Intervention de Christian Vigouroux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 octobre 2013 : 1ère réunion
Publication de l'étude annuelle 2013 du conseil d'état consacrée au « droit souple » — Audition de M. Jean-Marc Sauvé vice-président du conseil d'état M. Christian Vigouroux président de la section du rapport et des études M. Jacky Richard rapporteur général de la section du rapport et des études et M. Laurent Cytermann rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études

Christian Vigouroux, président de la section du rapport et des études :

Ce rapport vient à son heure. Ces sujets ont été largement explorés dans les années 2000 par l'université. À l'époque en effet, ces nouveaux instruments juridiques proliféraient dans le droit européen et international, et le concept de régulation venait de faire son apparition. Les professeurs Catherine Thibierge et Paul Amselek ont été des pionniers. Selon ce dernier « la recommandation se différencie du commandement. Recommander, c'est, littéralement, diriger par-dessus le propre pouvoir de direction que les intéressés conservent sur eux-mêmes. La recommandation leur sert en quelque sorte de boussole ». Notre rapport répond donc à un besoin.

Nous nous sommes efforcés d'explorer le champ lexical du droit souple. Nous avons recensé la multiplicité des termes utilisés par l'administration. La recommandation peut en effet se faire chapeau bas et gants à la main - c'est une prière - ou être utilisée par une main de fer : elle s'apparente alors à un ordre. Ce champ lexical déborde le droit administratif, puisque les entreprises privées qui s'autorégulent font aussi appel au droit souple. Nous relevons également que le droit souple est souvent l'ombre portée de la sanction : on s'y réfère, et on le craint simultanément, car il semble dire « nous nous reverrons ! ». Cette définition large fait apparaître toute une gradation de normativité, dont un tableau récapitulatif figure dans le rapport : notre système juridique est un continuum entre le non-droit et le droit dur.

La réalité du droit souple est connue depuis longtemps. Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) permet de déroger aux règles d'urbanisme pour favoriser la construction de logements, mais le Conseil d'État, depuis les années 1970, recommande l'utilisation du droit souple pour encadrer ces dérogations. Les usagers et les administrations réclament désormais un meilleur encadrement de ce pouvoir. Un rapport du Conseil d'État sur les règles d'urbanisme souhaite dès 1972 que les principes établis par des recommandations s'imposent à l'administration, sauf pour l'autorité responsable à en écarter l'application après examen des circonstances particulières d'une affaire : il n'est jamais inutile que l'administration mette sur la table les critères qui lui permettent de prendre une décision. Le pouvoir de dérogation, qu'il s'agisse de la carte scolaire ou en matière de gestion de la fonction publique, doit être accompagné : le droit souple lisse les choses et accroît la prévisibilité et la sécurité juridiques.

L'actualité légale et jurisprudentielle montre l'intérêt de notre étude. De nombreux projet de loi en cours d'élaboration ont recours à ces techniques normatives : ainsi, le système de loyer de référence instauré par le projet de loi Alur oblige les propriétaires à justifier tout écart à cette référence.

Le refus de recourir au droit souple n'est pas illégal : le Conseil d'État en a jugé ainsi s'agissant du refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel de prendre une recommandation relative à la régulation du secteur. En revanche, lorsque la recommandation est prise, les usagers et l'administration sont tenus de s'y référer : le Conseil d'État a par exemple estimé que les guides établis par l'Autorité de sûreté nucléaire étaient opposables à l'administration. De même en matière sanitaire, les guides ont leur importance, notamment lorsque la responsabilité médicale est susceptible d'être engagée. En 2007, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé qu' « une mesure dictée par une nécessité thérapeutique du point de vue de conceptions médicales établies ne saurait passer pour inhumaine ou dégradante ».

S'agissant de l'ombre portée des sanctions, le Conseil d'État a jugé le 19 octobre 2011 que les pré-alertes émises par la HADOPI pouvaient servir de fondement à la sanction d'un internaute.

Au cours de ce travail, certaines administrations ont découvert qu'elles pratiquaient le droit souple comme M. Jourdain la prose, sans le savoir. Mieux vaut donc l'identifier pour mieux le contrôler, dans l'intérêt des citoyens comme des administrations.

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