C’est un objectif majeur de ce projet de loi de programmation militaire : les crédits consacrés aux études amont représenteront plus de 730 millions d’euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019, donc en hausse par rapport à la période précédente. Pour ne citer qu’un exemple, le projet de drone de combat futur, l’unmanned combat air vehicle, ou UCAV, se voit doter de crédits de plus de 700 millions d’euros sur la période.
Ces crédits d’études et recherche bénéficieront donc à l’avenir de l’aéronautique de combat, mais aussi au renouvellement des deux composantes de la dissuasion, à la lutte sous-marine et, dans le domaine terrestre, à la poursuite des efforts portant sur la protection des combattants et des véhicules, ainsi qu’au renseignement, à la cyberdéfense ou à l’espace, pour ne citer que quelques exemples.
En s’appliquant à nos forces, cet effort tourné vers les équipements, qu’il s’agisse de livraisons préservées, de programmes lancés ou de recherches engagées, bénéficiera aussi directement à nos industries de défense, dont aucun des neuf secteurs majeurs n’est tenu à l’écart.
En effet, ces industries sont au centre de l’autonomie stratégique que nous recherchons. Au surplus, fortes de 4 000 entreprises, dont une majorité de PME et d’ETI, avec 165 000 emplois directs hautement qualifiés et donc peu délocalisables, avec un chiffre d’affaires global d’environ 15 milliards d’euros, dont 30 % à 40 % réalisés à l’exportation, ces industries constituent également un extraordinaire moteur pour notre économie, un formidable levier pour l’emploi et la compétitivité. À ce titre, elles sont placées au cœur de ce projet de loi de programmation militaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà comment se présente, dans ses grandes lignes, le renouvellement de notre politique de défense tel que nous le proposons pour les six ans à venir, avec la perspective à quinze ans tracée par le Livre blanc. À ce titre, ce projet de loi est un texte fondamental.
Mais, fondamental, ce texte l’est à un deuxième titre. Il comporte en effet une dimension normative qui nous a tous beaucoup mobilisés et qui constitue un autre volet de la préparation de l’avenir. Le texte fixe en effet un cadre législatif dans trois domaines majeurs pour nos armées et, au-delà, pour la sécurité nationale : le renseignement, la cyberdéfense et les droits des personnels.
Chacun de ces trois axes d’efforts imprime une marque particulière au présent projet de loi.
Le renseignement est aujourd’hui l’une des clefs de voûte de notre autonomie stratégique. Le présent texte définit un équilibre politique clair entre, d’une part, l’accroissement des moyens techniques, humains et juridiques des services et, d'autre part, le renforcement légitime, souhaité par les différentes commissions, du contrôle parlementaire de cette activité.
Concernant les moyens, l’effort sera amplifié, après bien des retards accumulés pour notre équipement et avec trois priorités : l’imagerie – livraison des satellites de la composante spatiale optique, CSO, du programme MUSIS, livraison des drones MALE –, le renseignement d’origine électromagnétique – en particulier la réalisation du système satellitaire CERES – et la mise en œuvre de moyens techniques mutualisés d’interception et la création nette de postes au profit de la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et de la Direction du renseignement militaire, la DRM.
En contrepartie de cet effort, ce projet de loi marque un net renforcement du contrôle des services de renseignement. À la suite du Livre blanc, qui a conforté le rôle du coordonnateur national placé auprès du Président de la République, il prévoit en effet la création d’une fonction d’inspection des services, qui pourra être actionnée par le Premier ministre et par les ministres chargés du renseignement.
Surtout, instruits des premières années d’expérience de la délégation parlementaire au renseignement, nous préconisons un saut qualitatif important dans les compétences de contrôle de l’activité gouvernementale exercée par celle-ci.
Pour la première fois, cette délégation se voit reconnaître explicitement cette fonction de contrôle, dans un cadre respectueux des prérogatives du pouvoir exécutif, tel que tracé par le Conseil constitutionnel. Elle aura la capacité de connaître l’ensemble de la dépense publique dans ce domaine sensible. À l’avenir, elle intégrera notamment une formation spécialisée pour le contrôle de l’utilisation des fonds spéciaux, prenant la place de l’actuelle commission de vérification des fonds spéciaux. Elle aura connaissance des principaux documents d’orientation gouvernant l’activité des services. Elle pourra régulièrement dialoguer avec les directeurs des services quant à la mise en œuvre de leur mission.
Cependant, si le cadre normatif évolue, c’est également pour offrir de nouvelles possibilités aux services. Plusieurs dispositions tendent ainsi à améliorer leurs outils de travail, au soutien de leurs missions de lutte contre le terrorisme et contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Je ne saurais trop insister sur l’importance de ces décisions, alors que le risque pour le pays et sa population est particulièrement élevé, à l’heure où est engagée une action résolue contre les groupes terroristes violents – les djihadistes, en particulier – du Pakistan jusqu’aux rives de l’Afrique occidentale et de la Méditerranée.
