Intervention de Philippe Leroy

Réunion du 17 octobre 2013 à 15h00
Débat sur le marché du médicament et des produits de santé

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de mon collègue Alain Milon, qui souhaitait intervenir cet après-midi dans ce débat, dont je salue à mon tour la qualité. Une partie de mon discours reflétera donc sa position.

La réglementation du marché des médicaments constitue un enjeu crucial pour la sécurité sanitaire de nos concitoyens. Les Français sont en effet de gros consommateurs de médicaments et, comme l’a rappelé notre collègue Daudigny, ils dépensent en moyenne tous les ans environ 500 euros en produits de santé.

Le secteur pharmaceutique français revêt également une grande importance sur le plan économique : les entreprises du médicament emploient directement 100 000 personnes et représentent 4, 8 % du marché mondial du médicament. Plutôt que de pointer du doigt ce secteur d’excellence tant dans le domaine économique que scientifique, mieux vaudrait associer tous les professionnels de santé aux enjeux de la sécurité sanitaire, mais sans concession.

En 2011, le drame du Mediator a illustré les carences de notre système de contrôle des produits de santé, ce qui nous a conduits à renforcer notre arsenal législatif. À cet égard, la loi du 29 décembre 2011, dite « loi Bertrand », a introduit des changements majeurs pour améliorer la surveillance des médicaments sur le marché et elle a permis à la France de rattraper une partie de son retard en la matière. Le texte s’articule autour de trois exigences : lutter contre les conflits d’intérêts entre les acteurs de santé, améliorer le paysage institutionnel du système de sécurité du médicament et consolider les mécanismes de contrôle.

La quasi-totalité des décrets d’application ont été pris par le Gouvernement. Il nous est donc possible de mesurer les effets de cette loi.

La publication officielle des déclarations d’intérêts pour toutes les personnes dirigeantes liées au secteur de la santé est une avancée que nous saluons. La mise en place de ce Sunshine Act à la française a permis de clarifier les liens entre l’industrie et les professionnels de santé en rendant publics les conventions et les avantages accordés par les entreprises pharmaceutiques. Ces mesures vont dans le bon sens : la transparence sanitaire et l’indépendance de l’expertise médicale sont devenues des réalités.

Par ailleurs, la création de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ne doit pas se réduire à un énième changement de nom. Le rattachement de l’agence au budget général de l’État ne saurait pas davantage impliquer une baisse de ses moyens financiers. Surtout, il est impératif que l’ANSM collabore étroitement avec l’Agence européenne du médicament et les agences régionales de santé. N’oublions pas que le scandale du Mediator aurait pu être évité si la coopération entre les différentes agences avait été plus développée.

La loi a également voulu consolider le système de pharmacovigilance et le suivi des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché. En particulier, les AMM font désormais l’objet d’une réévaluation tous les cinq ans par l’ANSM pour apprécier la sécurité et l’efficacité du médicament.

L’agence aura la possibilité de modifier, suspendre ou retirer l’autorisation de mise sur le marché de tout produit de santé jugé nocif. Elle pourra également interdire la prescription et la délivrance de tout médicament à risque ou qui n’aurait pas fait la preuve de son efficacité.

Selon les données du ministère de la santé, depuis 2011, l’autorisation de mise sur le marché a été reconsidérée pour cinquante-huit médicaments, notamment le Diane 35 et le tétrazépam. Comment pourrait-on, madame la ministre, améliorer l’information du Parlement, en particulier par l’intermédiaire de ses commissions des affaires sociales, sur les programmes de réévaluation décidés par l’ANSM ?

L’encadrement des produits de santé hors AMM constitue l’un des axes majeurs de la loi de 2011. Je rappelle que le Mediator avait été prescrit à 78 % hors AMM en 2008. Il convient donc d’être extrêmement vigilant pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Certes, les médicaments hors AMM peuvent être vitaux pour des maladies graves ou rares, mais il faut renforcer la procédure de délivrance des autorisations temporaires d’utilisation.

À terme, le régime de sécurisation des médicaments hors AMM devra être aligné sur celui des autres médicaments. En particulier, les médicaments prescrits hors AMM doivent être réévalués régulièrement. Or la loi de 2011 reste encore trop floue sur cette question ; il serait peut-être nécessaire de la préciser à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Nous souhaitons connaître la position du Gouvernement sur le sujet.

Enfin, madame la ministre, notre débat sur la sécurité sanitaire ne peut ignorer la question de la surconsommation de médicaments. Outre son inutilité, cette surconsommation pèse sur le budget de la sécurité sociale, puisque le remboursement des médicaments est le premier poste de dépenses de l’assurance maladie.

La France est l’un des pays où les prescriptions et l’usage irrationnels de produits de santé sont les plus forts. Il ne suffit pas d’encourager l’utilisation de génériques pour lutter contre cette dérive, il convient aussi et surtout de sensibiliser les Français à l’usage modéré de ces produits.

