Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, ces deux textes relatifs aux outre-mer vont être votés à la fois avec la satisfaction du travail bien fait et avec l’espoir que les éléments qu’ils contiennent puissent donner un nouveau souffle aux rapports entre l’Hexagone et les outre-mer.
Le cœur de ces deux textes est relatif à la Nouvelle-Calédonie et il contient des mesures importantes pour ce territoire.
L’initiative du Gouvernement a été enrichie par nos assemblées. Le temps était réduit pour ce faire, et même si les modalités de la réparation civile consécutive à un jugement pénal auraient pu faire l’objet d’échanges de vues plus larges, les membres de la commission mixte paritaire ont su se rallier à des positions communes pour proposer rapidement un texte qui, pour l’essentiel, permettra à cette collectivité unique en France de moderniser son droit et, surtout, de faire face à d’importants défis.
Ces défis, à la fois contraintes et atouts pour le territoire, ne sont pas complètement spécifiques à la Nouvelle-Calédonie. Aussi, les réponses qui leur sont apportées par la loi organique sont plus qu’intéressantes pour l’ensemble des outre-mer.
Examinons tout d’abord la méthode. Je me réjouis que le Gouvernement et les parlementaires aient manifesté un profond respect envers le gouvernement et le congrès calédoniens en faisant droit à nombre de leurs demandes législatives, qu’elles soient les conséquences d’un transfert déjà partiellement effectué, comme les pouvoirs de police, ou des demandes nouvelles, comme la capacité de créer des autorités administratives indépendantes locales.
Je retiens ensuite le respect des compétences réduites du haut-commissaire : tout en saluant son dynamisme dans l’animation de la vie calédonienne, ces projets de loi lui conservent toute sa place, mais seulement sa place, dans un territoire à la très large autonomie juridique.
À ce titre, je me félicite de la suppression par nos deux assemblées parlementaires de l’institution des pouvoirs exceptionnels du préfet dans les DOM, grâce au vote d’un amendement que j’ai déposé. Cela prouve que les relations ont changé entre les outre-mer et l’Hexagone.
Cette méthode apporte des avancées concrètes ; j’en distingue au moins trois, qui pourraient parfaitement bénéficier au reste du monde ultra-marin.
La première est la compétence accordée à la Nouvelle-Calédonie pour réglementer l’exploitation des richesses minérales de son sol. Si la police des mines appartient déjà au Congrès, au président de l’assemblée de province et au conseil local des mines, la loi organique ajoute les terres rares aux minerais déjà concernés, tels que les hydrocarbures, le nickel, le cobalt et le chrome.
Ces richesses sont d’une importance stratégique pour la France, et la présence de ces éléments capitaux pour l’industrie est une chance à exploiter.
En confiant aux autorités calédoniennes la police des mines, l’État ne se désengage pas du formidable potentiel minier de ce territoire, mais il fait confiance au gouvernement local pour la réglementation de l’exploitation de son sous-sol.
Je ne peux m’empêcher de penser à cet autre gouvernement de majorité socialiste qui, dans la loi d’orientation pour l’outre-mer de 2000, avait doté les régions ultra-marines de compétences sur certains titres miniers.
Les décrets d’application n’ont toujours pas été pris pour cette disposition réinscrite dans le nouveau code minier. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie prouve qu’une telle dévolution est possible. Vous aurez à cœur, madame la ministre, de l’étendre à l’ensemble des collectivités et des départements d’outre-mer.
Le deuxième élément que je retiens de la loi organique est la lutte contre la vie chère, fléau qui touche tout autant les résidents de la Nouvelle-Calédonie que ceux des autres départements et collectivités d’outre-mer.
Votre projet de loi a répondu favorablement, et avec une grande réactivité, à la demande des autorités calédoniennes de pouvoir constituer une autorité administrative indépendante en matière de concurrence. Au Sénat, le travail de Mme la rapporteur a permis de conforter cette autorité, en lui assurant l’indépendance et la légitimité nécessaires à une action efficace sur les marchés, preuve que des améliorations peuvent rapidement être apportées, même lorsque la procédure accélérée a été engagée.
Il est attendu de cette autorité locale de la concurrence qu’elle puisse contrôler et mettre fin aux pratiques abusives de certains opérateurs économiques. Toutefois, je ne crois pas réellement que la concurrence soit la panacée contre la vie chère, dans un marché aussi difficile que celui de l’archipel calédonien, où la population est inégalement répartie entre les provinces sud et nord, sans parler des îles Loyauté où résident moins de 20 000 habitants.
