Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 21 octobre 2013 à 14h45
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Demande de réserve

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Néanmoins, malgré ces garde-fous, je m’interroge sur la cohérence entre les moyens prévus dans votre projet de loi et les ambitions stratégiques élevées affichées dans le Livre blanc. Comment tout cela pourra-t-il réellement fonctionner avec un budget dont la stabilité repose en grande partie sur trois choix que je trouve contestables ?

En premier lieu, cette stabilité est notamment assurée au prix de la poursuite d’une diminution drastique des effectifs.

D’ici à 2009, près de 34 000 suppressions de poste interviendront, dont 10 000 avaient été programmées par le gouvernement précédent. De ce point de vue, quelle est la différence avec la politique suivie par ce dernier ?

Au total, entre 2008 et 2019, les armées auront perdu 82 000 emplois, soit un quart de leurs effectifs. Je sais que ce sont, pour l’essentiel, les fonctions de soutien et administrative qui sont affectées, et que vous avez tenté de limiter les coupes pour les forces opérationnelles, qui seront malgré tout amputées d’environ 8 000 hommes. Néanmoins, j’en conviens objectivement, les moyens en hommes et en crédits affectés aux services de renseignement et à la cyberdéfense ont été très sensiblement augmentés.

Je vous ferai tout de même le reproche, monsieur le ministre, de prolonger dans ce domaine la trajectoire dessinée par vos prédécesseurs, fondée sur le dogme de la révision générale des politiques publiques.

Comme cela a été souligné par le rapporteur pour avis de la commission des finances, cette pratique de déflation des effectifs pour faire des économies n’est pourtant même pas toujours probante d’un point de vue comptable : alors que 45 000 postes ont été supprimés, la masse salariale des personnels militaires a augmenté de 5, 5 % entre 2008 et 2012.

Les quelque 40 millions d’euros prévus dans votre programmation budgétaire pour financer des mesures d’accompagnement et d’incitation semblent très insuffisants.

Le mécontentement, l’inquiétude, l’amertume des militaires et de leurs familles sont profonds. Ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment reconnus pour les difficiles missions qu’ils remplissent, et estiment que l’armée est la seule institution à se réformer autant, tout en contribuant plus que d’autres à l’effort de redressement des comptes publics.

Ces sentiments diffus ne peuvent plus être traités comme ils l’ont été auparavant, sauf à risquer une grave crise au sein de nos armées ; je sais que vous en êtes conscient, monsieur le ministre. Tout en respectant la spécificité militaire, il est urgent de prendre des dispositions novatrices pour repenser le dialogue et la concertation au sein de l’institution. Celle-ci aurait d'ailleurs tout à y gagner

La conjugaison de tous ces éléments ne peut être sans conséquences néfastes sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, qui risque d’être affaibli. La disparition d’unités, de bases ou d’établissements a malheureusement toujours de graves incidences sur nos territoires et leurs populations, même si vous nous assurez tenir compte des expériences passées et vouloir agir avec plus de discernement, en favorisant le dialogue. Je connais bien cette situation dans mon département, déjà sinistré par les fermetures d’entreprises, où la fermeture de la base aérienne de Cambrai a été vécue très douloureusement.

Je voudrais, en deuxième lieu, évoquer les effets de votre programmation budgétaire sur les prises de commandes auprès de nos industries d’armement.

Fort judicieusement, vous vous êtes refusé, monsieur le ministre, à interrompre les programmes conduits en coopération européenne, mais la réduction du rythme des livraisons de matériels aura des répercussions négatives sur l’engagement des industriels à produire aux coûts négociés par la Direction générale de l’armement au moment des lancements de programmes. C’est sûrement un effet pervers des économies que vous recherchez.

En effet, devenant moins rentable pour les industriels, chaque équipement livré risque, au total, de coûter plus cher que prévu. Cela peut concerner le Rafale, les avions ravitailleurs ou le nouvel avion gros porteur A 400M, mais aussi les frégates multimissions ou le véhicule de combat d’infanterie.

Cela risque aussi d’affecter notre cohérence capacitaire en ne comblant pas les « trous » existants, par exemple en matière de transport stratégique, d’avions de ravitaillement, de renseignement par drones ou d’armes de destruction des défenses anti-aériennes.

L’allongement des délais de livraison des matériels aura également des répercussions sur l’emploi et le savoir-faire de nos industries de défense.

En termes d’emploi, les industriels, sans doute de façon alarmiste, j’en conviens, et pour justifier le maintien de leurs marges, prévoient la perte de 10 000 emplois directs et d’autant d’emplois induits.

Moins d’équipements pour plus cher, ce sera l’un des paradoxes de cette programmation budgétaire, à moins, monsieur le ministre, que vous ne réussissiez, comme cela a été le cas dernièrement, à remporter quelques marchés à l’exportation.

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