Par ailleurs, je souhaite appeler une nouvelle fois votre attention sur les garanties qui accompagnent le remplacement d’un médicament prescrit par le médecin par un autre dit « générique ». C’est là un aspect complexe de la problématique des génériques, qui doivent devenir des médicaments comme les autres.

Ce remplacement est effectué par le pharmacien, qui, placé sous le contrôle administratif de l’assurance maladie, doit chercher à diminuer les dépenses d’achat de médicaments. Ce praticien s’expose à des sanctions dans le cas où son « efficacité » en matière de substitution ne serait pas jugée suffisante. À l’inverse, le pharmacien « vertueux » se voit récompensé par des primes versées par l’assurance maladie.

Les logiques économiques propres au marché du médicament sont encore compliquées par des systèmes de marges, quelquefois particulièrement avantageux pour les génériques, et qui s’apparentent à ceux, fort complexes, en vigueur dans la grande distribution. À ce titre, il serait souhaitable qu’une plus grande transparence règne dans le « business » du médicament, si je puis utiliser cette expression américaine.

Tout en approuvant, sur le principe, cette recherche d’économies par le recours aux génériques, je m’étonne de l’ampleur de la responsabilité laissée au pharmacien, qui peut, sans concertation, modifier la prescription émise par le médecin. Cette pratique soulève des questions d’ordre éthique et modifie très profondément les relations de confiance entre le patient, le médecin et le pharmacien. En effet, comment voulez-vous faire de la pédagogie sur le bon usage des médicaments lorsque le patient ne sait plus qui du médecin ou du pharmacien prescrit son traitement ?

En outre – j’insiste tout particulièrement sur ce point –, la comparaison entre la fiche descriptive d’un médicament princeps et celle de son générique ne garantit pas toujours que les deux préparations soient parfaitement similaires. On parle de bioéquivalence entre les deux, sans que cette notion soit toutefois parfaitement définie sur les plans scientifique et juridique. Cette incertitude n’a rien de rassurant pour le patient qui, ayant connu de bons résultats avec un médicament prescrit par son médecin, se voit imposer un générique qui n’est pas garanti être en tous points semblable au médicament qui lui a été bénéfique.

De nombreux exemples illustrent l’existence d’un décalage sérieux entre la fiche descriptive d’un médicament et celle de son générique. La similitude chimique entre les deux préparations n’est pas complètement assurée et aucune garantie n’est apportée quant à leur égale efficacité. Néanmoins, les autorisations de mise sur le marché des génériques sont plus faciles à obtenir que celles des médicaments initiaux.

Je précise que les différences entre le médicament princeps et son générique peuvent porter sur la nature de la substance active et sur celle des excipients, les problèmes les plus graves concernant bien sûr les principes actifs. Il serait donc important de multiplier les expertises visant à encadrer et à garantir la sécurité des autorisations de mise sur le marché des génériques, qui, je vous le rappelle, pour certains médicaments, s’élèvent à quelques dizaines. On peut s’interroger sur la nécessité de disposer de quelques dizaines de copies pour un seul médicament. Cela ne semble guère très sérieux !

Je le répète, je ne m’oppose nullement à la recherche d’économies par le recours aux génériques, mais il faut s’entourer de solides garanties afin que ceux-ci deviennent véritablement des médicaments comme les autres en lesquels on puisse avoir entière confiance. Par conséquent, madame la ministre, vous serait-il possible de nous préciser comment garantir l’égalité d’action entre les médicaments et leurs génériques ? C’est la meilleure façon d’assurer la pérennité d’une politique d’économies que nous approuvons tous.

Enfin, j’en viens à la question de la vente en ligne de médicaments que vous avez autorisée par l’ordonnance du 19 décembre 2012 transposant une directive européenne.

Cette ordonnance nous semble envoyer un mauvais signal. Les ventes sur internet nécessitent en effet un encadrement strict. Nous aimerions donc connaître les mesures prises en ce sens par le Gouvernement.

Les dispositifs créés par la loi de 2011 doivent être mis en place le plus tôt possible. Nous nous félicitons de la création de la base informatique de données sur les médicaments rattachée au site du ministère de la santé. Cette base contribuera sans doute à un meilleur usage des produits de santé par les Français. Reste qu’il conviendra de mieux encadrer les logiciels d’aide à la prescription destinés aux médecins. De tels logiciels ne sauraient se substituer aux professionnels de santé : ils ne peuvent être qu’un support complémentaire pour les usagers.

Pour conclure, j’évoquerai les projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs qui se sont traduits par une imprévisibilité de l’environnement de l’industrie pharmaceutique. Ils sont probablement devenus aujourd’hui l’un des éléments qui pénalisent le plus l’attractivité de la France dans ce domaine. Une fois encore, le Gouvernement fait le choix des hausses de taxes plutôt que celui de réformes structurelles. Mais nous reviendrons sur ce point dans quelques jours à l’occasion des discussions budgétaires.

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