Intervention de Henri Nallet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 octobre 2013 : 3ème réunion
Audition de M. Henri Nallet président de l'observatoire national de l'enseignement agricole onea sur la concertation relative à l'enseignement agricole préparatoire à la loi d'avenir sur l'agriculture

Henri Nallet, président de l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA) :

Monsieur Magner, vous avez senti dans ma présentation une forme de critique à l'égard de l'agriculture actuelle. Je tiens à souligner que le travail d'intensification de la production agricole a été remarquable. Les agriculteurs de cette génération ont mené à bien une formidable modernisation.

Il reste qu'il existe un mouvement et une demande dans notre société, au demeurant assez contradictoires : se nourrir pas cher avec des aliments guérissant de toutes les maladies ! Il faut en tenir compte en encourageant une production efficace présentant des coûts peu élevés et offrant une nourriture de qualité. Ce qui est en train de s'effondrer en Bretagne est à cet égard un modèle artificiel, importé des États-Unis. Il faut développer aujourd'hui une agriculture plus ménagère, notamment en retrouvant des vieilles traditions agronomiques. On redécouvre ainsi la polyculture élevage, car c'est efficace et écologiquement sûr. Il faut ainsi réfléchir aux risques de la concentration notamment dans l'élevage, car ces formes de production ont des effets écologiques non maîtrisables.

La formation des enseignants doit être ouverte sur l'éducation mais en y associant des professionnels de l'agronomie.

En réponse à M. Carle sur la spécificité de l'enseignement agricole et le rôle positif joué par ses structures de gouvernance sur son succès, je tiens à souligner que la loi du 9 juillet 1984 constitue un instrument formidable, que j'ai obtenu de haute lutte au prix de deux dispositifs, l'un consacré à l'enseignement agricole public et l'autre à l'enseignement agricole privé, et qui est désormais apprécié de tous les professionnels.

Pour autant, la concertation avec les professionnels mériterait d'être rajeunie et redynamisée. Les professionnels, qui sont nombreux et assument bien souvent plusieurs responsabilités, semblent effectivement un peu moins présents dans la gouvernance des établissements.

Je souscris pleinement à la piste excellente évoquée par Mme Bouchoux qui consisterait à renforcer les liens entre les établissements d'enseignement agricole et les établissements situés en zone urbaine, afin de favoriser les échanges entre les enseignants et les classes, notamment dans le cadre de parcours de découverte des exploitations.

À M. Bordier qui m'interrogeait sur les innovations apportées par le projet de loi en matière d'enseignement supérieur et d'enseignement vétérinaire, je répondrai qu'un certain nombre de reculs peuvent être relevés dans la dernière version du texte par rapport aux propositions qui avaient été formulées au départ. Le projet de loi envisageait initialement la création d'un Institut vétérinaire de France qui aurait rassemblé les quatre écoles vétérinaires de notre pays. C'est peu dire que les quatre établissements concernés ont mal accueilli cette proposition, parfois avec une certaine virulence.

Le même type de recul a été observé en ce qui concerne la mise en place de regroupements, proposition qui a également fait l'objet de réactions négatives de la part des établissements. Pourtant, et je ne suis pas le seul à partager cette idée, les regroupements s'imposent pour permettre l'émergence de quatre à cinq grands établissements qui accueilleraient en moyenne 15 000 étudiants chacun. C'est une des conditions pour garantir leur rayonnement à l'international.

La résistance opposée par certaines réactions corporatistes explique en partie les reculs que je viens de décrire. Cette situation n'est pas sans rappeler l'échec, que je considère comme le plus important de ma carrière, du projet de création au début des années 1990 de l'Institut des sciences et techniques du vivant (ISTV), fermement combattu par l'École nationale vétérinaire d'Alfort. Les élus, tant de la Marne que de la région, étaient pourtant prêts à s'engager pour financer le projet.

La question du défi démocratique et de la maîtrise par les citoyens de l'avenir de notre agriculture, posée par Mme Gonthier-Maurin, est à la fois essentielle et complexe dans ses éléments de réponse. Au lendemain de la guerre, quand l'heure était à l'intensification de la production et à l'ouverture de notre agriculture à d'autres formes de culture, nos concitoyens semblaient globalement en phase avec les ambitions agricoles du pays. Le même accord a prévalu par la suite, non sans quelques difficultés, pour la mise en place du marché commun.

À l'heure actuelle, cet accord n'existe plus. Après la crise de confiance provoquée par le scandale de la « vache folle », les choses se sont certes améliorées depuis le Grenelle de l'environnement. Il est clair que le projet de loi est une occasion à ne pas manquer pour tenter de reconstituer une forme de consensus de la communauté nationale sur l'avenir de son agriculture, afin de se mettre d'accord sur les meilleurs moyens de relever le principal défi contemporain : parvenir à nourrir les populations sans abîmer notre environnement.

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