Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je remercie à mon tour le groupe du RDSE d’avoir permis ce débat sur un sujet très important en matière de santé publique.
Savez-vous qu'aux États-Unis et en Europe les résultats de plus de la moitié des essais cliniques ne sont jamais publiés ?
Dans une étude de 2005, une équipe lyonnaise a analysé 976 projets de recherche dont les protocoles avaient été approuvés en France en 1994 par les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale. Le protocole était le plus souvent – dans 68 % des cas – un projet de recherche évaluant un médicament.
Au total, selon les investigateurs, six à huit ans après leur approbation par un comité de protection des personnes, 62 % des recherches achevées n'avaient fait l'objet d'aucune publication. Sur ces 62 % de recherches non publiées, il est préoccupant de constater, avec un recul de six à huit ans, qu'une étude avait eu 4, 6 fois plus de chances d'être publiée lorsque ses résultats venaient confirmer son hypothèse principale. Il existe donc bien une publication sélective des seuls résultats favorables aux médicaments, qui biaise les analyses scientifiques et les décisions des autorités sanitaires, au détriment de la santé des personnes et de la pérennité des systèmes de protection sociale.
Au nom du secret commercial, les firmes s'arrogent trop souvent le droit de ne pas publier certains résultats. Et les autorités publiques et sanitaires, dans la situation actuelle, ne les contraignent pas à rendre publiquement accessibles ces données obtenues lors des essais cliniques ! Les firmes pharmaceutiques peuvent ainsi sélectionner les éléments qu'elles veulent voir publier. Il a même été démontré que certaines firmes pharmaceutiques multipliaient à l'inverse la publication d'études favorables. On connaît d’ailleurs ces études, écrites par des auteurs fantômes, qui font partie de plans de publication mûrement réfléchis, essentiels à la promotion commerciale des nouveaux médicaments.
Dans le modèle d'affaires actuel, les firmes pharmaceutiques ne consacrent donc pas la majeure partie de leurs ressources au développement et à la production des médicaments mais à une véritable gestion de la recherche grâce à trois types de stratégie cumulés : la multiplication de la publication d'études favorables à un médicament, la rétention d'informations pouvant nuire aux ventes et parfois l'intimidation, voire la neutralisation de chercheurs indépendants.
Si l'évaluation des médicaments avant leur mise sur le marché fait l'objet de critiques de plus en plus nombreuses, c'est également parce que des biais faussent souvent les méthodes d'évaluation. Les praticiens sont par exemple nombreux à constater que les traitements sont souvent moins efficaces et moins bien tolérés chez leurs patients que dans certaines publications d'essais cliniques. Cela est notamment lié au fait que les essais cliniques ont été réalisés dans des conditions qui ne reflètent guère la réalité, avec des patients sélectionnés en nombre limité et non représentatifs des patients réels, pour différentes raisons.
On constate aussi, de plus en plus régulièrement, une absence de comparaison avec les autres options thérapeutiques. Trop d'autorisations de mises sur le marché résultent ainsi des seuls essais cliniques réalisés en comparaison avec des placébos et non avec les traitements de référence. Ces essais sont contraires à l'éthique quand un traitement de référence existe, et ils ne permettent pas aux soignants et aux patients de faire un choix éclairé parmi les options disponibles.
Enfin, l'accès du public aux données cliniques n'est toujours pas garanti. Or la réalisation d'analyses contradictoires indépendantes du promoteur de l'essai dépend de la mise à disposition des données cliniques obtenues lors des essais sous une forme suffisamment détaillée. Trop souvent pourtant, les firmes pharmaceutiques et les agences s'opposent à l'accès des chercheurs et du public à ces données sous divers prétextes : les données seraient « commercialement confidentielles », il faudrait protéger les données personnelles des participants ou se prémunir des risques de « mauvaise interprétation », etc.
Au total, je suis convaincue qu'une recherche plus indépendante et davantage libérée des contraintes commerciales est nécessaire afin de faire progresser la médecine.
Un nouveau règlement européen sur les essais cliniques a justement été proposé par la Commission européenne en juillet 2012 et devrait être voté par le Parlement européen en séance plénière aux alentours de mars 2014.
Alors que la Commission européenne proposait d’affaiblir la protection des personnes en visant avant tout à « renforcer l’attractivité de l’Union européenne en matière de recherche clinique », les eurodéputés de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire ont adopté un rapport contenant plus de 290 amendements, dont plusieurs vont dans le sens d’un renforcement des exigences de transparence en matière de résultats des essais cliniques.
Si les améliorations apportées par cette commission du Parlement européen sont maintenues lors du vote en séance plénière, le nouveau règlement pourrait constituer un progrès en termes d’accès aux résultats des essais cliniques et contribuerait à la transformation du modèle actuel de recherche et de développement des firmes pharmaceutiques, qui est à bout de souffle, en un nouveau modèle permettant de mieux répondre aux besoins réels de santé publique. Comme le montre le débat, c’est bien ce que nous attendons tous !
À l’heure où le mot « transparence » est souvent employé, force est de constater que les agences de santé, les firmes pharmaceutiques ainsi que leurs relais ne la pratiquent guère. C’est donc dès maintenant et par-delà les frontières des États membres et de nos groupes politiques respectifs que nous devons œuvrer à introduire plus de transparence.
Madame la ministre, j’espère que la France défendra plus de transparence en matière de résultats des essais cliniques, notamment ceux qui sont conduits en France ou par des firmes présentes sur le territoire national.