Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 22 octobre 2013 à 14h30
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Cela étant, nous n’avions jamais autant construit de logements que depuis la promulgation de cette loi…

Beaucoup d’acteurs du secteur craignent que vous n’obteniez exactement l’effet inverse avec le projet de loi ALUR. Ont-ils tort ou raison de s’inquiéter, l’avenir nous le dira, mais une chose est certaine : l’inquiétude est grande chez les professionnels. Nous constatons déjà, depuis maintenant deux ans, une nette diminution du nombre des mises en chantier : on parle de moins de 300 000 pour l’an prochain, les plus pessimistes évoquant même 250 000, ce qui représenterait quasiment une division par deux par rapport à 2011.

En parallèle, particulièrement dans les grandes agglomérations, la crise du logement est très durement ressentie par nos concitoyens, et ce depuis de nombreuses années. La crise ne date donc pas d’hier. Cette crise s’est traduite par une envolée non seulement des prix des biens immobiliers pour ceux qui souhaitent accéder à la propriété, mais aussi des loyers. Ajoutez à cela le resserrement du crédit bancaire et l’imagination fiscale sans limite de ce gouvernement, et vous avez tous les ingrédients d’une crise qui pourrait s’aggraver encore, et surtout durer.

Que faire face à cette situation, dans un contexte budgétaire très tendu pour l’État ?

Comme souvent, il y a, d’un côté, ceux qui ne croient qu’en la loi du marché et plaident pour une politique de l’offre abondante – il nous faut bien une politique de l’offre abondante, mais avec certaines règles – et, de l’autre, ceux qui pensent que la régulation est le seul moyen de s’en sortir. C’est manifestement cette dernière voie que vous avez choisie, madame la ministre.

Cependant, nous le savons bien, en matière de logement comme en économie en général, la confiance des acteurs est un élément essentiel de toute relance lorsque la machine est grippée. En choisissant de réguler trop drastiquement le marché, le Gouvernement et sa majorité prennent deux risques.

Ils prennent d'abord le risque de décevoir les Français, qui attendent beaucoup en la matière. Vous promettez beaucoup, mais nous observons déjà une inversion de la courbe de construction de logements. Je crains que les résultats ne viennent pas. En tout cas, les Français vous jugeront sur ces résultats.

Le second risque est économique : vous le faites courir à toute une filière, celle du bâtiment, sans laquelle la croissance du pays ne repartira pas.

Je l’ai dit par le passé et je le répète aujourd’hui : il fallait légiférer pour mettre un terme aux excès d’un secteur qui a beaucoup profité de la manne des niches fiscales, avec des effets pervers bien connus. Oui, on construisait beaucoup, mais pas toujours au bon endroit. On construisait également de plus en plus petit, en calibrant les logements pour des investisseurs qui – peut-on les en blâmer ? – ont su profiter de l’aubaine que leur offrait l’État. Oui, les aides fiscales de toute nature ont coûté très cher au budget de l’État, pour un résultat somme toute mitigé.

Des conclusions ont heureusement été tirées de cette situation, de sorte que les dispositifs ont été resserrés au fil du temps, mais les prix ont bel et bien flambé, en raison tant de la faiblesse de l’offre, toujours insuffisante sur certains territoires, que des incitations fiscales, qui avaient une fâcheuse tendance à tirer le marché à la hausse.

Dans l’ancien, en zone tendue, on a constaté le même phénomène de forte hausse des prix et des loyers, notamment pour les petites surfaces, avec parfois des abus manifestes pour les appartements les moins confortables. En Seine-Saint-Denis, comme je l’ai dit plusieurs fois à cette tribune, on trouve encore aujourd’hui des petites surfaces à vingt, voire vingt-cinq euros le mètre carré pour des habitations qui sont tout juste à la limite de la décence.

Mais j’attire votre attention sur le fait que ces loyers exorbitants ne sont très souvent rendus possibles que par la solvabilisation des locataires grâce aux aides personnelles, lesquelles coûtent de plus en plus cher au budget de l’État, à tel point que vous venez, madame la ministre, de geler leur montant. Les locataires qui verront ainsi leur reste à charge progresser ne seront certainement pas satisfaits de cette mesure en cette période de baisse du pouvoir d’achat.

Alors, pour remédier à la hausse continue des loyers, vous avez choisi, madame la ministre, de les encadrer assez strictement. Était-ce la bonne manière de procéder ? Permettez-moi d’en douter.

Comme je l’avais proposé à l’occasion de l’examen du dernier texte défendu par votre prédécesseur, Benoist Apparu, il aurait été, me semble-t-il, plus efficace de mettre en place un système de modulation des aides personnelles en fonction non pas seulement des ressources du locataire, mais aussi de la qualité du logement et du montant du loyer, sur la base d’un indice qualité-prix au mètre carré et par type de logement.

Aujourd’hui, certes, les aides personnelles sont plafonnées, mais, pour les loyers les plus élevés et les appartements les moins confortables, elle joue le rôle paradoxal de solvabilisateur des locataires et permet à certains propriétaires d’abuser de la rareté de l’offre en proposant des loyers exorbitants.

J’avais alors dit, de manière un peu audacieuse, qu’il fallait jouer en ce domaine le marché contre le marché en tarissant, faute de preneur solvable, l’offre de logement à loyers exorbitants.

Au lieu de cela, vous nous proposez d’encadrer les loyers, ce qui reviendra, pour beaucoup, à les figer à leur niveau actuel et conduira peut-être, dans certains cas, à des hausses, ce qui serait tout de même un comble !