Ainsi en est-il de l’accès aux fichiers de police administrative et judiciaire ou de la création de la banque de données relatives aux passagers, dite « PNR », pour Passenger Name Record –, fournies par les compagnies aériennes, dans le cadre d’un projet européen qu’il est essentiel pour notre sécurité de faire aboutir. Ainsi en est-il également des propositions de vos commissions que le Gouvernement a décidé de soutenir concernant le recueil contrôlé des données de connexion ou la géolocalisation.
L’importance du renseignement justifie pleinement le désir de votre commission des affaires étrangères et de la défense de préciser encore dans le rapport annexé certaines des décisions qui lui sont spécialement consacrées et qui revêtent un caractère hautement prioritaire.
Après le renseignement, cette programmation consacre des développements particulièrement importants à la cyberdéfense. De fait, tandis que la vulnérabilité de l’appareil d’État et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la Nation aux systèmes d’information, le cyberespace est devenu un champ de confrontation à part entière. C’est un enjeu absolument stratégique dont nous devons nous saisir.
C’est pourquoi ce projet de loi adapte notre droit, pour la première fois dans une telle mesure, aux nouveaux défis que représente pour le pays la cybermenace. Il confère ainsi au Gouvernement la compétence d’imposer des règles aux opérateurs, en explicitant, dans le code de la défense, les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information stratégiques.
Au-delà de ces évolutions normatives, le projet de loi prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives mais aussi offensives, la mise en place d’une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du CPCO, le centre de planification et de conduite des opérations de l’état-major des armées, ainsi qu’un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront ainsi recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l’acquisition de nouveaux équipements, mais aussi la réalisation d’études amont.
Bien sûr, pour mener à bien ces priorités inscrites dans la loi tout en assumant la gamme de missions que j’ai décrites, le ministère de la défense doit par ailleurs consentir des économies, sur le fonctionnement, sur les effectifs, sur la masse salariale, sur les coûts de structure. Ces économies garantissent l’équilibre global de la programmation militaire.
Je n’ai jamais caché que, dans un contexte marqué déjà par plusieurs déflations successives depuis 1995, ces économies seraient difficiles à réaliser et appelleraient de notre part des efforts d’accompagnement, d’analyse et d’explications, tout particulièrement auprès des personnels.
Au titre de la présente loi de programmation militaire, 23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 déjà inscrits dans la loi précédente, concernant les années 2014 et 2015. Ces déflations sont cohérentes avec les choix opérationnels que nous avons effectués, notamment les nouveaux contrats opérationnels des armées. Elles reposent également sur un effort important à effectuer au sein de notre administration au sens large, afin de réduire ses coûts de fonctionnement et une structure qui demeure encore, dans bien des domaines, lourde, complexe et insuffisamment optimisée.
La réorganisation qu’impliquent ces diminutions d’effectifs reposera donc sur quelques principes simples et un dispositif d’accompagnement de grande ampleur auquel je veillerai personnellement.
De quoi s’agit-il ?
Premièrement, la priorité sera donnée, et maintenue, aux forces opérationnelles, pour la capacité à remplir les missions que je viens d’évoquer.
Deuxièmement, la simplification et la clarification de l’organisation seront partout recherchées, ce qui peut conduire à des modifications, comme celle qui se profile en ce qui concerne la chaîne des soutiens jusqu’aux bases de défense, avec le concours et l’appui de tous les responsables militaires et civils du ministère.
Troisièmement, la diminution de l’environnement, de l’administration et des soutiens bénéficiera d’une analyse fonctionnelle préalable – elle est déjà lancée -, qui guidera mes choix. Je n’entends pas procéder de manière arithmétique ni automatique.
Quatrièmement, le personnel doit être pleinement informé : un effort important de communication interne sera engagé. Dans le même esprit, nous venons de lancer, à la demande du Président de la République, un chantier important : la rénovation de la concertation militaire. La pleine implication du commandement et le strict respect de l’obéissance hiérarchique ne s’opposent pas à l’entretien de différentes formes de dialogue, bien au contraire.
À la demande du Président de la République, j’ai donc saisi l’ensemble des chefs militaires et des acteurs du dialogue dans les armées afin que des propositions soient élaborées en vue de la 90e session du Conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain.
Cinquièmement, les personnels doivent bénéficier des dispositions d’accompagnement social de sorte que les départs, lorsqu’ils sont nécessaires, se fassent dans de bonnes conditions. C’est l’objet des mesures figurant dans le projet de loi, telles que les pécules, l’accès à la pension du grade supérieur, la promotion fonctionnelle – il ne s’agit pas, madame Demessine, de l’ancien conditionnalat – ou encore les dispositifs de disponibilité rénovée. Dans le même esprit, et pour les mêmes finalités, nous renforcerons la politique de reconversion pour les militaires et le reclassement dans la fonction publique pour les agents du ministère. À ce dernier titre, une habilitation à agir par ordonnances vous est demandée.
