Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui saisi des conclusions des commissions mixtes paritaires, ou CMP, qui ont permis d’établir un texte commun pour le projet de loi organique modifiant le statut de la Nouvelle-Calédonie et le projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.
Se clôt ainsi pour notre assemblée une procédure marquée par la sérénité des débats parlementaires, la question calédonienne faisant désormais largement consensus au sein de la classe politique nationale. L’adoption à l’unanimité de ces deux textes, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, témoigne de cet état d’esprit, qui s’est d’ailleurs prolongé au cours des travaux de la CMP, ce dont on ne peut que se féliciter.
Je voudrais profiter de cette occasion pour saluer la mémoire de notre regretté collègue Dick Ukeiwé, ancien membre de la commission des lois du Sénat, qui s’est éteint le 3 septembre dernier. Le 24 janvier 1985, à cette tribune, il interpellait vivement le gouvernement de l’époque, et dénonçait l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie.
Quelques années plus tard, les accords de Matignon, puis l’accord de Nouméa, allaient enfin donner un avenir à la Nouvelle-Calédonie et lui apporter un statut qu’il nous est demandé aujourd’hui de consolider.
Dans le projet de loi organique, l’Assemblée nationale, à l’invitation de son rapporteur M. René Dosière, a conservé les apports essentiels du Sénat, ce qui traduit la bonne écoute entre nos deux chambres. Preuve de cette convergence de vue, neuf articles du projet de loi organique ont été adoptés dans les mêmes termes dès la première lecture.
Pour les autres articles, l’Assemblée nationale s’est bornée à compléter et prolonger la logique du texte adopté. À titre d’exemple, nos collègues députés ont renforcé les garanties accordées aux membres des futures autorités administratives indépendantes de la Nouvelle-Calédonie, en rendant incompatibles ces fonctions avec tout mandat électif, tout autre emploi public ou toute détention, directe ou indirecte, d’une entreprise dans le secteur régulé par l’autorité indépendante.
Nous ne pouvons qu’approuver cet utile complément aux garanties déjà apportées en première lecture par le Sénat à ces membres d’autorités indépendantes : nomination après audition publique et vote positif des trois cinquièmes des membres du Congrès, déchéance du mandat par les seuls pairs ou encore rappel des compétences de l’État en matière de libertés publiques.
Je tiens à souligner que cette compétence donnée à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes permettra, dans l’immédiat, d’installer une autorité chargée de la concurrence. Elle donnera sa pleine mesure à la loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, adoptée par le Congrès le 3 mai 2013. Elle contribuera à lutter contre le niveau élevé des prix. Sur ce point, rappelons-le, les attentes sociales sont fortes et réclament des réponses structurelles et pérennes.
Sur l’ensemble du projet de loi organique, un point a suscité une différence d’appréciation entre les deux assemblées : celui des modalités de jugement de la réparation civile à la suite d’un procès pénal, lorsque la victime et l’auteur de l’infraction sont tous deux de statut coutumier.
Le Sénat avait adopté, en première lecture, un amendement de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. La règle posée était claire et protectrice, puisqu’elle permettait à la juridiction pénale de droit commun qui s’était prononcée sur la culpabilité de l’accusé de statuer immédiatement sur les intérêts civils, en s’adjoignant des assesseurs coutumiers. Cette solution était respectueuse de la coutume, puisque deux assesseurs coutumiers étaient présents, et elle permettait un règlement, en une fois, de l’affaire soumise à la justice.
Toutefois, convaincue par les observations formulées auprès des représentants de sa commission des lois en Nouvelle-Calédonie lors d’un déplacement au début du mois de septembre dernier, l’Assemblée nationale a été sensible au souci d’une bonne administration de la justice. Aussi, tout en partageant le même objectif que le Sénat, l’Assemblée nationale a préféré un système plus souple pour l’organisation judiciaire.