De plus, la complexité de votre système ne laisse pas d’inquiéter. En effet, il va falloir mettre en place les observatoires que vous proposez de créer en demandant aux collectivités locales de s’y impliquer, ainsi qu’il est précisé à l’article 3 du texte : « Des observatoires locaux des loyers peuvent être créés à l’initiative des collectivités locales ». Voilà encore une dépense nouvelle à leur charge !

Si elles ne le souhaitent pas, ou ne le peuvent pas budgétairement, il est alors prévu dans le projet de loi que des associations ou des groupements d’intérêt public, que ces mêmes collectivités devront certainement subventionner d’une manière ou d’une autre, joueront ce rôle. N’était-il pas plus simple et moins coûteux d’utiliser ce qui existe ? J’ai la faiblesse de le croire.

Beaucoup de questions se posent également sur la manière de calculer les loyers de référence médians minorés et majorés. Nombreuses ont été les critiques formulées sur les risques associés à cette méthode de calcul, notamment sur la méthode initiale, c’est-à-dire celle qui a été présentée à l’Assemblée nationale par le Gouvernement.

Le professeur Michel Mouillard a souligné, chiffres à l’appui, les effets pervers d’un tel système qui pourrait conduire à une diminution des loyers des appartements de standing dans les beaux quartiers, occupés par une population aisée, et à une hausse des loyers les plus modérés dont peuvent parfois bénéficier les plus modestes.

Certes, le texte a été modifié sur ce point par l’Assemblée nationale, mais je dois vous dire, madame la ministre, que je suis assez étonné que les services de l’État n’aient pas pointé ce risque-là. Cela révèle à tout le moins l’absence de calibrage d’un dispositif que vous avez dû modifier en cours de route. Pour autant, nous n’avons pas de garantie sur ce que donnera l’application de votre texte s’il est voté en l’état. À cet égard, je pense au préfet qui devra arrêter effectivement les prix médians majorés et minorés : franchement, je ne voudrais pas être à sa place ! En résumé, je crains que l’on n’ait pas mesuré toutes les conséquences de ce dispositif.

Il est un autre phénomène important : les impayés de loyers, contre lesquels vous nous proposez la mise en place d’une garantie universelle des loyers, ou GUL.

Il s’agit d’un sujet sur lequel les gouvernements précédents avaient beaucoup hésité. Ici même au Sénat, à de nombreuses reprises, j’avais interpellé vos prédécesseurs sur la GLI et la GRL : année après année, ils me renvoyaient à des rapports qui ne sont jamais venus.

Cela dit, si imparfaits qu’ils étaient, ces deux dispositifs avaient intrinsèquement quelques qualités, la moindre n’étant pas que, étant distribués par les assureurs, ils ne nécessitaient donc pas une nouvelle structure publique. De surcroît, ils étaient facultatifs et à la charge des propriétaires, qui pouvaient décider ou non d’y avoir recours. Après tout, c’était leur liberté et leur prise de risque !

Cependant, et je suis d’accord avec vous, madame la ministre, la GRL n’avait pas complètement atteint ses objectifs. Ce dispositif subventionné par l’État devait inciter les propriétaires à accepter les dossiers des locataires les plus faibles, ce qui ne fut pas un succès, mais je pense qu’il pouvait être amélioré.

Au lieu de cela, vous choisissez de mettre en place cette GUL, qui sera obligatoire, cofinancée à parts égales par les locataires et les propriétaires. Au bout du compte, je crains que nous n’ayons une véritable « usine à gaz » destinée à suivre l’évolution des loyers et à permettre les contrôles que vous envisagez.

S’agissant de la déresponsabilisation des locataires, je me pose aussi des questions. Vous le savez, dans bien des domaines, même si cela ne concerne pas la majorité des Français, on entend dire : « je paie, donc j’ai droit ! ». Ainsi, le locataire se dira qu’il paie, via son loyer, une assurance contre les impayés, et je suis certain qu’il y aura, au final, des effets que vous ne maîtriserez pas.

À mon avis, vous auriez pu trouver un dispositif plus équilibré, qui aurait certainement rendu le même service à un moindre coût.

Madame la ministre, mes chers collègues, ayant pratiquement utilisé tout mon temps de parole, je vais raccourcir mon propos.

Si l’on ajoute à ces problèmes l’inquiétude que vous suscitez avec la possibilité donnée aux départements d’augmenter encore les DMTO pour essayer de trouver quelques ressources, sans compter les valses-hésitations en matière de taxation des plus-values – madame la ministre, je vous l’accorde, le gouvernement précédent n’est pas exempt de reproches sur le sujet –, au total, le Gouvernement prend le risque très sérieux de détourner de l’immobilier un certain nombre d’investisseurs, pour ne pas dire la grande majorité d’entre eux, alors que nous savons bien que, sans eux, nous n’arriverons pas à produire la quantité de logements nécessaires.

Pour conclure, madame la ministre, je veux vous dire, à l’instar d’autres intervenants, que votre texte comporte également des dispositions intéressantes, par exemple sur la lutte contre les marchands de sommeil ou les copropriétés dégradées.

Par ailleurs, de nombreux orateurs se sont exprimés sur les plans locaux d’urbanisme intercommunaux. Comme je m’intéresse beaucoup au Grand Paris, je vais certainement rester sur ma faim, car, sur ce sujet, nous ne sommes pas allés au bout du travail.

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