Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 22 octobre 2013 à 14h30
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis des dispositions de ce projet de loi relatives à la prévention des expulsions, à l’hébergement et à l’accès au logement.

Ces mesures, il faut s’en féliciter, s’inscrivent pleinement dans la continuité du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté le 21 janvier dernier. Le Gouvernement s’est fixé des objectifs clairs et ambitieux en matière de solidarité : ce texte nous en fournit aujourd’hui la traduction concrète.

L’enjeu est de taille. Accéder à un logement décent et indépendant, pouvoir s’y maintenir durablement, constitue un droit fondamental qui conditionne l’exercice de beaucoup d’autres, qu’il s’agisse du respect de la vie privée et familiale, du droit à l’emploi ou du droit à la santé. Il est ainsi la condition première d’une intégration sociale réussie.

Pourtant, l’application du droit au logement demeure encore trop souvent imparfaite. Selon la Fondation Abbé Pierre, 3, 6 millions de personnes sont en France confrontées à une situation de mal-logement, et 150 000 d’entre elles vivent tout simplement dans la rue ou sont accueillies dans des structures d’hébergement. Les excès du marché de l’immobilier renforcent la situation de fragilité économique et sociale que subissent un nombre croissant de ménages depuis plusieurs années. Au lieu d’être un facteur d’insertion, le logement devient alors source d’exclusion et de repli sur soi.

Nous le savons, les efforts de construction n’ont pas été à la hauteur des besoins au cours des dernières années, et ils sont restés trop peu centrés sur les logements les plus accessibles financièrement. De son côté, le parc d’hébergement ne parvient pas à absorber une demande qui ne cesse d’augmenter, rendant difficile le respect des principes d’inconditionnalité et de continuité de l’accueil, pourtant inscrits dans la loi. La stratégie de refondation engagée en 2009, dont on ne peut que partager l’objectif visant à faire de l’insertion durable dans le logement la priorité, est insuffisamment appliquée : le nombre de logements adaptés demeure insuffisant et la gestion des places d’hébergement reste encore largement gouvernée par l’urgence et la saisonnalité.

Répondre à ces enjeux implique bien évidemment de renforcer les moyens alloués à la construction de logements sociaux et très sociaux ainsi qu’à l’ouverture de places d’hébergement et de logement accompagnés. Le Gouvernement a pris des engagements clairs en la matière.

Parallèlement, le projet de loi ALUR fixe un cadre global et cohérent pour une meilleure articulation des politiques du logement et de l’hébergement, ce dont notre commission des affaires sociales s’est félicitée.

Les dispositions dont cette dernière s’est saisie s’articulent à notre sens autour de trois axes forts.

Elles permettent, en premier lieu, d’anticiper le plus en amont possible les situations de rupture susceptibles de conduire à la mise à la rue. Je pense en particulier à l’affirmation du rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les CCAPEX, ainsi qu’au renforcement de leur articulation avec les autres acteurs que sont notamment les préfets, les organismes payeurs des aides au logement ou les fonds de solidarité pour le logement.

En deuxième lieu, ces dispositions contribuent à assurer une plus grande fluidité des parcours de l’hébergement vers le logement et renforcent l’effectivité du droit au logement opposable, en limitant les risques de rupture. Je pense en particulier aux services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, dont le projet de loi accroît la légitimité afin de leur permettre d’assurer pleinement leur rôle de plateforme d’orientation et d’observation au niveau de chaque département. Il me semble à ce titre que nous devrons être particulièrement attentifs aux moyens dont disposeront ces services pour remplir leur mission d’observation sociale. Être en mesure d’établir une vision partagée de la demande et de l’offre disponible sur un territoire constitue en effet la condition première du bon fonctionnement du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement vers l’insertion et le logement ainsi que de son évaluation.

Enfin, en troisième lieu, ce texte est particulièrement protecteur des droits des personnes.

La participation, qui ne s’applique pour le moment que dans les établissements et les services sociaux et médico-sociaux, est consacrée pour l’ensemble des personnes prises en charge par le dispositif d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement vers l’insertion et le logement. Il s’agit là d’une avancée dont les expériences du huitième collège, mis en place depuis janvier dernier auprès du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ou du Comité consultatif des personnes accueillies, laissent présager qu’elle aura des retombées particulièrement positives.

Les simplifications apportées à la procédure de domiciliation des personnes sans domicile stable pour les étrangers non communautaires en situation irrégulière ainsi que l’extension de son champ à l’exercice des droits civils constituent également un progrès important.

Si la commission des affaires sociales se félicite de ces dispositions, elle a souhaité aller plus loin sur certains points en adoptant onze amendements, dont la plupart ont été repris par la commission des affaires économiques pour être intégrés au texte que nous examinons aujourd’hui. Je n’en citerai que les principaux.

Nous avons tout d’abord voulu affirmer, en ce qui concerne le droit à l’hébergement opposable, que les solutions d’accueil proposées à la suite de la décision de la commission de médiation doivent présenter un caractère de stabilité. Parce qu’il est une étape vers l’accès à un logement autonome, l’hébergement doit en effet présenter des conditions de stabilité suffisantes pour assurer la mise en place d’un accompagnement adapté. C’est d’ailleurs ce qu’affirme la jurisprudence du Conseil d’État, et il était nécessaire de l’inscrire dans la loi.

Nous avons par ailleurs tenu à clarifier la rédaction du principe d’inconditionnalité de l’accueil en matière d’hébergement d’urgence, qui a été consacré en 2009 lors de l’examen de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. Je doute très fortement que le législateur ait eu dans l’idée d’exiger le cumul de difficultés médicales, psychiques et sociales pour ouvrir aux personnes sans abri le droit à un hébergement d’urgence. La rédaction actuelle de l’article concerné du code de l’action sociale et des familles pouvait cependant ouvrir la voie à des interprétations restrictives. Il était donc nécessaire de supprimer toute ambiguïté.

