Quel est l’enjeu ? La réalité, c’est que notre pays est confronté à une fracture résidentielle d’une telle ampleur qu’elle constitue une bombe à retardement qu’il nous faut absolument désamorcer. Le projet de loi ALUR entend le faire, en rétablissant l’égalité d’accès au logement. Pour y parvenir, il fallait tourner le dos à une vision qui a trop longtemps eu cours, selon laquelle le marché pourrait, seul, parvenir à répondre aux besoins collectifs en matière de logement.
Nous avons souhaité ouvrir une voie nouvelle, adaptée à la violence de la crise vécue par nos concitoyens. Cette voie est fondée sur le volontarisme et la prise en compte de la complexité. Volontarisme, parce que l’État doit jouer un rôle de régulateur des excès du marché pour garantir à chacun la possibilité de se loger. Complexité, parce qu’il est impératif que les enjeux économiques, sociaux, écologiques et, au final, civiques soient embrassés d’un même mouvement, pour qu’une politique publique du logement soit efficiente. C’est l’esprit et la lettre du texte en discussion.
Le moteur du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui se résume en un objectif : favoriser l’accès au logement pour tous. De ce « tous », nul ne doit être exclu, et surtout pas les plus précaires, qui sont frappés de plein fouet par la crise du logement. Si vous le permettez, je citerai des mots anciens de l’Abbé Pierre : « Quand la loi est ainsi faite que, pour les travailleurs, avec leur salaire légal, il est impossible d’avoir un logis pour abriter humainement un foyer, un berceau, ce n’est pas d’entreprendre une construction sans permis, c’est la loi qui est illégale ».
La logique qui a largement prévalu ces dernières années reposait sur la croyance qu’il suffisait de laisser le marché agir pour régler la crise. C’était une funeste illusion que de croire que le laisser-faire pouvait offrir des garanties d’accès au logement, d’équité et de cohésion sociale. Notre projet de loi tire les leçons de l’expérience et propose une autre voie : celle de la détermination et de l’action régulatrice de la puissance publique. Notre texte marque ainsi une rupture salutaire et rétablit le logement à sa juste place : il s’agit d’un bien de première nécessité.
Le projet de loi concrétise d’abord un engagement du Président de la République, à travers l’encadrement des loyers. Le bon sens, qui n’est le monopole d’aucune formation politique, commande de bien saisir l’urgente nécessité d’une telle démarche. Cette mesure repose avant tout sur un constat unanime : dans certaines zones, les loyers ont augmenté deux fois plus vite que l’indice des prix, ce qui a provoqué un véritable décrochage avec le niveau de revenu. Les locataires du parc locatif privé supportent les taux d’effort les plus élevés. Il faut noter que, en 2010, ils dépensaient en moyenne plus de 26 % de leurs revenus pour se loger ; les dépenses de logement de certains d’entre eux représentaient jusqu’à 40 % ou même 50 % de leurs revenus. Cette situation n’est pas soutenable. Elle n’est pas non plus acceptable.
À travers le dispositif proposé, nous avons souhaité, avec pragmatisme et réalisme, limiter les excès sans pour autant entrer dans une logique de prix administrés. L’examen du texte par l’Assemblée nationale et par la commission des affaires économiques du Sénat a renforcé notre mécanisme, le rendant à la fois plus lisible et plus efficace, notamment en fixant un seuil au loyer médian minoré.
Pour s’assurer que l’encadrement des loyers profite aux plus modestes, nous avons précisé que la fixation des loyers médians de référence s’opérerait au niveau des loyers au mètre carré. Ce sont en effet les ménages les plus défavorisés qui paient les loyers au mètre carré les plus élevés, puisqu’ils vivent dans des logements de plus petite superficie. Votre commission s’est saisie du sujet en affirmant que les caractéristiques du complément de loyer seraient exceptionnelles.
