Je concentrerai mon propos sur quelques points.
Tout d’abord, le projet de loi de programmation militaire réaffirme le maintien des deux composantes de notre dissuasion nucléaire. C’était capital ! La dissuasion nucléaire, dans son intégralité, est la clé de voute de notre indépendance. Notre rapport sur l’avenir des forces nucléaires françaises semble donc avoir été lu. Je vous le dis très gentiment, madame Bouchoux, le débat a eu lieu et a été tranché !
Ensuite, je veux m’attarder sur un autre point qui est pour moi primordial.
La défense, c’est toute une communauté : une communauté d’hommes et de femmes qui servent ou ont servi la France, une communauté aussi de groupes industriels, d’entreprises, petites et moyennes ; l’avenir de près de 165 000 emplois directs et autant d’emplois indirects, de centaines de PME dépend de commandes de programmes. Le respect de l’agenda de ces commandes est donc essentiel.
La survie de ce secteur dépend également de l’exportation, si indispensable à notre économie. Cependant, pour exporter des matériels, encore faut-il qu’ils aient été développés et acquis pour nos propres forces ; c’est une évidence ! Chaque euro dédié à l’équipement de nos armées constitue en fait un gage à la fois d’accroissement de nos exportations et de dynamique pour la recherche et toute notre industrie, au-delà même de la seule industrie militaire. Il importe donc de résister à la tentation persistante – réflexe classique en temps de difficultés financières et économiques – qui imposerait que la défense soit une variable d’ajustement et que les crédits d’équipements soient « ajustés », dira-t-on pudiquement. Sur ce point, il me paraît qu’il ne faut pas transiger.
Le maintien de notre effort de défense à 1, 5 % du PIB est la limite plancher, j’y insiste, en dessous de laquelle il y aura des décrochages capacitaires, technologiques et stratégiques. C’est aussi une garantie minimale contre le décrochage à l’export.
La « clause de retour à meilleure fortune » introduite par notre commission est importante, mais elle ne doit pas faire oublier, si la croissance et les recettes demeuraient modestes, que la défense ne peut alors être une nouvelle « variable ». Il faudra examiner les propositions de nos commissaires en matière notamment de cession de capital, sujet développé précédemment par Jacques Gautier.
Je ne reviendrai pas sur les trajectoires budgétaires. Celles-ci reposent sur des déflations d’effectifs de statut militaire, j’insiste sur ce point, très – trop – sensibles, notamment pour l’armée de terre – c’est ce qui m’inquiète –, ainsi que sur des recettes exceptionnelles, que nous espérons tous non aléatoires.
À propos des effectifs et de leur évolution entre militaires, civils et sous-traitants, les propos tenus au début de l’après-midi par notre collègue Dominique de Legge me paraissent très importants. Il a défini, autour de quelques principes incontournables, l’indépendance et l’autonomie, les situations, notamment en OPEX, où nous avons besoin de militaires.
Le budget des OPEX est déjà largement sous-doté, à 450 millions d’euros par an. C’est trop peu face à la nouvelle géopolitique maritime, alors que nous devons lutter efficacement, notamment avec nos partenaires européens, contre la piraterie et ces flibustiers modernes ; c’est trop peu pour nos hommes qui sont envoyés très souvent en opérations extérieures.
Pour 2013, les surcoûts des OPEX s’élèveraient à 610 millions d’euros. L’opération Serval au Mali et le dispositif Sabre seraient évaluées à 647 millions d’euros. Le coût des OPEX de cette année peut donc être estimé à 1, 257 milliard d’euros. Il faut savoir que c’est seulement depuis 2003 que les dotations pour les OPEX sont inscrites en loi de finances, « le reste à payer » relevant d’un financement interministériel. Mais comment allons-nous absorber un tel dépassement ? Le président Carrère comme la commission se sont exprimés sur ce point, et nous ne pouvons nous contenter des réponses de Bercy sur ce sujet majeur, monsieur le ministre.
Les législateurs que nous sommes ne sont ni prestidigitateurs ni schizophrènes. Nous ne pouvons pas ignorer la réalité des finances publiques. Elle nous sera d'ailleurs rappelée à chaque vote du budget de la défense, et c’est là le premier danger pour la loi de programmation militaire. Nous devrons donc être intraitables.
Je voudrais intervenir sur un autre point, celui du renseignement.
Le projet de loi prévoit un accroissement des pouvoirs des parlementaires. Dans un premier réflexe, ici, au Sénat, comme dans toute assemblée parlementaire, nous pourrions nous en satisfaire. La révision constitutionnelle de 2008, je le rappelle, allait d'ailleurs en ce sens. Qui se plaint aujourd’hui du vote sur l’autorisation de prolongation des OPEX ? Mais gardons-nous de tout mélange des genres. Nous devons laisser travailler les services dans la sérénité. Je le dis au président Sueur, avec l’expérience qui est la mienne comme membre de la commission consultative du secret de la défense nationale, je ne partage pas les analyses qu’il a développées ce matin.