur remboursement par l’assurance maladie – notamment au vu de leur service médical rendu, ou SMR, qui prend en compte la gravité de la pathologie, l’efficacité et les effets indésirables du médicament – et qui détermine la place du médicament dans la stratégie thérapeutique ainsi que l’amélioration du service médical rendu qu’il est susceptible d’apporter par rapport aux traitements déjà disponibles. C’est là le rôle de la commission de la transparence et de son pendant pour les dispositifs médicaux. Elle est aussi chargée du bon usage du médicament et, depuis 2008, de l’évaluation médico-économique des stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes.
Il y a en outre le Comité économique des produits de santé, instance interministérielle placée sous l’autorité conjointe du ministre de la santé et du ministre de l’économie, qui négocie le prix du médicament avec les industriels. Si le CEPS tient compte du classement de la HAS, il tient compte aussi des données économiques et des « orientations » que les ministères lui suggèrent, qui tendent souvent à privilégier les laboratoires français et les laboratoires étrangers installés et fabriquant en France, et donc créateurs d’emplois. La lettre récente adressée au président du CEPS est assez claire à ce sujet et ajoute aux missions du comité un objectif de maîtrise des dépenses de santé – il faut lire cette lettre dans le détail pour s’apercevoir qu’elle est pleine de sous-entendus.
Il y a enfin l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, qui décide du taux de remboursement à appliquer au médicament en se fondant sur l’estimation du service médical rendu de la HAS, mais pas obligatoirement, étant entendu que c’est vous, madame la ministre, qui décidez in fine.
Je ne voudrais pas stigmatiser ce système, comme le fit Jean-Paul Escande en 1998, en déplorant « la place prise par des statisticiens, des technocrates et des industriels, qui, même lorsqu’ils sont docteurs en médecine, ne s’assoient jamais au chevet d’un malade et décident, cependant, de l’avenir de la médecine et de la santé publique ». Néanmoins, je considère que sa complexité entraîne une dilution des responsabilités et favorise une réaction tardive et peu lisible aux alertes et aux interpellations, qui peuvent alors faire leur chemin, pilotées, encouragées et exploitées par certains.
Le rapport sur la réorganisation des vigilances sanitaires, que l’ancien directeur général de la santé, Jean-Yves Grall, vous a remis le 11 septembre dernier, critique lui aussi un système de surveillance sanitaire « construit par strates successives », « sans cohérence globale », « [inadapté] à la déclaration des citoyens et des professionnels de santé ». Pour ma part, je persiste à croire, comme je l’ai soutenu dès 2006, que le regroupement sous une seule autorité de tout le parcours des médicaments et des produits de santé aurait été gage d’une meilleure efficacité sur le plan sanitaire et d’une meilleure gestion des finances publiques.
La HAS devrait être recentrée sur la mission stratégique globale pour laquelle elle a été conçue et qui vise à élaborer, inspirer, susciter et conduire, ou au moins guider et réguler, l’exercice pratique de la médecine, l’organisation des soins et les actions collectives de santé publique et de prévention, sans s’occuper de l’évaluation de l’efficacité et de la sécurité des médicaments et dispositifs médicaux. Dès lors, les commissions dites de transparence et des dispositifs médicaux doivent quitter la HAS et rejoindre l’Agence nationale de sécurité du médicament, en charge de l’évaluation et de la surveillance du médicament. Quoi qu’il en soit, je ne nie pas les bonnes intentions et les avancées.
Le 25 septembre, la HAS a présenté son projet stratégique pour 2013-2016. Nous avons là l’inévitable feuille de route, ce paradigme, ce modèle à la mode dans beaucoup de ministères. Qui n’a pas son road book aujourd’hui ?