Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 24 octobre 2013 à 9h30
Accès au logement et urbanisme rénové — Article 8, amendement 337

Cécile Duflot, ministre :

Avant de donner formellement mon avis sur l’amendement n° 337 rectifié bis, je voudrais tout de même revenir sur quelques points concernant le système assurantiel, la réflexion autour de la garantie universelle des loyers étant bien une réflexion partagée, activement menée depuis 2001. Cela fait douze ans, dont dix ans pendant lesquels l’actuelle opposition était au pouvoir, que ce sujet est porté par tous, toutes étiquettes politiques confondues.

Pourquoi la démarche assurantielle ne peut-elle pas fonctionner ? Nous faisons face actuellement à plusieurs difficultés.

L’une d’entre elles est liée au fait que les primes sont variables. Le principe même de l’assurance est d’évaluer le risque, et, forcément, le risque est trop important dans le cas des personnes les plus fragiles. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec la GRL.

Un autre problème est celui de savoir s’il doit y avoir obligation d’assurer pour les assureurs.

Parmi les éléments qui ont retenu mon attention très peu de temps après mon entrée en fonctions, se trouve une demande émanant de l’organisme actuellement chargé de la gestion de la GRL : celui-ci souhaitait que soit créée dans la loi une obligation d’assurer pour les assureurs.

Sur le plan intellectuel, un tel dispositif est assez particulier puisque aucun assureur n’est normalement tenu d’assurer. Pour autant, chacun sait ce qu’il en est pour l’assurance automobile : celle-ci est obligatoire, mais les assureurs ne sont pas obligés d’assurer, ce qui engendre des procédures de recours complexes. Dans la matière qui nous occupe aujourd’hui, on imagine bien les contentieux que cela pourrait produire.

Un autre sujet de préoccupation en matière d’assurance obligatoire est parfaitement illustré par le cas de l’assurance des catastrophes naturelles. On a prévu, dans ce domaine, un montant fixe d’assurance et l’intervention possible d’une caisse de réassurance. Alors que, selon la Fédération française des sociétés d’assurance, le coût annuel des aléas naturels s’élève aujourd'hui à 1, 5 milliard d’euros, le coût pour la Caisse centrale de réassurance, la CCR, représente 757 millions d’euros, soit la moitié du montant précédent.

Ainsi, même dans le cadre d’une assurance obligatoire, le système privé est structurellement fragile. En effet, le dispositif de réassurance est nécessairement pris en charge par un autre système puisque le « mauvais » risque ne peut pas reposer sur les acteurs privés.

Enfin, il convient de ne pas oublier deux des aspects de la garantie universelle des loyers dont nous avons parlé hier, notamment la question du suivi. La GUL n’est pas seulement une garantie financière des impayés ; c’est aussi un dispositif d’accompagnement et de prévention des expulsions.

Par ailleurs, je le précise tout de suite, monsieur Mézard, la GUL vise à compléter les dispositifs existants et, en aucun cas, n’interrompt des procédures en cours ou n’empêche le propriétaire de mettre en œuvre tous les dispositifs législatifs découlant de la loi de 1989. Tous les recours, y compris l’expulsion, sont possibles et, dans le cas d’un locataire de très mauvaise foi, le recouvrement des loyers impayés se poursuivra après l’expulsion si la dette à l’égard du système de garantie n’est pas réglée.

Si rien n’est précisé dans le texte, c’est bien parce que nulle disposition du projet de loi ne remet en cause les dispositions existantes.

D’ailleurs, dans la réflexion que nous menons sur les différents scénarios présentés par l’Inspection générale des finances, nous en sommes parvenus au stade où nous envisageons que le système couvre non seulement une partie des loyers impayés, mais également une partie des frais liés à la mise en œuvre de poursuites judiciaires par le propriétaire. Nous souhaitons donc que le dispositif soit protecteur à l’égard du propriétaire. Cela démontre bien que nous considérons la GUL comme un soutien aux dispositions existantes. En particulier lorsque l’on fait face à des locataires de mauvaise foi, il est nécessaire d’intervenir le plus tôt possible, tant en matière de recouvrement qu’en utilisant les différents recours et, a minima, en engageant une procédure de conciliation. Comme cela a été dit, la mise en œuvre d’une procédure judiciaire permet parfois de remettre les uns ou les autres sur de bons rails.