Les avancées issues du débat parlementaire sont donc importantes, et je pense que nous devons poursuivre cette dynamique et ce dialogue. C’est ensemble que nous aboutirons à un dispositif fonctionnel et pérenne qui pourra répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Une autre mesure du projet de loi est particulièrement représentative de notre volontarisme : je veux parler de la garantie universelle des loyers, la GUL. Cette garantie universelle porte l’ambition d’ouvrir, à terme, un nouvel âge de la recherche de logement. Cette ambition n’est pas vaine. Le parcours du combattant que décrivent des centaines de milliers de personnes désireuses de se loger dignement doit trouver un terme.
Si nous lui donnons vie, la GUL permettra d’apaiser les relations entre propriétaires et locataires, en les protégeant contre les coups durs de l’existence, dont nul n’est à l’abri : le locataire ne sera plus laissé seul s’il est frappé par un drame de la vie, et le propriétaire ne sera plus démuni face à l’impayé. Un tiers prendra en charge à la fois le risque et la responsabilité. Cette fonction sera assurée par des professionnels, dont l’intervention sera agréée par un cahier des charges et régulée.
Il est essentiel d’adopter cette mesure, qui, je le pense, est une mesure de concorde et, je pèse mes mots, de progrès social. En effet, la première injustice en matière de logement n’est-elle pas de s’en voir refuser l’accès ou d’être obligé de produire des preuves exorbitantes de solvabilité ? Nous devons faire reculer l’angoisse face au sentiment d’arbitraire. Les jeunes, les précaires, les familles monoparentales, les personnes âgées, et en particulier les femmes disposant d’une très faible retraite, ou encore les personnes que leur origine, leur couleur de peau ou leur patronyme expose à la discrimination, sont autant de catégories de population qui désirent sortir de cette angoisse.
La GUL permettra de lutter contre toutes les discriminations à l’entrée du logement en recréant les conditions de la confiance. Avec la GUL, les propriétaires et les locataires seront accompagnés : les propriétaires seront indemnisés, se verront proposer un plan d’apurement réaliste pour garantir leurs revenus, plus souvent modestes qu’on ne le dit, et recevront, s’il y a lieu, l’assistance nécessaire pour faire face à un locataire de mauvaise foi ; aux locataires de bonne foi, on offrira la main tendue dont chacun peut avoir besoin, et on proposera l’accompagnement nécessaire dans leur recherche d’un nouveau logement.
La GUL sera un outil nouveau au service de la détection et de la prévention des situations d’urgence sociale avant que la spirale de la dette devienne infernale. C’est pourquoi, lorsque nous avons réfléchi à la mise en place de la caution solidaire pour les jeunes promise par le Président de la République, il est vite apparu que la seule solution était de mutualiser les risques sur la base la plus large, c'est-à-dire sur l’ensemble du parc locatif privé, que pour répondre aux préoccupations de la jeunesse, il fallait répondre aux préoccupations de tous.
Cette solution ne tombe pas du ciel : elle est le fruit de plusieurs années de réflexion et d’engagements de la part de parlementaires mais aussi de ministres. Elle avait également été recommandée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, en 2010, pour faire cesser les discriminations dans le secteur du logement au cas où la garantie des risques locatifs, la GRL, ne réussirait pas.
On entend ici et là poindre l’argument selon lequel les locataires se trouveraient déresponsabilisés, absous par avance de leurs impayés. Non, naturellement ! C’est même l’inverse que permet la GUL. Les locataires de mauvaise foi, qui ne sont pas très nombreux, seront redevables vis-à-vis d’un système organisé et protecteur des propriétaires. Au propriétaire démuni face à l’impayé se substituera le relais de professionnels de l’accompagnement du locataire et du recouvrement, ce qui permettra de recouvrer efficacement l’impayé en limitant l’extension indéfinie de la dette de locataires qu’on laisse s’enfoncer.
Cela signifie-t-il que le Gouvernement veut créer une nouvelle administration ?