Nous avons également souhaité renforcer les dispositions relatives à la procédure de domiciliation en étendant aux étrangers non communautaires en situation irrégulière la possibilité de se domicilier pour l’exercice de leurs droits civils. Rien ne leur interdit en effet d’exercer les droits qui sont attachés à leur personne, au premier titre desquels figure celui de se marier. Cela ne leur est cependant possible que quand elles sont en mesure de déclarer une adresse. Il aurait donc été injuste de laisser subsister une situation d’inégalité entre les étrangers non communautaires en situation irrégulière qui ont la possibilité de déclarer une adresse et ceux qui n’ont pas de domicile stable. C’est à cela que nous avons voulu remédier.

Sur quelques points, nos positions n’ont pas été entièrement retenues par la commission des affaires économiques, et il y a eu débat, comme Claude Dilain l’a souligné.

Je pense en particulier à l’ouverture du bail glissant aux ménages reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable. Aux yeux de la commission des affaires sociales, cette ouverture pose une difficulté de principe. En les intégrant dans un dispositif de sous-location, elle crée en effet une nouvelle forme de mise à l’épreuve pour des ménages dont la capacité à accéder à un logement a pourtant été reconnue par une commission de médiation. Ce faisant, elle risque de contribuer à la stigmatisation de personnes qui ont généralement connu un parcours long et difficile pour faire reconnaître leur droit au logement.

Il nous aurait par conséquent semblé préférable de n’ouvrir le bail glissant qu’aux seuls ménages reconnus prioritaires au titre du droit à l’hébergement opposable. Sur l’initiative du groupe écologiste, l’Assemblée nationale a davantage encadré ce dispositif, afin que le bail glissant ne constitue qu’une option parmi d’autres, et non une solution de facilité pour le relogement des prioritaires DALO. Nous serons donc particulièrement vigilants à sa mise en œuvre et espérons que les garanties apportées par le projet de loi au bail glissant dans son ensemble contribueront à en sécuriser les conditions de sortie.

Je suis par ailleurs sensible à la nécessité d’explorer toutes les pistes possibles pour assurer le relogement des personnes reconnues prioritaires au titre du DALO. La loi a en effet posé un principe fort dont l’application ne peut être pleinement effective qu’à la condition d’une mobilisation renforcée de l’ensemble des acteurs concernés, notamment des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales.

Nous souhaitions également susciter une réflexion sur le logement accompagné pour les personnes en grande précarité, en demandant au Gouvernement un rapport sur le sujet. Si je peux comprendre la position de principe de la commission des affaires économiques vis-à-vis des demandes de rapport, j’aimerais toutefois insister sur cet enjeu que constitue la prise en charge de personnes pour qui l’accès à un logement autonome est rendu difficile par un cumul de difficultés qui va souvent bien au-delà des seuls enjeux financiers, et qui sont aujourd’hui, de fait, logées de façon extrêmement précaire. Des expériences nombreuses sont menées sur nos territoires et je sais que le Gouvernement tient à les encourager, notamment grâce à l’appel à projets qu’il a lancé au mois d’avril dernier pour les femmes victimes de violences, les personnes souffrant de troubles psychiques, les jeunes en errance et les sortants de prison.

Je souhaiterais ici vous faire part de ma conviction qu’il est possible de développer des solutions innovantes pour que chacun, y compris parmi les plus fragiles, puisse avoir un toit et, lorsqu’il le souhaite, disposer de l’accompagnement dont il a besoin. De telles solutions ne requièrent pas nécessairement un accompagnement financier démesuré de la part de la puissance publique. Elles peuvent en effet très largement s’appuyer sur le secteur associatif et sur celui de l’économie sociale et solidaire, à la condition de pouvoir s’inscrire dans un cadre juridique sécurisant, propre à encourager la richesse et la diversité des initiatives locales.

Je terminerai en insistant sur l’importance de l’accompagnement, principalement social, dont doivent pouvoir bénéficier les personnes, que ce soit lors de l’entrée dans un dispositif d’hébergement ou pour assurer leur insertion durable dans le logement. Il est essentiel que les professionnels, notamment associatifs, et plus largement l’ensemble des réseaux d’initiative sociale et solidaire, se sentent encouragés dans leurs actions, qu’ils aient les moyens de mieux se coordonner pour proposer, sur la base d’évaluations sociales partagées, des solutions d’accompagnement individualisées pleinement adaptées aux besoins des personnes.

Les diagnostics territoriaux qui sont réalisés dans les départements devraient être l’occasion de dresser un état des lieux de l’offre existante en matière d’accompagnement social pour servir de base à l’évolution des pratiques et à l’intégration d’objectifs ambitieux en la matière dans les futurs plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées.

Les articles du projet de loi ALUR sur lesquels s’est penchée notre commission des affaires sociales constituent une étape importante dans la mise en œuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.

L’ensemble des acteurs, en particulier associatifs, que j’ai pu auditionner sur le sujet ont salué les avancées contenues dans ces dispositions. Elles sont porteuses d’espoir. Mais pour que cet espoir demeure, il conviendra de l’alimenter dans les années à venir, malgré le contexte budgétaire difficile dont nous avons tous conscience. Le logement ne doit plus être un facteur d’exclusion et de creusement des inégalités, mais bien la porte d’entrée vers une intégration sociale réussie pour tous.

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