Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 17 octobre 2013 à 15h00
Débat sur le marché du médicament et des produits de santé

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le groupe du RDSE d'avoir pris l'initiative de ce débat. Après les discussions que nous avons eues à la suite de la mission d'information sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, après le rapport rendu par notre collègue Yves Daudigny sur les médicaments génériques, il me semble très intéressant que cette thématique puisse trouver un nouvel écho dans notre assemblée.

Le choix des mots est très important, et je crois que nous pouvons véritablement parler d’un « marché » du médicament, un marché juteux qui explique la concurrence que se mènent entre eux les laboratoires pharmaceutiques, certes pour permettre à nos concitoyens de se soigner, mais aussi, parfois, il faut bien le reconnaître, pour pousser à une certaine surconsommation. C'est d'ailleurs ce que vient tout récemment de dénoncer le docteur Véronique Vasseur, médecin-chef à l'hôpital Saint-Antoine. Elle propose notamment de déconditionner les médicaments en expliquant que cinq milliards de médicaments sont jetés chaque année, dont quatre ont été remboursés par la sécurité sociale.

Comme l’a dit notre collègue Gilbert Barbier, un rapport vient de vous être remis, madame la ministre, par les professeurs Costagliola et Bégaud, pharmacologues et épidémiologistes, sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament. Les pistes qu’ils proposent sont intéressantes et montrent la nécessité de mieux encadrer les pratiques en amont, plutôt que de rechercher, par la suite, des économies à faire, en développant les déremboursements par exemple. En effet, ces derniers ont des effets extrêmement négatifs sur nos concitoyens en les éloignant considérablement des soins.

Quelques chiffres nous permettent de bien mesurer l’intérêt économique de ce marché pour les actionnaires des grandes firmes pharmaceutiques.

En 2012, le marché mondial du médicament était évalué à environ 856 milliards de dollars de chiffre d’affaires, contre moins de 200 milliards de dollars en 1990. La France était, en 2012, le deuxième marché européen derrière l’Allemagne.

Sanofi, leader français, réalise des milliards de bénéfices tout en sacrifiant des milliers d’emplois. Comment pouvons-nous tolérer plus longtemps ce type de pratiques, qui sacrifie l’humain sur l’autel du profit de quelques-uns ? C’est une vue à très court terme, tant pour les salariés concernés que pour la situation de l’emploi industriel en France et celle de la recherche. Vous le savez, madame la ministre, notre groupe est totalement disponible pour qu’ensemble, à gauche, nous votions une loi interdisant les licenciements dits boursiers.

Les critères de rentabilité financière étant déterminants pour les actionnaires, cet objectif conduit également à des dérives majeures en termes d'information thérapeutique. Les scandales sanitaires sont liés avant tout à cette recherche obsessionnelle de la rentabilité financière. Aussi sommes-nous partisans d'une plus grande transparence, notamment concernant la fixation des prix des médicaments.

Parallèlement, il est urgent d'affirmer le besoin d'une production nationale publique, de travailler sur le financement d'une autre politique du médicament et de mettre en place une véritable démocratie sanitaire dont nous sommes encore loin.

La financiarisation doit laisser la place au développement de la recherche, à la production et à la distribution de médicaments et vaccins. Pourquoi est-on toujours aussi timoré quant au développement de la recherche théorique et clinique ? Pourquoi est-il si difficile de dégager des moyens humains et financiers dans un domaine aussi vital pour l'avenir de l'humanité ? D'un côté, on a des milliards d'euros pour une poignée d'individus et, de l'autre, des crédits en peau de chagrin pour des chercheurs qui voient leurs travaux minorés et, par conséquent, les progrès de la connaissance ralentis ou entravés.

Ces affirmations ne sont pas dues à un dogmatisme étroit mais à une analyse approfondie du système dans lequel nous vivons et nourrie d'expériences de terrain. Pour une part, c’est le sens de notre proposition de création d'un pôle public du médicament qui reconnaît sa finalité de service public et le détache de la sphère financière ; un service public de la recherche et du médicament, afin de faire de celui-ci, à terme, un bien commun universel ! Recherche, production, distribution du médicament doivent répondre aux besoins de santé publique nationaux et mondiaux. La puissance publique doit reprendre l'initiative et le contrôle face à cet enjeu stratégique.

J’en viens plus spécifiquement à la question que je souhaitais vous poser, madame la ministre. Je ne doute pas, mes chers collègues, que vous vous souvenez, tout comme moi, du long parcours législatif du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire de médicament et des produits de santé, examiné à l’automne 2011. Nous avions alors été nombreuses et nombreux à adopter un amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 17, notamment défendu par ma collègue Isabelle Pasquet, pour rétablir le principe de responsabilité sans faute pour risque de développement des fabricants de médicaments.

En effet, à l’occasion de la transposition par la France de la directive 85/374/CEE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, le gouvernement de l’époque avait décidé de transposer en droit interne une disposition de cette directive dont la transposition était optionnelle, c’est-à-dire laissée à la libre appréciation des gouvernements. C’est ainsi qu’a été transposée en droit français l’exonération de responsabilité sans faute pour risque de développement. Si l’exploitant démontre qu’il était, compte tenu des données acquises de la science, dans l’impossibilité de déceler le défaut du médicament, ou même ses effets néfastes, aucune responsabilité ne peut lui être imputée. La victime aura beau établir l’existence d’un dommage, ainsi que celle d’un lien de causalité entre ce dommage et le médicament, l’exploitant ne verra jamais sa responsabilité engagée. La victime ne sera donc pas indemnisée.

Très logiquement, les exploitants s’abritent derrière cette disposition. Pourtant, la France n’était pas obligée de transposer cette partie de la directive. Ce qui a été fait peut donc être défait aujourd'hui, car les conséquences de cette transposition sont importantes pour les victimes, particulièrement quand les dommages sont survenus entre 1998 et 2001. En effet, l’arrêt rendu en 2007 par la Cour de cassation précise qu’un laboratoire ne peut faire valoir le risque de développement qu’à compter de 1998, année où la France a ratifié la directive.

Or l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ne peut intervenir dans le processus d’indemnisation que pour les préjudices survenus à partir de 2001. Il résulte de cette situation que les victimes des années 1998 à 2001 sont contraintes, pour obtenir réparation, de faire la démonstration que le fabricant a commis une faute qu’il ne pouvait ignorer et que l’exploitant a sciemment commercialisé un médicament qu’il savait nocif. Cette condition étant quasiment impossible à remplir, voilà pourquoi le Sénat avait adopté l’amendement sur la responsabilité sans faute. C’est lors de la deuxième lecture que l’Assemblée nationale, alors majoritairement à droite, a supprimé cette disposition.

Les nombreux scandales sanitaires avérés tels que le Distilbène, le Mediator, les pilules de troisième et de quatrième génération, ou ceux qui pourraient émerger – je pense au DT-Polio avec la présence de sels d’aluminium comme adjuvants –, ne peuvent que nous inciter à renforcer la responsabilité du fabricant ou du distributeur-importateur du médicament et, parallèlement, à renforcer les droits des patients.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quelles actions comptez-vous engager pour que soit inscrit dans notre loi le principe de responsabilité sans faute pour risque de développement des fabricants de médicaments ? Comme je l’ai souligné, la gauche était favorable à cette mesure en 2011. Pour ma part, j’ai le sentiment qu’elle provoquerait une réflexion utile à l’échelon non seulement national, mais également communautaire.

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