Ainsi, la juridiction pénale pourra statuer, sans assesseur coutumier, sur les intérêts civils, mais chaque partie, victime comme accusé, aura la faculté de solliciter que l’affaire soit renvoyée, pour l’aspect civil, à la juridiction coutumière.
Dans ce cas, la victime n’aura pas besoin d’introduire une nouvelle requête, qui peut être particulièrement éprouvante pour elle, puisque l’accusé sera renvoyé automatiquement devant le juge coutumier. Dans un souci de compromis, les représentants du Sénat se sont ralliés, en commission mixte paritaire, à la rédaction de l’Assemblée nationale. Je précise qu’ils y adhèrent également.
Sur les autres dispositions restant en discussion, un accord a été rapidement trouvé au sein de cette même commission mixte paritaire, sous réserve de l’adoption des propositions de rédaction présentées en commun avec mon homologue de l’Assemblée nationale, dans le seul souci d’améliorer et de préciser le texte.
Dans cet esprit, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter le projet de loi organique ainsi arrêté par la CMP.
S’agissant du projet de loi ordinaire, j’ai relevé en CMP que les débats à l’Assemblée nationale avaient été riches, à tel point que le texte soumis à la commission mixte paritaire comprenait trente articles de plus que celui qui a été adopté par le Sénat.
Je voudrais également attirer l’attention du Gouvernement sur le fait que plusieurs amendements gouvernementaux ont été déposés pour la première fois devant l’Assemblée nationale.
Certes, l’article 44 de la Constitution permet au Gouvernement d’user tout à fait librement de son pouvoir d’amendement devant l’une ou l’autre des chambres, mais il serait sans doute de bonne méthode qu’il puisse présenter, sur les textes relatifs aux outre-mer, des projets de loi plus complets dès le stade du dépôt, afin de permettre les conditions d’un débat complet dans chaque chambre.
De surcroît, le dépôt d’amendements par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale a pour effet de contourner le droit de priorité que le Sénat tire de l’article 39 de la Constitution, s’agissant de textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales. Les collectivités ultramarines ne doivent pas faire exception à cette règle.
Cette remarque vaut particulièrement pour l’article 29 du projet de loi qui, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, confère au conseil régional de la Martinique le pouvoir d’édicter des règles législatives et réglementaires spécifiques en matière de transports intérieurs de passagers et de marchandises dans cette région. Vous le savez, madame la ministre, des réticences se sont exprimées localement sur cette question, et il n’eût pas été inutile qu’un débat ait lieu devant notre assemblée.
J’en viens aux dispositions de ce projet de loi, qui concerne désormais l’ensemble des outre-mer. Plutôt que de présenter exhaustivement toutes les dispositions adoptées par la CMP, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur les plus significatives d’entre elles.
Je voudrais saluer, tout d’abord, le respect par le Gouvernement de la promesse faite par lui devant notre assemblée, à la suite d’un amendement de notre collègue Karine Claireaux. Cette promesse l’a conduit à proposer de compléter l’article 9 pour permettre au centre de gestion de Saint-Pierre-et-Miquelon d’exercer des compétences en matière de formation, ce que l’Assemblée nationale a accepté.
Dans le même esprit, sous réserve de sa codification, l’Assemblée nationale a conservé l’article 7, introduit par un amendement de notre collègue Louis-Constant Fleming, visant à permettre à la chambre consulaire interprofessionnelle de Saint-Martin d’exercer par convention avec l’État les missions non consultatives dévolues normalement aux organismes consulaires.
De même, l’Assemblée nationale a conforté, pour les communes calédoniennes, la possibilité de créer des sociétés publiques locales, qui avait été introduite sur l’initiative de notre collègue Daniel Raoul.
Enfin, par l’article 8, l’Assemblée nationale a supprimé, comme le Sénat, l’article L. 1451-1 du code général des collectivités territoriales, qui permettait au représentant de l’État de se substituer aux élus locaux pour l’exercice de compétences locales, afin d’assurer la « continuité de l’action territoriale ».
