La loi a été correctement appliquée sur un plan formel. Elle ne requérait qu'un seul décret d'application pour définir le contenu de la négociation préalable au dépôt d'un préavis de grève en l'absence d'accord d'entreprise ou de branche ; il a été pris dans le délai imparti, dès le 24 janvier 2008. Les deux rapports au Parlement ont également été remis, même si le second a connu un retard de deux ans.
Les nouveaux outils du dialogue social ont bien été mis en oeuvre dans le secteur du transport urbain : un accord de branche a été signé entre l'Union des transports publics (UTP) et les organisations syndicales représentatives le 3 décembre 2007. Il a instauré un observatoire paritaire de la négociation collective et du dialogue social, dont les études et statistiques se sont révélées précieuses. Malheureusement, 20 % seulement des entreprises interrogées par l'UTP déclarent avoir signé un accord de prévisibilité, la plupart ayant préféré recourir à un plan unilatéral. La RATP et la SNCF ont, quant à elles, adapté leurs mécanismes de prévention des conflits, auparavant facultatifs, à la loi. Aucun accord de branche n'a été signé dans le transport interurbain. Le processus d'élaboration des PTA et PIU des entreprises de transport semble désormais quasiment arrivé à son terme, plus tard cependant qu'à la date prévue, qui était le 1er janvier 2008.
La très grande majorité des AOT ont accepté la mission nouvelle que leur a confiée la loi : définir les dessertes prioritaires à assurer en cas de perturbation et approuver le PTA et le PIU proposés par l'opérateur de transport. Certaines collectivités ont néanmoins refusé, pour des raisons politiques ou parce qu'elles estimaient avoir déjà pris des mesures similaires. Selon l'UTP, au moins quinze autorités organisatrices de transport urbain n'avaient toujours pas défini de dessertes prioritaires en 2012, tandis que 23 % des réseaux interrogés n'avaient pas adopté de PTA. C'est également le cas d'un certain nombre de régions, en charge des TER. Comme l'a prévu la loi, le préfet s'est alors substitué à l'AOT, après une mise en demeure, ce qui n'est pas satisfaisant.
Les salariés et les organisations syndicales représentatives se sont majoritairement conformés aux conditions nouvelles d'exercice du droit de grève issues de la loi. Celle-ci n'a donné lieu qu'à un contentieux limité, qui a permis de préciser ses modalités d'application.
Il n'en reste pas moins que les acteurs concernés nous ont fait part de nombreux griefs à l'égard de ce texte. Les syndicats déplorent la faiblesse du dialogue social et dénoncent des négociations préalables souvent purement formelles qui aboutissent en effet le plus souvent à un constat de désaccord, le rapport de force étant préféré au dialogue. Certaines entreprises de transport urbain n'auraient pas mis en place de procédure formalisée de recueil des déclarations préalables d'intention de faire grève, compromettant le secret professionnel qui les couvre. Enfin, cette loi aurait transformé l'exercice d'un droit constitutionnel fondamental, le droit de grève, en une affaire de spécialistes, marquant un pas supplémentaire dans la judiciarisation des relations de travail.
De leur côté, les employeurs soulignent que la loi ne traite pas différemment les grèves répondant à un mot d'ordre national, qui ne peut pas être satisfait par l'entreprise. Certains estiment que l'alarme sociale est dévoyée car banalisée, au détriment des institutions représentatives du personnel. Enfin, ils regrettent que la Cour de cassation ait reconnu la légalité des préavis de grève à durée déterminée de longue durée et des grèves récurrentes de très courte durée - moins d'une heure - qui auraient des effets disproportionnés en termes de désorganisation du trafic et de l'entreprise.