Président et rapporteur, quel cumul, me direz-vous… §
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire marque toujours, pour notre politique de défense et pour notre pays, un moment important. C’est aussi un moment propice au rassemblement républicain autour de nos forces armées, et d’ambition partagée au service de la grandeur de notre pays.
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, avec d’autres, et dans la continuité de ce qu’avait entamé Josselin de Rohan, associer à l’examen de ce texte le plus grand nombre de nos collègues de toutes les sensibilités politiques au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, et notamment les rapporteurs du budget de la défense. Je tiens à les remercier ici chaleureusement de leur importante contribution, ainsi que le président Jean-Pierre Sueur et le rapporteur spécial Yves Krattinger, pour leurs apports très significatifs.
Ce projet de loi fait suite à une large réflexion menée durant plusieurs mois dans le cadre de la commission du Livre blanc, au sein de laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat étaient représentés non plus par deux, mais par trois députés et trois sénateurs. Nos collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même y représentions la Haute Assemblée. Toujours cette obsession de l’équilibre politique…
Avant même le début de ces travaux, notre commission avait constitué des groupes de réflexion, coprésidés par des sénateurs de la majorité et de l’opposition, qui ont donné lieu à dix rapports d’information : sur l’avenir des forces nucléaires, cher Xavier Pintat, sur les capacités industrielles critiques, sur la maritimisation, chers Jeanny Lorgeoux et André Trillard, sur le format des armées ou encore sur la cyberdéfense. Autant le dire, nous nous sommes préparés à ce débat !
Fondée sur les conclusions du nouveau Livre blanc, cette douzième loi de programmation militaire porte deux ambitions : adapter notre outil de défense aux évolutions du contexte stratégique et préserver notre effort de défense afin de maintenir notre autonomie d’action.
Malgré un contexte économique et budgétaire très difficile, le Président de la République, dont je veux saluer l’arbitrage, a décidé de sanctuariser les moyens financiers dont disposera la défense nationale.
À cet égard, mes chers collègues, les chiffres sont clairs : le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 maintient les ressources du ministère de la défense à leur niveau actuel jusqu’en 2016, soit 31, 4 milliards d’euros par an, et prévoit qu’elles augmenteront ensuite pour atteindre 32, 5 milliards d’euros en 2019 ; au total, donc, elles se monteront à 190 milliards d’euros sur l’ensemble de la période.
Ainsi, le projet de loi de programmation militaire maintient les ambitions de défense de la France, tout en tenant compte de l’objectif de redressement des finances publiques, dont la dégradation est elle-même devenue un enjeu de souveraineté : mes chers collègues, j’attire amicalement votre attention sur le fait que, si la défense est aujourd’hui le troisième poste de dépenses de l’État, elle vient après l’éducation et après la charge de la dette, qui est le premier budget de la Nation !
Dans un contexte où l’ensemble des démocraties occidentales, en Europe mais aussi outre-Atlantique, procèdent à des coupes drastiques dans leur budget de défense, la décision de préserver notre effort mérite, à mes yeux, d’être saluée et soutenue.
Grâce à cette loi de programmation militaire, la France sera en effet l’un des rares pays européens dans la situation de pouvoir protéger, de manière autonome, son territoire et sa population, au moyen d’une dissuasion maintenue dans ses deux composantes, et d’intervenir militairement hors de son territoire pour préserver ses intérêts, protéger ses ressortissants et tenir son rang sur la scène internationale.
Afin de dégager les marges de manœuvre nécessaires à la poursuite de ces ambitions, le projet de loi de programmation militaire prolonge, mais de façon plus modérée, la réduction du format de nos armées prévue par la précédente loi de programmation militaire.
Moins nombreuses mais mieux armées, nos forces vont bénéficier de l’arrivée d’équipements nouveaux, qui accroîtront leur efficacité opérationnelle, n’est-ce pas, monsieur le ministre. Je pense en particulier aux drones MALE, aux avions de transport tactique A400M et aux ravitailleurs en vol MRTT, dont l’absence s’est fait sentir lors des derniers engagements de nos forces, tant en Libye qu’au Mali.
Plus généralement, le projet de loi de programmation militaire prévoit la poursuite de tous les programmes d’équipements, sans compter, comme M. le ministre l’a réaffirmé il y a quelques instants, le lancement d’une vingtaine de programmes nouveaux.
Entre autres équipements, nos forces armées recevront le premier sous-marin d’attaque nucléaire de la classe Barracuda et six frégates de premier rang FREMM. En outre, la livraison des avions de combat Rafale sera poursuivie, de même que la modernisation des moyens de transport et de combat terrestres grâce au lancement du programme Scorpion.
En définitive, les efforts budgétaires prévus et les orientations tracées, en particulier la priorité donnée aux équipements, au renseignement et à la cyberdéfense, permettront à la France de disposer d’un outil de défense moderne et adapté.
Le projet de loi de programmation militaire comporte aussi un important volet normatif, touchant notamment au renseignement et au traitement pénal des affaires militaires.
Comme l’ont montré certaines affaires récentes, une forte demande se manifeste dans l’opinion publique pour un contrôle démocratique plus poussé des services de renseignement ; à mes yeux, il est important d’y répondre. N’a-t-on pas vu, lors des affaires en question, le précédent Président de la République fragilisé par l’absence d’un tel contrôle parlementaire, qui constitue une garantie donnée au peuple de meilleure utilisation de ces services ?
Mes chers collègues, j’ai la conviction que le présent projet de loi de programmation militaire nous permettra de franchir une nouvelle étape dans le contrôle parlementaire sur les services de renseignement, sans voyeurisme ni chicanerie, tout en prévenant le risque d’une judiciarisation ou d’une médiatisation excessive, tant en ce qui concerne les agents des services que les militaires dans leur ensemble. En effet, à notre sens, le métier des armes n’est pas un métier comme les autres.
La trajectoire financière de la loi de programmation militaire préserve donc l’essentiel. Notre industrie de défense, à laquelle vous savez, monsieur le ministre, que nous sommes très attachés, sera sauvegardée, et la recherche en matière de défense bénéficiera de la sanctuarisation de ses crédits à un niveau élevé, voire de leur accroissement.
La programmation qui nous est soumise est d’une grande cohérence, mais, pour cette raison même, elle est relativement fragile : tout se tient, de sorte que l’absence de l’un des éléments de l’équilibre peut mettre en péril l’ensemble…
Pour ma part, je distingue principalement trois défis qui réclament une grande vigilance.
S’agissant, en premier lieu, des conditions d’entrée dans la programmation militaire, je constate que le projet de loi de finances pour 2014, que notre assemblée va examiner prochainement et qui correspond au premier jalon dans la période 2014-2019, est conforme, à l’euro près. L’engagement de maintenir le budget de la défense, porté par le Président de la République, chef des armées, et par le ministre de la défense, est par conséquent respecté.
Toutefois, monsieur le ministre, j’ai certaines inquiétudes en ce qui concerne la fin de gestion de l’année 2013 : elles portent sur les surcoûts liés aux OPEX, qui représentent 1, 2 milliard d’euros, dont plus de la moitié résulte de l’opération Serval, au Mali ; elles portent aussi sur la levée des crédits mis en réserve, pour un montant de 1, 54 milliard d’euros, et, enfin, sur le coût lié aux dysfonctionnements du système LOUVOIS, pour « Logiciel unique à vocation interarmées de la solde », évalué à 100 millions d’euros.
Il faut absolument éviter, dès l’entrée dans la période de programmation, un report de charges qui pourrait atteindre, au total, 3 milliards d’euros – n’est-ce pas, monsieur Gautier ?