Je veux vous rassurer : cela ne change absolument rien aux droits du propriétaire à l’égard de son locataire en situation d’impayé. Mais je le redis : il est essentiel de ne pas considérer ce dispositif uniquement sous l’angle de la garantie financière ; il représente bien davantage que cela.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 337 rectifié bis et sur l’amendement n° 507 rectifié.

Monsieur Mézard, par votre amendement n° 567 rectifié, vous proposez que le Gouvernement présente au Parlement les conditions et les modalités d’une garantie universelle des loyers, en lieu et place du dispositif tel qu’il est proposé dans le projet de loi, au motif que sa rédaction ne serait pas suffisamment avancée. J’entends bien, mais j’ai répondu en partie par avance, hier, à cette objection. Nous avons fait le choix de ne pas proposer d’emblée au Parlement un dispositif complet, « blindé », mais, au contraire, de profiter du travail parlementaire pour discuter et améliorer le texte. C’est ce qui s’est passé tant à l’Assemblée nationale qu’en commission au Sénat.

Je fais le lien avec d’autres amendements que vous avez proposés, notamment les amendements n° 604 rectifié, 570 rectifié et 572 rectifié, sur lesquels j’émettrai un avis favorable, pour la simple et bonne raison que vous avez vu juste : il faut améliorer ce dispositif, c’est un travail qui doit se poursuivre et celui-ci sera d’autant plus efficace qu’il se fera dans le cadre d’une collaboration entre le Parlement et le Gouvernement et non pas sur l’initiative du seul Gouvernement.

Voilà pourquoi je demande le retrait de l’amendement n° 567 rectifié, tout comme je vous demanderai également de retirer votre amendement n° 571 rectifié, relatif à l’Agence de la garantie universelle des loyers. Le temps législatif est très long et si, onze ans après que la réflexion a été engagée, après le constat d’échec de la GRL, nous prenions encore des mois et des mois de retard, la date butoir que nous avons fixée ne pourrait pas être respectée. Il faut donc continuer à améliorer ce dispositif, maintenir les échanges, sous le contrôle des parlementaires, pour donner de la robustesse à ce dispositif. Je sais que telle est la volonté de M. le président de la commission des affaires économiques. Néanmoins, il faut franchir les premières étapes, faire en sorte que ce dispositif soit effectif, tout en y apportant un certain nombre d’améliorations dès la première lecture. Je pense en particulier aux propositions que vous faites dans les trois amendements que je viens de citer.

Monsieur Dallier, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement n° 11 rectifié. Vous proposez de substituer les mots « de recouvrement » au mot « universelle », mais là n’est pas la seule finalité du dispositif. Celui-ci repose sur trois piliers, tout aussi importants les uns que les autres.

Monsieur Husson, votre amendement n° 742 rectifié bis s’inscrit également dans une logique assurantielle. J’ai expliqué les difficultés que soulève cette proposition. À l’instant, je disais à M. Mézard que j’étais favorable à son amendement n° 572 rectifié, qui vise à supprimer les termes « de toute nature » dans la désignation des organismes agréés pour vérifier, notamment, le respect des conditions exigées pour bénéficier de la garantie universelle des loyers. M. Mézard avait raison lorsqu’il a estimé que cette précision n’apportait rien, mais, si le Gouvernement a fait le choix de l’inscrire malgré tout dans le texte du projet de loi, c’est qu’il pensait que ce « partenariat public-privé », qui repose sur une mutualisation garantie au sein d’un établissement public et sur des acteurs locaux, pourrait associer sur le terrain des organismes « de toute nature », c’est-à-dire des administrateurs de biens, des huissiers, des assurances, des centres de gestion et des associations. Nous ne voulions en fait exclure personne. Une chose est de réfléchir sur le système, une autre est de réfléchir sur les acteurs qui pourront en être parties prenantes. Il me semble que la solution de l’établissement public administratif de l’État avec une garantie universelle est la plus solide. Juridiquement, nous pourrions également nous interroger sur « l’eurocompatibilité » d’un système par appel d’offres, par exemple, mais nous nous garderons bien d’entrer dans tous les détails techniques. Toujours est-il que l’objectif est de n’exclure aucun intervenant qui puisse effectivement assurer les trois missions de l’AGUL dont j’ai parlé.

