Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 17 octobre 2013 à 15h00
Débat sur le marché du médicament et des produits de santé

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier le groupe du RDSE d’avoir proposé un débat en séance publique sur le thème des médicaments et des produits de santé. Un tel débat est particulièrement opportun, d’une part, parce que nous aurons dans quelques semaines à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, d’autre part, parce que le marché du médicament connaît des évolutions que j’espère structurelles.

Je commencerai par citer quelques chiffres. La consommation totale de médicaments – 34, 3 milliards d’euros, soit 19 % de l’ensemble statistique appelé « consommation de soins et de biens médicaux » – représente 525 euros par habitant et par an.

Surtout, pour la première fois depuis cinquante ans, la valeur des ventes en pharmacies de médicaments remboursables a reculé en France en 2012. Ce recul historique résulte de plusieurs facteurs convergents : nouvelles diminutions de prix, élargissement du répertoire des génériques, généralisation du dispositif « tiers payant contre génériques », moindre progression des volumes.

Pour autant, la France part d’une situation ancienne où tant le volume de médicaments consommés que leur prix sont relativement élevés par rapport aux autres pays. La dépense française de produits pharmaceutiques, calculée en parité de pouvoir d’achat pour améliorer la qualité des comparaisons, se situe désormais au sixième rang mondial, derrière les États-Unis ou le Canada, au même niveau que le Japon, l’Allemagne ou la Belgique, mais à un niveau encore sensiblement supérieur à la moyenne de l’OCDE et au résultat de plusieurs pays du nord de l’Europe.

Au-delà des seuls médicaments, les dépenses de santé liées à ce que la comptabilité nationale appelle les « autres biens médicaux » représentaient 12, 8 milliards d’euros en 2012. Ce poste de dépenses est très dynamique ; il progresse en moyenne de 5 % par an depuis 2010, soit nettement plus que les autres dépenses de santé.

Je concentrerai mon propos sur les médicaments, mais nous devons, madame la ministre, rester attentifs à l’évolution des dépenses liées aux dispositifs médicaux, que ce soit en optique, mais aussi pour les petits matériels ou les pansements, qui représentent aujourd’hui des dépenses dynamiques et élevées.

Bien des choses ont été dites et écrites sur le médicament ; j’ai moi-même récemment déposé, au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, un rapport relatif aux médicaments génériques – je vous remercie de l’avoir mentionné, madame Cohen.

Les Français consomment beaucoup de médicaments, toutes les études vont dans ce sens, même si cette assertion globale mériterait d’être affinée par âge ou par classe thérapeutique. Je citerai un exemple : les personnes âgées de soixante-quinze ans ou plus consomment, en moyenne, sept molécules médicamenteuses différentes de manière régulière, ce qui représente un poste de dépenses de 940 euros par an. Qui n’a pas été effaré, un jour, de constater que ses parents ou grands-parents devaient prendre une dizaine de médicaments par jour, la plupart servant à contrecarrer les effets secondaires des premiers ? Nous avons donc d’abord un problème de comportement de la part non seulement des prescripteurs, mais aussi des patients.

Les médicaments sont indispensables, vitaux même dans certaines situations, mais ce ne sont pas des produits anodins : ils présentent, par définition, des bénéfices et des risques. Nous devons donc, au nom de la santé publique, avant même d’envisager les conséquences en termes financiers, améliorer leur « bon usage ». C’est pourquoi j’ai proposé que les pouvoirs publics lancent de grandes campagnes de communication pour modifier les comportements. Une consultation médicale ne débouche pas nécessairement sur une ordonnance, comme cela a déjà été souligné : voilà le message simple que nous devons diffuser largement ! C’est certes un investissement, mais nous pouvons en espérer de grands progrès. Les campagnes que l’assurance maladie avait réalisées sur les antibiotiques ont eu un effet réel sur la consommation, mais on constate que, depuis leur arrêt, les statistiques ne sont plus aussi satisfaisantes.

En même temps que la sensibilisation des patients, nous devons aussi agir à la source, dès la prescription. L’assurance maladie a introduit dans la convention médicale quelques éléments pour améliorer les prescriptions, mais ils restent timides et ne peuvent avoir d’effets que sur le moyen terme.

Il s’agit non seulement de moins prescrire, je l’ai dit à l’instant, mais aussi de mieux prescrire. En France, les médecins ont tendance à prescrire des médicaments princeps et ont une nette appétence pour la nouveauté. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène culturel : la faiblesse de la place du médicament dans les études médicales et, surtout, les stratégies menées par les laboratoires, notamment la visite médicale, qui oriente clairement la prescription vers des médicaments nouveaux et onéreux. De ce fait, les médicaments génériques, qui sont, il faut le répéter et insister, « des médicaments comme les autres » pour reprendre le titre du rapport récent de la MECSS, sont encore trop peu développés en France. Leur part a certes nettement progressé, mais elle ne représente que 26 % du volume des médicaments remboursables et 14 % de leur valeur.

Même si les comparaisons internationales doivent être analysées avec circonspection en raison des champs d’étude parfois différents, elles montrent toutes que nous avons une marge de progression importante par rapport à la plupart des pays occidentaux.

Les statines constituent un cas d’école pour analyser le marché français du médicament ; je le sais d’autant mieux que j’en consomme ! Alors que les différentes études de la Caisse nationale d’assurance maladie ou de la Haute Autorité de santé démontrent qu’il n’existe aucune différence significative entre l’ensemble des molécules, la seule qui ne soit pas génériquée représente 30 % du marché français, contre 4 % au Royaume-Uni et même 0, 5 % en Allemagne. Les patients français sont-ils si différents de leurs homologues allemands ou anglais ? Les résultats thérapeutiques sont-ils meilleurs en France ? Je ne le crois pas. Toujours est-il que le coût moyen journalier des traitements par statine est deux fois plus élevé en France que dans les autres pays, sans qu’une valeur ajoutée particulière soit mesurable dans les statistiques sanitaires.

Nous touchons là du doigt ce que j’ai appelé dans mon rapport pour la MECSS un « péché originel »... À défaut de vouloir imposer aux médecins de prescrire directement en dénomination commune internationale, ou DCI, la France a choisi de favoriser le développement des génériques par substitution au moment de la délivrance par le pharmacien. Cette politique a certes fonctionné, mais elle ne peut, au fond, que miner la confiance des patients dans ces médicaments.

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