Au total, c’est mon sixièmement, un plan d’accompagnement de près de 1 milliard d’euros est prévu pour les outils financiers d’incitation au départ.
Concernant les restructurations, septièmement, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui relient les armées et les territoires, ainsi que, pour les sites, les moins nombreux possible, qui seront amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possible. Pour ce faire, un accompagnement économique est inscrit dans le projet de loi.
Désormais, contre la dérive de l’éparpillement, les actions de l’État seront davantage concentrées, avec 150 millions d’euros au total en faveur des territoires les plus affectés. Ce plan sera complété par un dispositif d’aide aux petites et moyennes entreprises des territoires concernés, appuyé sur la Banque publique d’investissement.
Dans un ministère dont la solidité doit être à toute épreuve, je sais que de telles évolutions, qui visent précisément à asseoir notre politique de défense sur des bases plus solides, peuvent néanmoins susciter des inquiétudes et créer des fragilités transitoires.
Au demeurant, vous aurez relevé combien ce projet de loi de programmation militaire défend la singularité du soldat aujourd’hui. Il le fait en mettant en place divers outils juridiques simples, permettant d’éviter une judiciarisation inutile de l’action des militaires engagés en opération extérieure. C’était un engagement, remarqué et attendu, du Président de la République après plusieurs affaires qui pouvaient donner le sentiment d’une remise en cause du cœur du métier militaire et de l’acte d’engagement comme de commandement en opération.
L’objectif n’est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits, qu’il s’agisse de l’accès à l’information, à la justice ou à la réparation. Ces droits, notamment celui d’être dûment informé des circonstances dans lesquelles leurs proches ont pu être touchés, seront scrupuleusement respectés, voire accrus par les dispositions d’accompagnement prises par le ministère et les armées.
Il s’agit simplement de faire prendre en compte, par le droit pénal, la réalité de ce qu’est un conflit armé, dans lequel nos militaires sont prêts à donner leur vie comme, d’ailleurs, à infliger la mort. Il s’agit d’inscrire aujourd’hui dans notre droit, tant sur le plan des procédures que sur le fond de la qualification des actes, les spécificités des situations d’action au combat, alors que nos sociétés voient le recours juridictionnel se développer rapidement.
Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence entre mon ministère et les services de Mme la garde des sceaux, dont je veux ici saluer tout particulièrement la disponibilité et la compréhension. Je souhaite vivement qu’elles recueillent un large soutien de la représentation nationale.
À ce point de mon propos, je veux rendre hommage solennellement avec vous aux sept militaires tombés au combat dans l’opération Serval, ainsi qu’à leurs quarante camarades gravement blessés. Tous témoignent des dangers, de l’engagement et du dévouement si particulier pour le pays que représente leur métier. Nous leur devons la reconnaissance de la Nation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un projet de loi de programmation militaire est par définition perfectible, et je sais gré à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat d’avoir contribué à l’améliorer de façon significative, tout comme je remercie les commissions des lois et des finances pour leur apport très significatif à la maturation de ce débat et du texte qui en résultera.
Ce travail, vous l’avez entrepris voilà déjà deux ans, si bien qu’avec les réflexions préparatoires, la participation de trois d’entre vous à la commission du Livre blanc, votre contribution à la conception de la programmation, et maintenant votre marque sur le texte lui-même, je crois pouvoir dire que ce projet de loi est le fruit d’une démarche largement partagée, qui donne tout son sens au choix du Sénat pour l’examen en première lecture, et je m’en félicite.
Vous me permettrez, ici, de saluer tout spécialement le président et rapporteur de la commission de la défense, Jean-Louis Carrère, ainsi que ses vice-présidents Jacques Gautier et Daniel Reiner, mais également le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et le rapporteur pour avis de la commission des finances, Yves Krattinger. Tous se sont mobilisés pour améliorer le projet d’une façon très utile. Qu’ils en soient sincèrement remerciés.
Au terme de ces travaux, je crois pouvoir soutenir que nous avons défini un projet équilibré, qui permettra de conforter notre autonomie stratégique et notre ambition européenne, tout en contribuant au renforcement de notre souveraineté budgétaire. Lorsque je regarde autour de nous, en Europe et, au-delà, sur la scène internationale, je constate que cette situation n’est pas si fréquente, je le dis sans aucun sentiment de supériorité, qui serait déplacé. J’ajoute que, si ce projet de loi de programmation vise en premier lieu nos moyens militaires, ses enjeux débordent souvent le champ de la défense et s’étendent nettement à celui de la sécurité nationale, dont je partage la responsabilité avec M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.
En confirmant spécifiquement le maintien de notre effort de défense, le Président de la République a souligné que c’était là un effort que la Nation consentait, non pas pour les armées en elles-mêmes, mais pour sa propre sécurité. Aujourd’hui, je fais toute confiance à la représentation nationale pour confirmer cette ambition, dans l’intérêt de la France et dans le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, avec professionnalisme et avec dévouement.