Intervention de Laurence Rossignol

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 octobre 2013 : 2ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol, au nom de la délégation aux droits des femmes :

Il était légitime que la délégation aux droits des femmes soit saisie de ce texte, tant la répartition des pensions est marquée par les écarts entre hommes et femmes. La réduction de ces inégalités est une priorité de ce projet de loi : c'est une première. Le rapport de la délégation, adopté hier, dresse un tableau détaillé de ces inégalités. Les pensions de retraite des femmes n'atteignent, en moyenne, que 58 % de celles des hommes. Et les femmes liquident leurs droits un an et trois mois plus tard que les hommes en moyenne. Les réformes engagées depuis vingt ans, qui ont allongé la durée de cotisation, n'ont guère été favorables aux femmes. Ainsi du passage aux vingt-cinq meilleures années, qui pénalise les carrières courtes ou hachées. Nombreuses sont les femmes qui ont interrompu leur activité ou privilégié le temps partiel pour pourvoir à l'éducation des enfants. La progression du taux d'activité des femmes ne fera pas disparaître spontanément le problème. Ainsi que l'a souligné le COR, les interruptions de carrière liées à la maternité sont appelée à perdurer, et un différentiel de 20 % persistera à cause de cela entre les hommes et les femmes en matière de retraites. D'autant que les moyens d'accueil du jeune enfant demeurent insuffisants, ou d'un coût élevé. Les inégalités en matière de retraite reflètent également les inégalités au travail. D'où l'intitulé de notre rapport : Retraite des femmes, tout se joue avant 60 ans. Entre les salaires des hommes et ceux des femmes, il reste toujours une différence inexpliquée de 9 %, une fois neutralisés les écarts liés au temps de travail et à la qualification. C'est parfois le juge d'ailleurs qui doit intervenir pour faire appliquer le principe « à travail égal, salaire égal ».

Notre délégation a adopté onze recommandations. La première vise à réaffirmer la priorité qui doit s'attacher aux droits propres et à souligner le rôle déterminant en cette matière des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Nous souhaitons que la négociation sociale engage une refonte des grilles de qualification professionnelle non discriminante au regard de l'égalité salariale entre hommes et femmes.

Les horaires fractionnés et les amplitudes quotidiennes disproportionnées par rapport au temps effectivement travaillé devraient être considérés, par assimilation, comme des facteurs de pénibilité. Les salariés concernés devraient pouvoir bénéficier des dispositions du projet de loi qui permettent aux personnes exposées à un facteur de pénibilité de liquider leurs droits plus tôt ou se former pour accéder à une autre profession. Une caissière qui travaille de 8 à 11 heures puis de 17 à 19 heures, soit onze heures d'amplitude pour cinq heures de travail, cela relève de la pénibilité...

Des statistiques relatives à la pénibilité effectuées à partir d'une différenciation entre hommes et femmes devraient être dressées, de même qu'un bilan retraçant l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. De fait, les dix facteurs de pénibilité définis par le code du travail ne reflètent pas tous ceux auxquels les femmes sont exposées. Et puisque la définition résulte de la négociation sociale, il serait bon - tel est l'objet d'une autre de nos recommandations - de s'assurer que les délégations appelées à y participer soient constituées sur le principe d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes !

Autre recommandation : les salariés qui demandent à bénéficier d'un temps partiel devraient être informés des conséquences de leur choix sur leur future retraite : pour les jeunes, la retraite n'est pas une préoccupation immédiate.

Les horaires atypiques, les emplois fractionnés ont un coût social. Les administrations qui passent des marchés publics - certaines, notamment des collectivités territoriales, le font déjà - devaient se montrer exemplaires pour éviter que leurs exigences n'encouragent des conditions de travail difficiles pour le personnel de leur prestataire. Leurs cahiers des charges doivent intégrer des critères sociaux. Le nettoyage, par exemple, peut se faire aux horaires de bureau...

Nous reprenons une précédente recommandation sur la nécessité de décourager le recours excessif au temps partiel par une majoration des cotisations patronales dans les entreprises de plus de 20 salariés comptant au moins 20 % de leur effectif à temps partiel.

Pour les carrières courtes, deux formules pourraient être envisageables : se référer non aux 25 meilleures années, mais aux 100 meilleurs trimestres, ainsi que le suggère le Défenseur des droits ; ou retenir, comme le propose la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, un prorata prenant en compte la durée effective de la carrière. Ainsi, pour un salarié ayant travaillé vingt ans, seules les treize meilleures années seraient considérées. Une étude devrait être diligentée pour en évaluer l'impact. Tel est l'objet d'une autre recommandation.

S'agissant des droits familiaux et conjugaux, nous plaidons pour que les femmes ne soient pas encouragées à interrompre ou à ralentir leur vie professionnelle : tout ce qui s'apparente à un salaire maternel, fût-il différé, doit être proscrit, et la constitution de droits propres, privilégiée. Transformer la majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitisée versée dès le premier enfant pourrait être une piste à ne pas exclure. Dans le même esprit, les droits familiaux devraient être recentrés sur la maternité car, lorsqu'ils bénéficient aux pères, ils ne remplissent pas leur objectif qui est de compenser les conséquences de la maternité sur la retraite des femmes. Si cette piste ne pouvait être suivie, pour des raisons juridiques notamment, nous suggérons que celui des deux parents, souvent la mère, qui a interrompu sa carrière afin de s'occuper des enfants et ne bénéficie pas d'une retraite à taux plein reçoive l'intégralité de la majoration. Il serait injuste, alors que le père est redevable à la mère de sa carrière pleine, de répercuter cette inégalité sur leurs retraites.

Nous insistons enfin pour que la redéfinition des droits familiaux trouve un équilibre entre le versement de prestations et la possibilité de partir à la retraite plus tôt - entre temps et argent, en somme.

Certaines des recommandations que je viens de vous présenter pourraient donner lieu à des amendements.

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