Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de le constater, la contrainte budgétaire constitue la colonne vertébrale du présent projet de loi de programmation militaire.
Dans ce contexte, la préservation d’une enveloppe de 31, 5 milliards d’euros pour la défense pour les trois prochaines années devrait permettre d’éviter le pire, à savoir le déclassement de notre outil de défense, conformément aux appels lancés depuis plusieurs mois par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Ce projet de loi de programmation militaire n’apaise pas, pour autant, l’ensemble de nos inquiétudes. Je souhaite revenir sur certaines d’entre elles.
Tout d’abord, nous nous interrogeons, monsieur le ministre, sur l’équilibre budgétaire de ce texte. Est-il réellement tenable sur la période de programmation ? Ce serait d’ailleurs une première dans l’histoire des lois de programmation militaire…
Les chiffres sont connus de tous. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 s’élèveront pour la mission Défense à 190 milliards d’euros courants, dont 183, 9 milliards d’euros de crédits budgétaires et 6, 1 milliards d’euros de ressources exceptionnelles. Or ces ressources exceptionnelles, issues de la cession de bandes hertziennes et de biens immobiliers, seront-elles au rendez-vous ?
Au regard des difficultés rencontrées par la politique immobilière de l’État, est-il prudent de faire reposer l’équilibre de ce projet de loi de programmation militaire sur près de 6 milliards d’euros de recettes immobilières, d’autant que l’introduction d’un dispositif dérogatoire permettant la cession accélérée des immeubles du ministère ne pourra que partiellement faciliter ce bouclage budgétaire ?
La réduction des effectifs est une autre clé arithmétique du projet de loi de programmation militaire. Selon ce dernier, les réductions nettes d’effectifs s’élèveront entre 2014 et 2019 à plus de 33 000 postes équivalents temps plein. Les postes de soutien seront les premiers affectés par ces réductions, mais nous savons que les forces opérationnelles seront également touchées.
Cela m’amène à la question centrale du format de nos troupes. La France pourra-t-elle maintenir, avec ces réductions significatives d’effectifs, sa capacité de projection et de rayonnement ?
Nul doute que la capacité de projection de nos armées demeure un formidable outil d’influence au service de notre diplomatie, comme en témoigne l’opération Serval. Cette capacité ne restera cependant pertinente que si elle est dotée de moyens suffisants. Selon le Livre blanc, la France doit être en mesure de déployer entre 15 000 et 20 000 hommes en opérations extérieures afin de protéger ses ressortissants, de défendre ses intérêts et d’honorer ses engagements internationaux.
Monsieur le ministre, les militaires de haut rang que nous avons entendus en commission nous ont assuré que, dans quelques années, la France serait toujours en mesure d’intervenir comme elle l’a fait au Mali. Mais pourra-t-elle faire davantage, le cas échéant, dans un contexte international des plus incertains ?
Avec un contingent réduit, pourrons-nous encore assumer toutes nos responsabilités ? Le malaise est particulièrement présent au sein de l’armée de terre, qui a déjà subi de plein fouet les réformes précédentes, assorties de réductions d’effectifs massives. Les récentes interventions extérieures ont pourtant prouvé que les troupes terrestres restaient une composante indispensable de notre dispositif opérationnel.
Quid également de l’avenir de nos forces pré-positionnées, notamment sur le continent africain ? Nous travaillons actuellement, au sein de la commission des affaires étrangères, sur la présence de la France en Afrique aujourd'hui et nous n’évacuons évidemment pas cet aspect des choses. L’utilité de ces forces a clairement été validée lors de l’opération au Mali, avec le dispositif Sabre. Compte tenu des menaces qui persistent dans la zone sahélo-saharienne, la Corne de l’Afrique ou le golfe de Guinée et qui affectent directement la sécurité européenne, elles sont bien des points d’appui essentiels, qu’il convient de conforter tout en les adaptant aux nouveaux théâtres d’opérations.
Plus généralement, cette réduction du format de nos armées appelle une relance concrète de la défense européenne, notamment au travers d’une mutualisation de nos moyens. C’est dans cet esprit que je présenterai tout à l’heure un amendement relatif à la brigade franco-allemande, la BFA. Si elle reste un symbole fort de la réconciliation franco-allemande, la BFA dispose de réelles capacités de combat, qu’il faudrait mobiliser via une doctrine d’emploi renouvelée. Je sais qu’il s’agit là aussi d’une question difficile, mais la période de choix que nous vivons peut être l’occasion de redéfinir pour de bon, avec nos partenaires allemands, les missions et la capacité opérationnelle de la BFA, y compris sur les théâtres extérieurs, plutôt que de la condamner à disparaître silencieusement.
Autre point important, la pérennité et la compétitivité de notre industrie de défense seront-elles assurées au travers de ce projet de loi de programmation ?
L’industrie de défense n’est pas une industrie comme les autres. Elle est garante de notre indépendance stratégique et constitue le pilier essentiel de notre politique de défense. Elle est également porteuse d’emplois et contribue au dynamisme de notre économie.
Si le projet de loi de programmation militaire maintient les grands programmes d’équipement des forces armées – FREMM, Barracuda, Scorpion, etc. –, la baisse du volume des commandes et la réduction du rythme de livraison vont nécessairement impliquer la prolongation de la durée de vie des équipements existants. Le glissement des programmes aura des conséquences sur les industriels et les sous-traitants, alors que les PME de la filière défense emploient près de 20 000 personnes.
Afin d’élargir les débouchés, le développement des contrats d’exportation doit devenir un objectif majeur, aussi bien pour les grands groupes que pour les nombreuses PME innovantes du secteur. Sur ce point, nous ne doutons pas, monsieur le ministre, de votre implication et de votre disponibilité pour accompagner les industriels du secteur, tout en leur apportant le soutien politique indispensable.
Permettez-moi, à ce stade, de revenir brièvement sur la dimension stratégique. De quelle manière appréhendons-nous, avec ce projet de loi, l’horizon stratégique immédiat et à venir ? Trois aspects retiennent mon attention.
Tout d’abord, la dissuasion nucléaire est réaffirmée comme protection ultime de notre pays contre des agressions visant nos intérêts vitaux. Au-delà des critiques dont elle peut faire l’objet, force est de constater que la dissuasion nucléaire, maintenue à un niveau de stricte suffisance, constitue un outil d’influence majeur.