Une autre action contre la vie chère, que l’on ne retrouve pas dans le présent texte, mais qui mérite d’être rappelée, est la fixation à la baisse des prix des produits de première nécessité lors du protocole d’accord du 27 mai 2013. L’État a su s’engager dans l’action aux côtés du gouvernement calédonien et des acteurs économiques. Nous ne pouvons que nous en satisfaire, même si ce dispositif n’a pas vocation à durer.
Or il existe d’autres moyens de lutter contre la vie chère, les marges excessives et les pratiques abusives. Je pense à l’obligation faite aux commerçants de proposer une baisse de leurs tarifs, sous peine de se la voir imposer. En ce sens, les articles 10 bis et 10 ter du projet de loi ordinaire sont un modèle. En obligeant les établissements bancaires à présenter des propositions tarifaires raisonnables chaque année, avec la sanction d’une fixation des prix par le haut-commissaire, le Gouvernement propose une solution concrète contre les tarifs bancaires abusifs, faisant place à la négociation, mais sans échappatoire.
Cette disposition assoit le rôle de l’État face aux mécanismes trop souvent défaillants du marché. Pourquoi limiter son application à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, si ce n’est pour faire des jaloux dans les DOM ?
Le troisième élément que je veux mettre en avant dans le projet de loi organique est l’extension à la Nouvelle-Calédonie de l’outil de développement économique que constitue la société publique locale. La création toute récente de cette forme sociale, constituée exclusivement d’un capital public pour la réalisation d’une activité industrielle et commerciale d’intérêt général, est un marqueur de la nécessité, pour les collectivités publiques, quel que soit leur niveau, de s’engager dans la vie économique lorsque les opérateurs privés sont défaillants.
Les dispositions relatives aux autres collectivités d’outre-mer – je pense à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Mayotte – et l’habilitation accordée à la Martinique sont également remarquables. Je salue en particulier, pour la méthode retenue, l’article 9 de la loi ordinaire, écrit à quatre mains par notre collègue Karine Claireaux et le ministre des outre-mer. En effet, pour contourner l’obstacle de l’article 40 de la Constitution, le Gouvernement a lui-même doté d’une compétence l’autorité de gestion de la fonction publique territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont, autrement, seul le titre aurait été modifié par l’amendement sénatorial.
Je regrette que ce travail conjoint de la Haute Assemblée et du Gouvernement ne soit pas plus souvent effectif. J’espère que, en ce domaine encore, la loi organique et la loi ordinaire que nous étudions représentent une ouverture et que le principe de ces dispositions et de ces méthodes puisse être généralisé aux relations avec l’ensemble des territoires ultramarins.
Les dispositions spécifiques à la Guyane ont évidemment particulièrement retenu mon attention. Sur l’initiative de l’Assemblée nationale et de Mme le garde des sceaux, des dispositions pénales sont venues compléter l’arsenal répressif, déjà bien fourni, des luttes contre l’orpaillage clandestin et la pêche illicite.
Contre la pêche illégale, l’article 13 du projet de loi ordinaire crée une nouvelle sanction autonome : la destruction des tapouilles avec lesquelles la pêche est pratiquée. J’espère que les conditions requises pour l’application de cette sanction ne rendront pas une telle mesure inapplicable, car le constat qui en est à l’origine est réel : ces navires de pêche sont régulièrement volés, avant même que le juge ait pu statuer sur le délit.
Toutefois, je ne me leurre guère sur l’efficacité de toute mesure répressive sans les moyens effectifs de la contrainte. Sans navire capable de réaliser cette police des pêches, tous les pouvoirs du juge n’auront aucun effet sur l’exploitation irrégulière du potentiel halieutique guyanais. C’est pourquoi je salue l’effort accompli dans la loi de programmation militaire pour rendre efficace la lutte contre la pêche illégale. En effet, le Gouvernement prévoit la livraison en 2016, de deux patrouilleurs légers guyanais, ou PLG, spécifiquement conçus pour ce territoire.
Certes, pour une si courte échéance, le cahier des charges n’est pas encore achevé, les marchés ne sont pas encore passés, de même que les bureaux d’étude ou les chantiers navals n’ont pas entamé leurs travaux. Si un tel programme pour seulement deux navires est un luxe que les militaires ne peuvent que rarement s’offrir en cette période, j’ai accueilli avec espoir cette promesse de la loi de programmation militaire.
