Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte de crise économique et financière, l’accès au logement pour tous est aujourd’hui en France au cœur de toutes les inquiétudes.
En effet, le logement est devenu au fil des dernières décennies un facteur de discrimination, de paupérisation, voire d’exclusion. Ainsi, les locataires, outre que leur taux d’effort est le plus élevé parmi toutes les catégories d’occupants, ont vu leur situation se dégrader nettement.
Quelque trois millions d’entre eux connaissent en effet un taux d’effort supérieur à 35 %, cet effort pouvant représenter jusqu’à la moitié de leur revenu. Le taux d’effort d’un quart des ménages les plus modestes est deux fois plus important que celui des ménages les plus aisés. C’est considérable !
Certes, il existe des disparités géographiques, mais le problème du logement ne concerne pas que les grandes métropoles. Ainsi, 11 % des ménages vivant dans des villes de moins de 100 000 habitants présentent un taux d’effort qui atteint également le seuil de 50 %.
Face à la persistance de situations de « non-logement », de « mal-logement » et de hausse exorbitante des loyers du parc privé, vous avez pris, madame la ministre, deux mesures concernant ce parc.
La première, un décret du 20 juillet 2012, porte sur l’encadrement de l’évolution des loyers à la relocation. La seconde est un nouveau dispositif d’incitation fiscale à l’investissement locatif. Ce dispositif se veut, certes, plus social que ceux qui l’ont précédé, puisqu’il vise à proposer à la location des logements à loyers plafonnés. Il n’en reste pas moins qu’il coûtera plus d’un milliard d’euros aux finances publiques. Vous confirmez ainsi que l’engagement de l’État pour la construction repose sur le recours aux investisseurs privés. Est-ce la meilleure façon, madame la ministre, de s’attaquer à ce que vous nommez « l’économie de la rente » ? Nous ne le pensons pas.
De plus, ces deux mesures n’ont pas répondu aux besoins existants, au regard des objectifs contradictoires des acteurs concernés. Alors que les propriétaires bailleurs sont en quête du meilleur rendement pour leur investissement, les locataires doivent quant à eux concilier recherche de la qualité de vie et contrainte budgétaire. L’État, pour sa part, doit éviter les dérives d’un marché concurrentiel et assurer la justice sociale. Satisfaire à l’ensemble de ces contraintes n’est pas chose aisée, nous en convenons. C’est pourquoi nous attendons beaucoup de ce troisième volet législatif, bien que vous ayez annoncé que ce projet de loi ne coûterait rien.
Toutefois, madame la ministre, nous tenions à saluer votre volontarisme, dont le présent projet de loi porte la marque. En particulier, poser le principe d’un encadrement des loyers et d’un rééquilibrage des relations entre bailleurs et locataires, c’est reconnaître l’existence d’un marché malade, malade sous l’effet de la spéculation et de la recherche effrénée du profit, parfois au détriment du plus élémentaire respect de la dignité humaine. Ce phénomène a nourri ces dernières années un renchérissement excessif des quartiers centraux et péricentraux, qui oblige les classes moyennes et populaires à quitter ces zones et à s’installer toujours plus loin, renforçant ainsi l’étalement urbain.
De plus, la hausse du prix du foncier, et par conséquent celle des prix immobiliers, s’avère défavorable à la compétitivité de l’économie française. Le projet de loi de finances pour 2013 souligne en effet que les prix de l’immobilier sont à l’origine de surcoûts pour les entreprises, car, au-delà de la menace que fait peser le risque d’un effondrement de l’immobilier sur l’ensemble de l’économie, la croissance urbaine de plus en plus étalée, l’augmentation de la durée des déplacements quotidiens, les freins à la mobilité, ou encore les taux d’effort élevés consentis par les ménages pour se loger représentent des coûts individuels, mais aussi collectifs.
Ces prix anormalement élevés conduisent à l’endettement excessif de certains propriétaires modestes qui n’ont plus la capacité de faire face à leurs obligations, ce qui entraîne des tensions dans la gestion des copropriétés ainsi que leur dégradation, au profit de syndics et de gestionnaires de biens parfois peu scrupuleux. À cet égard, nous saluons les mesures qui ont été prises pour mieux encadrer la profession immobilière et pacifier les relations au sein des copropriétés. Nous nous associons également à votre volonté de développement et de valorisation de l’habitation participative.
En matière de protection des plus démunis, l’extension de la trêve des expulsions, mais sans la variation géographique, est une bonne chose, de même que le maintien de l’APL, l’aide personnalisée au logement, en cas d’impayés, ou le renforcement des procédures de prévention des expulsions. Nous nous réjouissons, à ce titre, de l’adoption en commission de notre amendement visant à interdire les expulsions manu militari.
