Intervention de Vincent Capo-Canellas

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 24 octobre 2013 : 1ère réunion
Révision des lignes directrices concernant les aides d'état aux aéroports régionaux — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Nous examinons la proposition de résolution transmise par la commission des affaires européennes, sous l'impulsion de Bernard Saugey et du rapporteur Jean Bizet dont je salue le travail, qui l'adoptée le 3 octobre dernier.

Comme vous le savez, les PPRE, prévues à l'article 88-4 de la Constitution, permettent depuis 1992, à l'Assemblée nationale comme au Sénat de donner un avis sur les projets ou propositions d'actes européens qui leur sont transmis. Ce dispositif répond à la volonté de ne pas écarter les parlements nationaux des sujets traités à l'échelle européenne. La PPRE de la commission des affaires européennes devient, au bout d'un mois, position du Sénat dans son ensemble, sauf si la commission au fond s'en saisit et parvient à un accord pour la modifier.

J'en viens au contenu de cette PPRE. La Commission européenne a entrepris un vaste chantier de modernisation du contrôle des aides d'État à finalité régionale, parmi lesquelles figurent celles à destination des aéroports. Depuis 2011, un processus de révision des lignes directrices sur les aides d'État aux aéroports et compagnies aériennes est donc engagé. Après une première phase de consultation, la Commission a présenté une proposition de révision des lignes directrices le 3 juillet dernier.

A quoi servent ces lignes directrices ? Elles permettent de clarifier la doctrine de la Commission en matière d'aides d'État à destination des aéroports et des compagnies aériennes. Elles ne sont pas créatrices de droit. Il s'agit bien d'une doctrine administrative et non pas d'un cadre juridique stricto sensu.

Sont applicables actuellement les lignes directrices de 1994 et de 2005. Les lignes directrices de 1994 ont été adoptées dans le contexte de la libéralisation du marché des services de transport aérien pour mettre en place des conditions de concurrence équitable. Elles contiennent surtout des dispositions sur les aides à la restructuration des grandes compagnies. Elles ont été complétées en 2005 par des lignes directrices sur le financement public des aéroports et les aides d'État au démarrage de services de transport aérien au départ d'aéroports régionaux.

L'évolution profonde du marché observée au cours de la dernière décennie a incité la Commission à lancer un processus de révision de ces lignes directrices car elles ont été rédigées à une époque où le modèle du transport aérien était celui des grandes compagnies de « hub », aujourd'hui fortement concurrencées par les compagnies low cost, notamment sur les liaisons régionales. Le développement des acteurs low cost s'accompagne de nouvelles relations financières entre les aéroports régionaux et les compagnies aériennes. La question est de savoir si ces relations financières risquent de fausser les équilibres concurrentiels.

Or, non seulement le contexte a changé depuis les lignes directrices de 1994 et 2005, mais en plus ces lignes directrices sont en pratique peu ou pas appliquées. Il s'ensuit que la Commission est aujourd'hui saisie d'un nombre important de plaintes. Ces plaintes sont surtout déposées par d'anciennes compagnies nationales contre les compagnies à bas coûts. Sept dossiers français font actuellement l'objet d'investigations approfondies, mais la plupart des procédures formelles n'ont pas été instruites et sont encore à venir.

De ce point de vue, même s'il suscite des craintes, le projet de révision des lignes directrices peut contribuer à donner un cadre clarifié. Encore faut-il négocier les modalités de cette clarification. Si nous y parvenons, cela pourra mettre fin au climat d'impunité et de laissez-faire que les compagnies low-cost utilisent, et sécuriser les montages financiers de nos aéroports. Par ailleurs, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce projet de révision pose un cadre plus souple que le précédent.

L'idée est en effet moins de contraindre le développement des lignes régionales low cost que de définir un cadre, acceptable et appliqué, pour éviter les disparités. Définir un cadre commun est utile. Il faut que les mêmes règles s'appliquent sur tout le territoire français, et dans toute l'Europe. Car nos aéroports sont en concurrence directe avec ceux situés de l'autre côté des frontières, comme celui de Gérone en Espagne.

Ces nouvelles lignes directrices distinguent trois régimes.