Il nous est en effet promis un modèle de navire à faible tirant d’eau, capable de sortir en mer 180 jours par an. Avec deux navires, la police des pêches et la surveillance des tirs spatiaux seront effectives quasiment toute l’année. Voilà un geste fort qui renforce singulièrement dans les actes la multiplication, jusqu’alors un peu vaine, des mesures répressives.
Je serai attentif à la réalisation de ce projet dans les délais annoncés. Je vous invite déjà, madame la ministre, à Dégrad-des-Cannes, en 2016, pour le premier accostage de ces deux patrouilleurs militaires. Hélas ! Les deux autres mesures concernant la lutte contre l’orpaillage clandestin n’ont pas les mêmes moyens. Certes, la méthode répressive est encore retenue, conformément au rapport d’inspection interministérielle, à travers un nouveau délit – la détention clandestine d’éléments servant à l’orpaillage – et une clarification procédurale, faisant de l’orpaillage en bande organisée une infraction poursuivie dans le cadre du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale. Mais aucun moyen supplémentaire particulier n’est envisagé pour lutter efficacement contre l’orpaillage clandestin, véritable fléau humanitaire, environnemental, social et économique.
Il existe cependant une possibilité d’agir autre que la répression, dont on voit aujourd’hui les limites, et le dialogue régional, dont personne n’espère plus grand-chose en Guyane. Je fais référence à la lutte économique contre l’exploitation illégale des ressources minières par une action d’envergure. J’ai écrit au Premier ministre en lui proposant une réunion avec les ministres concernés pour mettre en œuvre une exploitation publique des ressources minières de la Guyane.
Le constat est simple : les orpailleurs clandestins se sont adaptés aux actions de l’opération Harpie. Depuis deux ans, le nombre des sites illégaux a augmenté de 20 %. Ensuite, le remplacement des clandestins par des orpailleurs légaux est une solution très imparfaite : elle est impossible dans les parties les plus reculées de la Guyane, le respect des règles environnementales est sujet à caution et, quoi qu’il en soit, les quelques centaines d’artisans orpailleurs légaux ne sont pas en mesure d’occuper les mines exploitées par plus de 15 000 clandestins.
Il revient donc aux collectivités publiques d’agir. Dans l’histoire sociale de ce territoire, elles seules détiennent la légitimité pour intervenir, et les moyens importants qu’il faut mettre en œuvre sont de leur ressort.
J’évoquais la richesse minérale de la Nouvelle-Calédonie. Le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, est missionné en Guyane pour déterminer le potentiel minier guyanais, qui concerne non seulement l’or, mais aussi la bauxite, l’argent, les diamants, le nickel, le platine, le cuivre, le plomb, le molybdène, le zinc, le kaolin et les terres rares : niobium, tantale, colombo-tantalite, etc.
Les sociétés publiques locales, mais également les établissements publics industriels et commerciaux sont les formes possibles que peut emprunter l’action publique pour reconquérir les richesses minérales de la France en Guyane et affirmer la souveraineté de notre Nation sur son sol.
Aujourd’hui, la réponse pénale est marginalisée et son effectivité est réduite, après d’importants résultats qui datent maintenant de cinq ans. La seule réponse viable face à cette prédation sauvage et à cette industrie parallèle au chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, produisant dix tonnes d’or par an, avec un coût terrible pour les populations amérindiennes et pour la forêt guyanaise, est la lutte économique grâce aux moyens puissants de l’État.
Une telle action sera à même de donner un souffle économique nouveau à l’industrie, aux dynamiques sociales et environnementales de la Guyane. Il faut donc compléter les volets législatifs répressif et diplomatique par une approche nouvelle : l’asphyxie économique des orpailleurs clandestins et le retour de la souveraineté. Il faut créer une grande entreprise minière française, seule à même d’exploiter un tel potentiel dans le respect de l’environnement, des conditions sociales des travailleurs et du partage économique de ces richesses dans l’intérêt de l’ensemble de la population. Que la force serve le droit là où il est impuissant, surtout lorsque l’enjeu est le devenir d’un territoire !
Madame la ministre, vous avez montré, avec la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d’outre-mer, que vous souteniez l’action publique et que vous faisiez confiance au potentiel de ces territoires et à la responsabilité des élus. La Guyane demande le même niveau d’engagement !