Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce nouveau projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 a pour objet la mise en œuvre des grandes orientations de notre politique de défense définies par le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Lors du débat que nous avions eu ici même sur ce document, notre groupe avait exprimé des désaccords sur certaines conceptions stratégiques.
Nous estimions, essentiellement, que ces grandes orientations ne correspondaient pas à une conception de la défense nationale propre à la fois à protéger les intérêts de notre pays et de son peuple, à appuyer une politique étrangère et d’influence de la France qui permette d’avancer vers un monde plus juste et plus solidaire et à faire progresser de manière multilatérale la paix et le désarmement. Nous avions également relevé qu’il n’y avait pas de différence assez nettement affirmée avec la politique menée par le précédent Président de la République.
À cet égard, sans évoquer maintenant la dissuasion nucléaire – j’y viendrai ultérieurement –, je prendrai deux exemples : la décision de réintégrer pleinement le commandement militaire de l’OTAN et la réorientation stratégique majeure qu’a constitué la création d’une base militaire interarmées à Abou Dhabi.
Le Livre blanc et les choix du Président de la République marquent une continuité dans l’approche de ces deux questions, que les forces de gauche avaient pourtant critiquée ensemble.
Concernant la réintégration des structures de commandement de l’OTAN, les justifications données à l’époque ne sont pourtant toujours pas convaincantes. Il s’agissait alors de renforcer l’influence de la France au sein de l’Alliance atlantique, qui, paraît-il, n’était pas à la hauteur de notre contribution humaine et financière. Or le poids de notre pays dépend, aujourd’hui comme hier, beaucoup plus de sa volonté politique, de ses capacités et de son savoir-faire militaires que de son statut au sein du commandement militaire intégré. Nicolas Sarkozy voulait aussi rassurer nos partenaires européens, en affirmant que nous n’entendions pas concurrencer l’OTAN, et, dans le même temps, leur faire partager l’idée qu’il était nécessaire de faire progresser l’Europe de la défense.
Or le statut spécifique de la France nous permettait d’afficher une réelle autonomie de décision par rapport aux États-Unis et de prouver notre volonté d’élaborer en Europe une politique commune de sécurité et de défense. Rien n’a changé sur ces points, et nous le regrettons.
Depuis, aucune avancée décisive de la politique européenne de sécurité et de défense n’est intervenue sur des questions structurantes comme la création d’un état-major permanent de conduite et de planification des opérations ou celle d’une agence européenne de l’armement dotée d’une réelle autorité.
Le projet de loi de programmation militaire entérine cette réorientation stratégique majeure, avec la caution du Livre blanc.
Il en va de même pour l’autre réorientation stratégique d’importance qu’a constitué l’accord de défense passé en mai 2009 avec les Émirats arabes unis. Cet accord révélait ainsi une dispersion de nos capacités et un redéploiement de certaines d’entre elles pour nous aligner, une nouvelle fois, sur la politique des États-Unis en insérant nos forces au sein de leur dispositif dans cette région.
Sur ces questions éminemment stratégiques, qui conditionnent notre politique de défense, le Président de la République est resté dans la continuité de son prédécesseur.
Nos désaccords persistent, monsieur le ministre, et vous ne serez donc pas étonné que cela ait quelques répercussions sur l’appréciation globale que nous portons sur votre projet de loi de programmation.
Cependant, je voudrais tout d’abord souligner que votre grand mérite et celui de ce projet de loi est de tenter, avec un certain succès, de résoudre une difficile équation : préserver l’essentiel, c’est-à-dire maintenir notre niveau stratégique et notre statut international, en étant capables de tout faire – la dissuasion nucléaire, la protection du territoire et la projection de forces –, avec un budget fortement contraint.
En effet, vous avez réussi, avec le renfort notable des commissions de la défense des deux assemblées, à obtenir des arbitrages permettant la stabilisation du budget de votre ministère à son niveau de 2013 jusqu’en 2016, soit 31, 4 milliards d’euros par an. Il y a pourtant un bémol, car cela signifie qu’il reculera en volume sous l’effet de l’inflation. Puis il s’accroîtra légèrement à partir de 2017 pour culminer à 32, 51 milliards d’euros en 2019.
Pour une bonne part, l’équilibre budgétaire devrait être assuré par 6, 2 milliards d’euros de recettes/ressources exceptionnelles, constituées par des cessions immobilières – l’expérience montre que ce type de recettes est par nature aléatoire –, la mise aux enchères de bandes de fréquences, des projets d’investissements d’avenir et peut-être – mais je souhaiterais que vous m’assuriez du contraire, monsieur le ministre – des nouvelles cessions de participations de l’État dans certaines entreprises.
Il s’agit selon nous d’une ligne rouge à ne pas franchir. De telles cessions constitueraient, à nos yeux, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans un secteur aussi déterminant pour l’indépendance et la souveraineté nationales.
Par ailleurs, si les crédits consacrés à l’investissement et à l’équipement des forces s’élèveront à un peu plus de 17 milliards d’euros par an de 2014 à 2019, il faut relever que cet effort s’opère aussi pour partie au détriment du budget de fonctionnement des armées.
En outre, si le renouvellement des matériels – qui relève des crédits d’équipement – bénéficie du maintien d’un volume de crédits significatifs sur toute la période, votre programmation réduit fortement le rythme de livraison des matériels sur les deux années à venir.
Cela aura des conséquences négatives, sur lesquelles je reviendrai, et aboutira à ce que, en matière d’équipements, notre défense perde la moitié de sa capacité d’action conventionnelle sur la période couverte par les deux dernières lois de programmation.
En revanche, il faut se féliciter que des financements importants soient prévus pour relancer l’entraînement des forces, après une nette diminution depuis plusieurs années.
Votre projet de loi de programmation est volontariste, mais il repose sur un fragile équilibre.
Le travail mené par notre commission, sous la vigoureuse impulsion du président Carrère