Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous achevons, avec l’examen de ce texte, un cycle commencé avec les premières réunions de la commission chargée de l'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, voilà un peu plus d’un an. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, qui s’était préparée à ce travail, a pris sa part dans ce débat.
Ce fut, au regard des différents contextes, un exercice de lucidité.
D’abord, le contexte stratégique est toujours plus complexe : les menaces multiformes foisonnent et risquent de mettre à mal les diagnostics les mieux établis, au moment où les États-Unis annoncent et entament un mouvement de « pivot », ou plus exactement de « réajustement », vers l’Asie et la Chine, où ce que l’on a nommé les révolutions arabes paraissent s’inscrire dans un temps long et où notre voisinage proche, au Sud, devient de plus en plus sensible.
Ensuite, le contexte économique est difficile, en raison de la crise financière qui ébranle les fondamentaux de notre modèle de société.
Enfin, le contexte stratégique voit nos armées très sollicitées simultanément sur de multiples terrains – en Côte d’Ivoire, en Libye, en Afghanistan, au Mali, dans l’océan Indien, en République centrafricaine –, alors même qu’elles vivent sous contrainte budgétaire des réformes successives : la professionnalisation, la réduction des effectifs prévue par le précédent Livre blanc, la révision générale des politiques publiques, la mise en place des bases de défense.
Ayant été votée au début de la crise, la dernière loi de programmation militaire, ambitieuse pour nos armes, ne pouvait plus être respectée. Comme pour toutes les lois de programmation militaire précédentes, la dérive entamée a impliqué une actualisation, qui était d’ailleurs prévue.
Le nouveau Livre blanc a défini des contrats opérationnels réalistes, le format de nos armées pour y satisfaire et les niveaux de matériels nécessaires pour les équiper.
Je veux témoigner, monsieur le ministre, que la réflexion collective conduite sous l’autorité du Président de la République, chef des armées, l’a été en ayant sans cesse à l’esprit les acteurs de la communauté de la défense nationale : personnels militaires et civils du ministère, personnels des industries de l’armement, qu’ils soient dans les grands groupes ou dans les PME. C’est à cette aune qu’ont été opérés les choix et prises les décisions.
Que faut-il penser de ce projet de loi ? Je vous livrerai quelques réflexions, parfois sous forme d’interrogations.
Premièrement, s’agit-il d’une bonne loi de programmation militaire ? Je répondrai par l’affirmative, non seulement par solidarité avec le Gouvernement, mais aussi parce qu’il y a de bonnes raisons de le croire.
D’abord, sa trajectoire financière traduit le maximum de l’effort qui était possible dans le contexte budgétaire actuel. La remise en ordre des comptes publics est une priorité absolue et une condition essentielle de l’exercice de la souveraineté nationale. Le ministère de la défense y prend donc sa part, et l’arbitrage du Président de la République, conformément d’ailleurs à ses engagements, maintient les moyens essentiels à notre défense. Cet effort permet de préserver l’indépendance de la France et son autonomie de décision, ainsi que de conserver les deux composantes de la dissuasion nucléaire et d’engager leur modernisation, gage de leur crédibilité. Il permet en outre d’assurer la protection du territoire en métropole et outre-mer et de donner les moyens à nos forces armées d’intervenir sur des théâtres extérieurs, comme ce fut le cas ces dernières années. Ce n’est pas rien !
Ensuite, cet effort financier préserve la cohérence capacitaire du nouveau modèle d’armée. Dans la continuité de la précédente LPM, ce projet de loi prévoit la poursuite de l’ensemble des programmes majeurs d’équipements, sans en interrompre aucun, même si certains seront étalés dans le temps, ce qui n’est, convenons-en, jamais satisfaisant.
Enfin, il faut le dire, ce projet de loi donne la priorité aux équipements, choix d’autant plus remarquable que, dans une enveloppe stagnante, les crédits qui leur sont consacrés passeront de 16 milliards à 18 milliards d’euros en 2019, pour s’établir à plus de 17 milliards d’euros en moyenne. De plus, quelques carences capacitaires seront très progressivement comblées. Je pense, naturellement, au transport, aux drones et au ravitaillement en vol. Si l’on ajoute que les crédits de recherche et technologie seront sensiblement augmentés – la commission vous demande, monsieur le ministre, de les attribuer judicieusement –, on peut dire que les industries d’armement ne sont pas si mal traitées. Ce n’était pas gagné d’avance, et vous n’avez pas ménagé votre peine, monsieur le ministre, pour obtenir ce résultat. Mes chers collègues, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, à savoir que c’est là le texte dont on rêvait !
Deuxièmement, tout l’art de la programmation militaire réside dans son exécution. Cette loi-là, si elle est adoptée, sera-t-elle fidèlement exécutée ?
Aucune des lois de programme ou de programmation précédentes n’a jamais été totalement exécutée. Celle de 2008 n’a d’ailleurs pas été la plus mauvaise, il faut le dire, de ce point de vue !