Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en ce qui concerne le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, force est de constater que les différences sont minimes entre les textes que nous avons adoptés et ceux qui ont été votés par l’Assemblée nationale. Elles portent sur les autorités administratives indépendantes de la Nouvelle-Calédonie, la diminution des indemnités des élus et, surtout, la question de la justice civile coutumière.
Nous avions adopté au Sénat un amendement présenté par notre collègue membre de la commission des lois, Thani Mohamed Soilihi, qui visait à proposer une solution que je qualifierais de protectrice, dans le sens où elle permettait à la juridiction pénale de droit commun, complétée par deux assesseurs coutumiers, de statuer directement.
Nos collègues députés ont préféré un dispositif quelque peu différent, même s’il reposait aussi sur le respect de la coutume. Sur ce point, notre rapporteur, Mme Tasca, a proposé de reprendre la rédaction de l’Assemblée nationale. Le consensus est donc trouvé.
Par ailleurs, un autre consensus existe, rappelons-le, depuis l’adoption de l’accord de Nouméa. C’est un laps de temps suffisamment long pour être souligné. Vous le savez, cet accord prévoit notamment un transfert progressif des compétences de l’État aux autorités locales, ainsi que la tenue d’un référendum d’autodétermination entre 2014 et 2018. Une grande partie du chemin a été parcourue, mais il reste encore beaucoup à faire.
Arrêtons-nous néanmoins sur quelques points.
En 2000, un rapport d’information de l’Assemblée nationale soulignait : « Juridiquement, le processus de Nouméa a ouvert la voie à de nouveaux modes de pensée dans notre organisation institutionnelle et administrative [...], les barrières mentales que notre vieille tradition jacobine avait élevées paraissant désormais en voie d’être surmontées ».
Malheureusement, notre pensée reste encore jacobine. L’équilibre entre l’unité de la République et les besoins propres de chacun est-il trouvé ? Je ne le crois pas.
Treize ans plus tard, notre collègue député Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale effectuée en Nouvelle-Calédonie en septembre dernier, précise : « Le processus d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie, reconnu par la Constitution, a introduit dans notre système institutionnel et juridique – on le rappelle trop peu souvent – une dose de fédéralisme. Avec Guy Carcassonne, on peut ainsi considérer que le titre XIII de notre Constitution comporte finalement, non pas des dispositions transitoires comme son intitulé l’indique, mais une constitution en soi, celle de la Nouvelle Calédonie. Cela montre que notre pays sait aussi faire preuve d’imagination quand l’essentiel est en jeu. Et cela, nous le devons aux Calédoniens ».
Les députés René Dosière, Dominique Bussereau et Jean-Jacques Urvoas concluaient : « La Nouvelle-Calédonie devra donc une nouvelle fois se réinventer pour mieux s’émanciper. La responsabilité du Parlement, et plus largement celle de l’État, signataire et garant de l’accord de Nouméa, est de demeurer le témoin attentif et indispensable pour éviter que cette histoire ne se joue à huis clos ».
Oui, les acteurs du dossier ont su faire preuve d’imagination, mais cela ne suffit pas : il faut encore et encore imaginer, car il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment sur la question de l’emploi et du pouvoir d’achat, non seulement des Néo-Calédoniens, mais aussi de toutes les populations d’outre-mer, pour reprendre le terme constitutionnel.
Justement, en parlant de l’outre-mer, permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler quelques chiffres qui illustrent leur situation dramatique. Je prendrai l’exemple de la Réunion, que je ne connais pas particulièrement, mais dont j’entends beaucoup parler grâce à mon camarade Paul Vergès.
Une récente étude de l’INSEE a mis en avant, une fois de plus, la situation sociale de l’île. Les chiffres sont éloquents : 343 000 personnes vivent sous un seuil de pauvreté monétaire, soit 42 % de la population réunionnaise. Ce chiffre est de 14, 1 % en métropole et de 24, 1 % pour le département métropolitain le plus pauvre.
À la Réunion, 43 % de la classe d’âge des 15-64 ans occupent un emploi. Ce taux est de 64 % en France métropolitaine. Le taux de chômage avoisine quant à lui les 30 %, soit trois fois plus qu’en métropole.
Un tel niveau de pauvreté représente donc un défi majeur à relever en matière d’action sociale à la Réunion. La question est de savoir si l’on en prend le chemin : en somme, l’ensemble des parties concernées, élus comme Gouvernement, sont-elles capables de faire preuve de cette imagination dont a parlé le député socialiste Jean-Jacques Urvoas ?
Il faut de l’imagination, bien sûr, mais aussi de l’audace. Il n’y a pas si longtemps, la délégation sénatoriale à l’outre-mer a co-organisé un colloque intitulé : « L’audace ultramarine en hexagone ». Bien évidemment, ce titre ne peut que nous interpeller, car les Ultramarins ont toujours été audacieux. Ainsi, au cours de leur histoire tumultueuse, parfois violente, souvent fondée sur l’esclavagisme et le colonialisme, les Ultramarins ont dû mener une suite de combats pour la liberté et pour l’égalité.
Aujourd’hui, comme le rappelle souvent mon ami et collègue le sénateur Paul Vergès, il s’agit, pour l’outre-mer, de mener le combat pour la responsabilité. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous voterons ces textes.