Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen autorise l’approbation de l’avenant à la convention fiscale conclue entre la France et le Canada en 1975 et modifiée à deux reprises.
Cet avenant a pour objet non pas de changer les dispositions de la convention, mais d’en étendre le champ d’application à la Nouvelle-Calédonie, qui en est jusqu’à maintenant exclue. Comme Mme la rapporteur l’a signalé, cette extension répond à un besoin précis : permettre l’achèvement et la pérennisation du grand projet minier de Koniambo, dans la province Nord de l’île.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’économie calédonienne repose largement sur l’exploitation des ressources minières, notamment du nickel, dont l’île posséderait plus du quart des réserves mondiales.
Une usine de traitement du nickel existe depuis longtemps à Nouméa, au sud de l’île. L’idée d’en construire une seconde au nord est ancienne, mais elle s’est longtemps heurtée aux réticences de l’exploitant français. La province Nord étant majoritairement peuplée de Kanaks, ces derniers ont vu dans ces réticences une manœuvre politique néocolonialiste visant à les déposséder de la richesse de leurs terres. Ils ont donc posé comme préalable aux accords de Nouméa, signés en 1998, la réalisation de l’usine du nord.
La société Koniambo Nickel SAS est un consortium détenu à 51 % par la société minière kanake la SMSP, et à 49 % par une entreprise canadienne spécialisée dans l’extraction du nickel, Falconbridge, rachetée en 2006 par le groupe suisse Xstrata.
Après que, la même année, le projet d’exploitation eut été finalisé, l’usine a été mise en route au mois d’avril dernier, en tout cas pour une première coulée. Les Kanaks espèrent en tirer une rente, qui pourrait s’élever à 125 millions d’euros dès 2014, leur permettant de s’affranchir progressivement des transferts de l’État français et, ainsi, de rendre viable le projet d’indépendance de l’île, qui devrait être soumis à référendum avant 2018.
À terme, l’usine devrait employer de nombreuses personnes, notamment des Néo-Calédoniens, et porter à 15 % la part de l’île dans la production mondiale de nickel.
Seulement, pour que son engagement soit rentable, la société Falconbridge doit pouvoir rapatrier ses dividendes au Canada en franchise d’impôt, grâce au régime canadien des sociétés mères.
Ce régime, bien que critiquable, n’est en aucun cas dérogatoire au droit international. De plus, le dispositif n’aura aucune incidence budgétaire pour la France, puisque la réduction d’impôt sera à la seule charge du Trésor canadien.
Mes chers collègues, les écologistes sont par nature très vigilants à l’égard d’un modèle économique reposant quasi exclusivement sur une forme de mono-activité, en particulier lorsqu’il s’agit de l’exploitation de ressources minières, par essence épuisables. En l’espèce, ils sont d’autant plus portés à la vigilance que l’exploitation intensive du nickel est susceptible de provoquer des dégradations environnementales graves, notamment en matière de biodiversité.
Par ailleurs, le nickel est un minerai dont la valeur repose sur une économie extrêmement spéculative, fondée sur le court terme. Il faut aussi rappeler que les sociétés minières internationales sont évidemment tout sauf des enfants de chœur !
De ce point de vue, nous comprenons assez bien les réticences du groupe CRC à l’égard des multinationales minières en général, et vis-à-vis des canadiennes en particulier, qui bénéficient, de la part des autorités de ce pays, d’avantages fiscaux et en quelque sorte politiques qui dépassent parfois l’entendement.
De fait, si nous l’approuvons, cet avenant aura pour effet de permettre à la société canado-suisse Falconbridge de bénéficier des facilités propres à la Bourse de Toronto, où elle est cotée, et de jouir d’une forme de paradis judiciaire et réglementaire, qui se développe malheureusement au Canada.
Les écologistes, soucieux de la préservation de l’environnement et de l’instauration d’un contrôle accru des activités des sociétés minières, ne cachent pas leur préoccupation au sujet des éventuelles conséquences négatives de cet avenant.
Néanmoins, nous sommes également très attachés à l’idée de donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de se développer pour s’émanciper du système colonial qui l’a longtemps gouvernée, de même que nous sommes très attachés au droit à l’autodétermination de tous les peuples de la planète.
Nous le savons, l’exploitation du nickel par les Kanaks a été l’une des conditions majeures de la ratification des accords de Nouméa par les indépendantistes, qui y ont vu le moyen de sortir la province Nord de l’atrophie économique dans laquelle l’État français l’avait maintenue pendant des décennies.
Le projet a été développé en pleine concertation avec les populations et les tribus du Nord, et les bénéfices dégagés par la province seront pleinement réinvestis dans le développement et dans la diversification de l’économie locale. De plus, l’activité d’extraction s’accompagnera d’une activité de transformation sur place, rendant le produit fini moins sensible aux aléas des cours du nickel.
Naturellement, étant donné l’exceptionnelle richesse de la biodiversité terrestre et marine de l’archipel, la protection de l’environnement devra faire l’objet de toujours plus d’attention et de précaution, mais aussi de transparence et de concertation avec la société civile, qui doit être considérée, notamment sur les questions environnementales, comme un partenaire à part entière.
C’est sur le fondement de cet arbitrage, toujours délicat pour nous, écologistes, entre le respect de l’environnement et le droit des peuples à l’auto-détermination et au développement durable que nous approuverons cet avenant, tout en conservant notre vigilance critique.