Toutefois, des progrès restent à accomplir dans ce domaine, aussi avons-nous déposé des amendements tendant à interdire les expulsions de personnes confrontées des difficultés économiques et à étendre l’obligation de saisine des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, ou CCAPEX, à tous les bailleurs.
Par ces amendements, nous voulons également revenir sur le dispositif permettant l’expulsion de locataires solvables en cas de sous-occupation d’un logement social introduit par la loi Boutin, loi que vous n’avez d’ailleurs pas remise en cause, madame la ministre, alors qu’elle a autorisé la perception de surloyers pour les locations de logements en HLM, un abaissement des plafonds de ressources pour l’accès à ce parc, ou encore la vente du patrimoine de logements sociaux.
Pour mettre fin à l’envolée des prix, qui amenuise le pouvoir d’achat des locataires, vous proposez la définition d’un loyer médian qui serait variable sur l’ensemble du territoire, avec deux tempéraments.
S’il part d’un bon présupposé, la réussite de ce mécanisme n’est cependant pas assurée. Ainsi, pour nous, ce dispositif présente l’inconvénient majeur de graver dans le marbre l’état du marché locatif à un moment où le niveau des loyers est anormalement élevé.
De plus, la définition du loyer médian de référence pose problème et restera de fait trop élevée, car elle s’appuie uniquement sur des données transmises par les professionnels de l’immobilier. Pour le diminuer, nous vous proposerons que ce calcul prenne également en compte les loyers du parc public, en excluant ceux des meublés et des micrologements.
Par ailleurs, madame la ministre, ce mécanisme, par un effet de ricochet, risque à terme d’entraîner un renchérissement des loyers s’il n’est pas bien verrouillé. Selon nous, le risque est que les propriétaires qui réclamaient des loyers bas se sentent autorisés à les augmenter au niveau des loyers médians et, pourquoi pas, au niveau du loyer médian majoré. En effet, rien n’indique dans le texte que le plafonnement spécifique pour les loyers à la relocation résultant de la loi de 1989, qui ne peuvent dépasser l’ancien loyer majoré de l’évolution de l’indice de référence des loyers, l’IRL, primera sur le dispositif législatif proposé. À moins que vous puissiez nous apporter des assurances sur ce point, nous vous proposerons donc d’intégrer dans ce projet de loi le principe du décret d’encadrement à la relocation.
Nous vous proposerons en outre de supprimer les majorations du loyer médian, car cet effet d’aubaine risque d’entraîner à terme le renchérissement des loyers dans toutes les zones concernées et pour tous types de logement. L’effectivité de l’encadrement des loyers en serait gravement affaiblie, ce dispositif se contentant d’accompagner la hausse des loyers, ce que nous pourrions fortement regretter !
Enfin, madame la ministre, il faut garder à l’esprit que ce mécanisme repose sur une démarche du locataire. Or celui-ci, notamment en zone tendue, n’entreprendra que très rarement les recours nécessaires, étant donné la difficulté de se reloger ; qui plus est, votre texte ne prévoit aucun moyen humain pour s’assurer que l’encadrement que vous proposez est bien respecté.
Au vu de la situation actuelle, il faut que les loyers baissent, ne serait-ce que par comparaison avec les autres capitales européennes. C’est pourquoi nous vous proposerons un gel des loyers, pendant trois ans, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
À cet égard, comme le souligne le Conseil constitutionnel, le droit de propriété a connu une certaine plasticité à travers notre histoire et n’est donc pas absolu. En effet, la jurisprudence du Conseil distingue la privation du droit de propriété de la limitation des conditions de son exercice. L’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’exclut pas que le législateur puisse apporter des limitations à l’exercice de ce droit.
De surcroît, vous le savez, madame la ministre, près de 72 % des Français sont aujourd’hui favorables à un gel des loyers limité dans le temps. Comme vous l’avez rappelé, les propriétaires privés possèdent « un patrimoine moyen plus de trois fois supérieur à celui de l’ensemble des ménages » et « deux tiers d’entre eux jouissent d’un niveau de vie supérieur à celui de 80 % de la population. » Avouez qu’un gel des loyers ne serait donc qu’une juste contribution de leur part à la solidarité nationale, après des années de cadeaux fiscaux !
Fondamentalement, la crise du logement actuelle ne pourra être contenue que par une régulation contraignante du marché et le problème principal reste le renforcement de l’offre, qui n’est malheureusement pas prévu par le présent projet de loi. Qu’en est-il aujourd’hui de la volonté du Président de la République de construire 500 000 logements en 2013 ?