Les aides aux investissements dans les infrastructures aéroportuaires sont autorisées s'il existe un réel besoin en matière de transport et si l'aide publique est nécessaire pour garantir l'accessibilité d'une région. Alors que les lignes directrices de 2005 laissent ouverte la question du montant d'aide à l'investissement, le projet de règles révisées fixe des niveaux maximum en fonction de la taille de l'aéroport : les possibilités d'octroi d'aides sont plus élevées pour les petits aéroports que pour les grands.

Les aides au fonctionnement des aéroports ne sont pas autorisées par les lignes directrices de 2005. Dans le projet de révision, la Commission propose d'autoriser ce type d'aides de façon dégressive, pendant une période transitoire de 10 ans pour les aéroports de moins de 3 millions de passagers annuels, afin de leur laisser le temps d'adapter leur modèle d'exploitation.

Les aides au démarrage, octroyées aux compagnies aériennes pour lancer une nouvelle liaison aérienne, sont quant à elles déjà autorisées par les lignes directrices de 2005 et plafonnés à 30% pendant 3 ans. Le projet de nouvelles lignes directrices simplifie les conditions de compatibilité de ces aides et les plafonne à 50% sur 2 ans.

Le sujet qui nous concerne aujourd'hui porte moins sur ce contenu, que sur ce que ces nouvelles lignes directrices ne contiennent pas.

Le projet présenté par la Commission européenne le 3 juillet dernier recherche un équilibre entre la lutte contre les distorsions de concurrence et l'accessibilité de certaines régions. Cet équilibre est d'autant plus délicat que notre pays est, avec l'Allemagne, celui qui comporte le plus d'infrastructures aéroportuaires. La France hérite en effet d'un maillage aéroportuaire historique particulièrement dense, avec de nombreuses petites plateformes peu rentables. Il s'agit par conséquent de concilier la nécessaire rationalisation économique de ce tissu d'aéroports, avec une légitime préoccupation d'aménagement du territoire. Ces petits aéroports régionaux sont en effet source de développement économique, touristique et d'emplois.

Or le projet de lignes directrices ne prévoit aucune disposition spécifique pour les aéroports de moins d'un million de passagers annuels qui sont alors soumis aux mêmes règles de concurrence que d'autres aéroports plus gros, dont les paramètres d'exploitation ne sont pas comparables. Il s'agit certes d'une compétence exclusive de la Commission européenne. Néanmoins, de nombreuses voix se sont élevées à Bruxelles en faveur d'un assouplissement du cadre pour les petits aéroports régionaux. La Commission s'est alors déclarée ouverte à des propositions d'aménagements techniques et a ouvert une consultation publique qui s'est achevée le 26 septembre ; les Gouvernements ont eu la possibilité de répondre jusqu'au 3 octobre.

Des négociations sont désormais engagées avec les États membres, la Commission espérant adopter le nouveau texte en début d'année 2014. Dans ce contexte, il est important que le Sénat se prononce sur cette question qui revêt une importance particulière pour certaines de nos collectivités locales.

La PPRE que nous examinons vient appuyer la position déjà transmise par le Gouvernement à la Commission et est globalement en phase avec celle-ci.

Il s'agit de demander la création d'une nouvelle catégorie d'aéroports dont le trafic est inférieur à 500 000 passagers annuels. Les possibilités d'aides à l'investissement leur seraient étendues à hauteur de 90% des coûts éligibles, tandis que les aides au fonctionnement ne seraient pas limitées dans le temps et inscrites dans le cadre d'un régime défini et contrôlé par les États membres, afin d'éviter un lourd processus de notification auprès de la Commission. Ce point est important, car l'impact d'une telle charge administrative n'est pas neutre.

La PPRE demande également que les coûts éligibles aux aides au démarrage des nouvelles lignes soient précisés. À l'heure actuelle, les lignes directrices font en effet état d'une définition quelque peu tautologique : « Les coûts éligibles aux aides au démarrage sont les coûts de démarrage ». La PPRE insiste pour que les contrats de marketing et de publicité soient inclus dans la définition de ces coûts lorsqu'ils sont liés à l'arrivée d'une compagnie aérienne. En effet, depuis que le tribunal administratif a jugé illégale l'aide financière versée par la CCI de Pau à Ryanair en 2004, la compagnie irlandaise a mise en place un dispositif de contournement. Une partie du financement transite désormais par sa filiale AMS (Air Marketing Service), les collectivités devant alors financer des pages de publicité, ce qui constitue une aide cachée qu'il convient d'inclure dans le montant global des aides.