Lors de son adoption, en 2011, cette disposition avait été mal vécue localement, car elle ne visait que les départements d’outre-mer tout en faisant doublon avec les mesures de droit commun, réservant ainsi aux élus ultra-marins un sort particulier qui pouvait être ressenti comme un signe de défiance.
En ce qui concerne les apports de l’Assemblée nationale, je me concentrerai sur les dispositions relatives à la Guyane, qui reprennent, sur l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée soutenu par le Gouvernement, les dispositions d’une proposition de loi récemment déposée.
L’Assemblée nationale a souhaité renforcer l’arsenal répressif à la disposition des forces de l’ordre pour lutter contre l’orpaillage illégal et la pêche illégale dans ce département français.
Ainsi, l’article 12 crée un délit spécifique de détention du matériel ou des outils nécessaires à l’activité d’extraction – mercure, concasseur, corps à pompe – en l’absence de déclaration préalable auprès du préfet.
L’article 13 permet à l’administration de saisir le juge pour, en cours de procédure, permettre dans des conditions précises de détruire les bateaux sans pavillon ayant servi à la pêche illégale.
L’article 24 permet, en cas de délit d’exploitation d’une mine sans autorisation connexe à une liste d’autres délits, de recourir au régime exceptionnel applicable à la criminalité et à la grande délinquance. Ces dispositions sont nécessaires pour faire face aux fléaux que sont la pêche illégale et l’orpaillage illégal, qui, en Guyane, coûtent parfois la vie aux gendarmes et militaires chargés de lutter contre eux.
Dans un autre domaine, sur proposition du Gouvernement, l’Assemblée nationale a prévu, avec les articles 10 bis et 10 ter, une procédure de concertation, puis de fixation par l’administration des tarifs bancaires en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, où les pratiques actuelles particulièrement abusives conduisent à des tarifs parfois décuplés par rapport à ceux de la métropole, selon l’observatoire des tarifs bancaires du Pacifique. Ce nouveau cadre de régulation est donc bienvenu.
Sur l’initiative de mon homologue de l’Assemblée nationale, M. René Dosière, et du Gouvernement, les articles 20 à 23 harmonisent le code des juridictions financières en complétant la procédure applicable devant les chambres territoriales des comptes de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, sur le modèle de celle qui est applicable devant les chambres régionales des comptes.
Enfin, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de son rapporteur visant à adapter le nouveau mode de scrutin pour les élections municipales en Polynésie française, où le nombre important de communes associées, fruit de l’histoire et de la géographie, rendait délicate son application en l’état, comme l’avait d’ailleurs relevé notre collègue Michel Delebarre lors de l’examen de la loi du 17 mai 2013 au Sénat.
Cet amendement a pour objet que, pour les communes comprenant des sections électorales, un seul mode de scrutin s’applique au sein de l’ensemble des sections électorales d’une même commune. Un tel ajout répond donc largement à la résolution votée le 13 septembre dernier par l’assemblée de la Polynésie française pour prendre en compte une spécificité locale, ce à quoi le Sénat est toujours attentif.
Je dois enfin évoquer l’article 18 relatif aux élections sénatoriales, qui rétablit l’égalité entre tous les sénateurs, en prévoyant pour les sénateurs des collectivités d’outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie et des Français établis hors de France la possibilité de participer au collège électoral sénatorial comme désormais leurs homologues métropolitains. De manière générale, cet article assure les coordinations rendues nécessaires outre-mer par la loi du 2 août 2013 relative à l’élection des sénateurs.
Je soulignerai, en guise de conclusion, que la CMP a repris ces dispositions mais qu’elle a, sur ma proposition, supprimé les articles 10 quinquies et 10 sexies. Le premier entrait partiellement en contradiction avec le code des communes de la Nouvelle-Calédonie. Quant au second, il était d’ores et déjà satisfait par des dispositions réglementaires.
Aussi, au vu de ces observations, j’invite le Sénat à adopter ce projet de loi, complété par deux amendements que le Gouvernement lui soumettra et qui visent à répondre à une demande de la CMP.