L’amendement n° 70 rectifié vise à restreindre le champ d’intervention de l’AGUL aux impayés résultant d’accidents de la vie. Outre la difficulté de définir précisément ce champ, c’est-à-dire de déterminer la bonne ou la mauvaise foi d’un locataire, il nous apparaît vraiment utile de conserver un dispositif global de garantie des loyers. Ensuite, dans le cas d’impayés, l’AGUL interviendra différemment selon les cas : très sévèrement à l’égard des locataires de mauvaise foi, et en utilisant tous les filets de sécurité existants si ces impayés résultent d’accidents de la vie.

Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 348 rectifié.

L’amendement n° 84 rectifié vise à déclencher la GUL non pas sur la base d’un montant minimal d’impayés, mais sur l’équivalent de plusieurs montants du loyer défini dans le bail. Vraiment, ce serait une erreur, parce que toute la force de ce dispositif réside dans la possibilité de le déclencher très précocement. Plus on intervient tôt, plus le montant des impayés est limité, plus on évite la dégradation de la relation entre le propriétaire et le locataire et plus il est facile de trouver une solution en fonction des difficultés de vie rencontrées par le locataire.

C’est pour cette raison que je suis également sensible – et je reviens sur ce que je vous ai répondu tout à l’heure, monsieur Husson – au fait que des professionnels de l’immobilier puissent intervenir. On peut imaginer que quelqu’un qui, parce que ses revenus le lui permettaient, louait un appartement de quatre pièces au loyer très élevé tout en y vivant seul puisse, après avoir perdu son emploi et en avoir retrouvé un moins bien rémunéré, être capable de s’acquitter d’un loyer, mais pour un logement de plus petite taille. Auquel cas, l’intervention de l’AGUL consistera à proposer un logement privé, mais d’une taille et d’un loyer inférieurs. Le problème trouverait donc une solution en quelques semaines.

Plus le mécanisme sera souple, plus il sera possible d’intervenir tôt : c’est là l’idée essentielle. C’est pourquoi, monsieur Guerriau, le Gouvernement est défavorable à votre amendement, qui vise à faire démarrer la GUL seulement au bout de plusieurs mois.

L’amendement n° 665 rectifié de Marie-Noëlle Lienemann et de Martial Bourquin vise à exclure du dispositif de la garantie universelle des loyers les logements des organismes HLM et des sociétés d’économie mixte de logement social, ainsi que les logements intermédiaires gérés par les organismes HLM et les logements appartenant à des organismes participant à la politique sociale du logement ou gérés par eux faisant l’objet d’une convention et d’un plafond de loyer au titre d’un prêt locatif intermédiaire. Je profite de cette occasion pour réagir à l’intervention de Mme Schurch sur l’article 8 au sujet de la prise en compte des logements relevant des organismes de logement social. La fonction et la mission de ces derniers consistent à loger des personnes disposant de ressources modestes, mais aussi à adopter une gestion locative adaptée. Il est de la responsabilité de ces gestionnaires de prévenir les impayés, de mettre en œuvre des procédures de relogement quand c’est nécessaire et de faire appel aux dispositifs existants, tels que le fonds de solidarité pour le logement, quand leurs locataires rencontrent de grandes difficultés. Aussi, il ne serait pas logique de décharger, au profit de ce dispositif, les organismes de logement social de cette mission, pour laquelle, d’ailleurs, ils perçoivent des financements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion