S’ils sont identiques, ces deux amendements de suppression n’ont pas exactement la même motivation.
La proposition de la commission des lois, tout d'abord, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. En réalité, en ne déposant qu’un seul amendement au volet « judiciarisation » de la loi de programmation militaire, à l’article 17 du texte, la commission des lois a manifesté son adhésion à l’équilibre proposé par le Gouvernement, entre le droit, pour les victimes, d’accéder à la justice et la nécessaire sécurisation des actions de combat.
En particulier, les articles 18 et 19, tels que nous les avons rédigés, qui constituent le cœur du dispositif, n’ont pas été amendés. Je m’en félicite vivement : c’est une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que ces dispositions, très attendues par les militaires, sont aussi considérées comme justifiées et proportionnées du point de vue des droits fondamentaux.
Cette adhésion est d’autant plus importante que se tient, ces jours-ci, le procès des pirates du Tanit. En effet, c’est précisément ce type d’opérations spéciales que nous avons voulu sécuriser juridiquement, dès 2005, dans la loi portant statut général des militaires, et aujourd’hui encore, avec le volet « judiciarisation » de la loi de programmation militaire.
Monsieur Sueur, selon vous, l’article 17 mériterait d’être supprimé car il serait sans effet, la pratique des magistrats étant déjà très souple. C’est vrai aujourd’hui, mais cela n’a pas toujours été le cas ! Par le passé, l’enquête en recherche des causes de la mort a pu être appliquée de manière systématique et, pour tout dire, quelque peu forcenée, ce qui a causé, d’ailleurs, l’incompréhension et la suspicion des familles, qui ne pouvaient pas comprendre pourquoi des enquêtes judiciaires étaient ouvertes et aussitôt refermées. Du reste, ce n’est qu’une pratique, et le retour à une application du texte stricto sensu n’est pas exclu.
En outre, dans certains cas où la cause de la mort est évidente – le parquet de Paris nous a cité l’exemple des attaques « green on blue » d’infiltrés afghans ou celui des décès causés par les engins explosifs –, le commandement de la prévôté, ces gendarmes officiers de police judiciaire projetés aux côtés de nos forces sur les théâtres d’opération, sous la direction du procureur de Paris, ont développé une pratique de renseignement judiciaire plus légère que l’enquête en recherche des causes de la mort.
Enfin, la rédaction que nous propose le Gouvernement contient un aspect supplémentaire, consistant à présumer qu’il n’est pas anormal de mourir lors d’une action de combat. Bien évidemment, il s’agit d’une présomption simple, que le juge pourra renverser s’il a le moindre doute – par exemple, s’il y a eu une dispute entre camarades avant le combat ou un tir dans le dos. Néanmoins, cette rédaction nous paraît mieux refléter la spécificité de l’action militaire. Les symboles ont parfois leur importance.
Par ailleurs, l’avis négatif du Conseil supérieur de la fonction militaire a été rendu dans le climat que chacun connaît, à la suite de discussions assez vives sur la réforme des retraites. Et je dois dire que les militaires comme les gendarmes et les magistrats que nous avons rencontrés sont favorables au texte du Gouvernement.
S’agissant de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la CEDH, nous ne partageons pas l’analyse des auteurs de l’amendement n° 41. Il est vrai que l’article 2 de ce texte impose une forme d’enquête effective, mais je rappelle que l’enquête en recherche des causes de la mort n’a pas vocation à se substituer à l’enquête pénale proprement dite : dès que les circonstances de la mort sont élucidées, cette enquête s’achève et conduit soit à l’ouverture d’une enquête pénale, soit à un classement sans suite, selon que les causes de la mort sont ou non d’origine délictuelle.
Même à ce stade très préliminaire, la procédure du renseignement judiciaire nous paraît satisfaire à l’obligation d’enquête effective posée par la CEDH. D’ailleurs, dans son rapport pour avis, la commission des lois, bien qu’elle soit opposée à l’article 17, qu’elle juge sans effet, n’a relevé aucun risque de contrariété avec la convention.