Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 21 octobre 2013 à 14h45
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Demande de réserve

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est l’une des grandes nations militaires du monde. Pour les experts du Pentagone, l’autre grande puissance militaire européenne, le Royaume-Uni, n’aurait pas été capable, seule, de projeter ses troupes sur les théâtres d’opérations de la Libye et du Mali comme l’a fait notre pays. Nous en sommes fiers, et à juste titre. Malgré les contraintes budgétaires, le Livre blanc et le projet de loi de programmation militaire qui en est issu sont l’expression de cette satisfaction.

Notre monde a changé depuis 1945, et surtout depuis 1989. Aujourd’hui, les risques et les menaces ne sont plus étatiques ou continentales. Nous n’affrontons plus l’Allemagne. Nous ne combattons plus le pacte de Varsovie. Dans le prolongement de l’action de vos proches prédécesseurs, monsieur le ministre, votre projet de LPM est la constatation que la construction européenne a contribué à pacifier notre continent et qu’il est inutile, en Europe, de préparer manœuvres et exercices dans l’hypothèse d’une invasion d’un pays voisin, comme la Suisse l’a pourtant fait…

Malgré cela, monsieur le ministre, l’Européen convaincu que je suis regrette que le projet de LPM laisse la défense européenne dans un angle mort.

Le xxie siècle voit l’émergence de grands ensembles continentaux et le retour à un réarmement généralisé des grands pays émergents, notamment dans la zone Asie-Pacifique, où l’Europe est présente par le biais des territoires français. Ce mouvement recoupe le désengagement relatif des États-Unis, encore puissance globale, de la scène européenne et moyen-orientale.

C’est à l’échelle de notre continent que doit se mesurer une défense adaptée au xxie siècle.

Le présent projet de loi de programmation militaire, qui manifeste cette absence d'ambition européenne, illustre les difficultés structurelles que nous rencontrons, en France, pour nous projeter dans ce grand projet fédéraliste. En effet, face à un monde qui change plus rapidement que nous, la France et ce projet de LPM restent prisonniers d’une logique westphalienne de la défense qui n’est pas à la mesure du monde qui se dessine sous nos yeux.

Dans un récent rapport d’information que j’ai commis avec quelques collègues de la commission des affaires étrangères, nous avons déclaré la mort clinique de la défense européenne pour en appeler à une véritable Europe de la défense. Les difficultés rencontrées sont historiques. Depuis 1954 et l’échec de la Communauté européenne de défense, la CED, il est apparu que la seule solution de défense européenne viable était celle définie dans le cadre de l’OTAN.

Ni l’Union de l’Europe occidentale ni la PESD – la politique européenne de sécurité et de défense – définie par le traité de Maastricht ne sont parvenues à donner à notre continent l’impulsion nécessaire à la construction d’une grande défense fédérale à l’échelle d’un monde globalisé.

Les inégalités militaires, la divergence des doctrines stratégiques et des intérêts nationaux entre États membres ont fortement réduit l’ambition défensive de l’Europe. Les forces européennes de défense sont soit des forces de police périphériques, soit des forces supplétives engagées dans des opérations pour le maintien de la paix.

Au-delà des missions de Petersberg en matière humanitaire ou de lutte contre le terrorisme ou la piraterie, nous n’avons pas de doctrine claire d’emploi des forces actuelles de la politique européenne de sécurité et de défense commune instaurée par le traité de Lisbonne.

Or, l’article 24 du traité sur l’Union européenne tel que modifié par le traité de Lisbonne stipule que les États membres s’engagent dans « la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ».

À l’instar du rapport d’information de notre commission, du texte préparatoire de la Commission européenne du 27 juillet 2013 ou de la communication de Mme Ashton en date du 15 octobre dernier, je refuse de croire que la mutualisation des moyens suffise à concevoir une défense européenne.

Monsieur le ministre, nous avons besoin de gestes forts. Les sénateurs du groupe UDI-UC entendent que la France soit le fer de lance d’une impulsion politique, et non pas seulement économique et financière. Nous souhaitons que la France soutienne cette ambition à l’occasion du Conseil européen de décembre, qui, je le rappelle, sera presque intégralement dédié à la question de l’Europe de la défense.

C’est à la France, première puissance militaire d’Europe, de porter l'ambition politique de l’Europe de la défense. C’est à la France d’être le catalyseur et l’aiguillon de cette ambition. C'est à la France d'entraîner les peuples européens à prendre conscience d'eux-mêmes.

Quelle feuille de route comptez-vous dresser pour redéfinir les fondements d’une politique européenne de la défense ? Quels moyens entendez-vous mobiliser, et en fonction de quelle vision ? J’espère que le débat qui s’ouvre, que la discussion budgétaire qui suivra et le débat qui précédera le Conseil européen de décembre vous permettront, monsieur le ministre, de répondre à nos inquiétudes, car nous savons que ce sujet vous tient à cœur. §

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