Je suis d'accord avec l'équilibre général de cette PPRE. Je vous propose cependant un certain nombre d'amendements, la plupart d'ordre technique.

Je vous propose de rendre les coûts de mise aux normes explicitement éligibles aux aides à l'investissement, à fortiori lorsque ces mises aux normes sont imposées par les autorités européennes.

Je vous propose ensuite de clarifier le régime des coûts liés aux grosses opérations d'entretien ou de réparation nécessitant un amortissement sur plusieurs années, en précisant explicitement qu'ils sont éligibles aux aides à l'investissement plutôt qu'aux aides au fonctionnement.

Je vous propose également d'exempter les aides à l'investissement et au fonctionnement des très petits aéroports de moins de 200 000 passagers de l'examen au titre des aides d'État. Cette proposition me paraît d'autant plus justifiée que la Commission elle-même n'aura pas les moyens d'instruire tous ces dossiers. En outre, des garde-fous sont prévus puisque ces aides ne peuvent servir à financer un développement de capacité de l'aéroport, ni à soutenir le démarrage d'une nouvelle ligne.

Enfin, il serait approprié de préciser que les contrats de marketing et de publicité inclus dans le décompte des aides au démarrage sont ceux financés, totalement ou partiellement, sur fonds publics.

Je vous propose également de supprimer l'alinéa faisant référence à l'hypothèse d'une réduction ciblée des redevances aéroportuaires comme aide possible au démarrage d'une nouvelle ligne. Concrètement, c'est déjà le cas et il est inutile voire dangereux de le préciser. En effet, la modulation des redevances aéroportuaires est réglementée à l'article R. 224-2-2 du code de l'aviation civile. Il ne s'agit pour le moment pas d'une aide d'État, mais le risque est grand que la Commission européenne en vienne à une telle requalification à l'occasion de l'examen d'une plainte. Il semble donc peu approprié d'attirer délibérément l'attention de la Commission sur ce point. Quant à en faire l'unique modalité d'aide au démarrage, cela serait contradictoire avec la nécessité d'inclure les coûts de marketing et de publicité.

Je vous invite aussi à supprimer l'alinéa relatif à la gouvernance des aéroports régionaux. La PPRE demande au Gouvernement de désigner la région comme collectivité pilote dans la gestion des aéroports, ce qui perturbe l'équilibre actuellement défini à l'article 28 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. Le droit en vigueur laisse en effet aux collectivités une possibilité souple, celle de s'entendre pour définir la collectivité pilote. Ce n'est qu'en l'absence d'accord que le préfet peut désigner un chef de file, sachant que, sous certaines conditions, la région est prioritaire si elle est candidate. Je pense qu'il est préférable de s'en tenir à cette solution équilibrée, qui paraît mieux adaptée à la prise en compte des contextes locaux. Quant à établir un schéma cohérent de rationalisation de notre parc d'aéroports, cela relève davantage d'une réflexion à l'échelle du territoire national et ne concerne pas la Commission européenne. Le sujet est par conséquent trop éloigné de l'objet de cette PPRE, mais je reconnais volontiers que cette question mérite d'être approfondie.

Dans le même ordre d'idées, il faudra se pencher sur le transfert de la propriété du sol, de l'État aux collectivités, en retenant un mécanisme similaire au compromis de la loi du 13 août 2004, pour définir la collectivité concédante, mais ce point dépasse le cadre de cette PPRE et relève davantage des prochains projets de loi de décentralisation que nous aurons à examiner.

Le sujet des aéroports régionaux est à la fois technique et politique, et bien sûr éminemment stratégique pour l'aménagement du territoire. Sans doute serait-il souhaitable que notre commission s'y intéresse davantage dans un avenir proche, par exemple à l'occasion d'une mission d'information.

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