Intervention de Alain Milon

Réunion du 30 octobre 2013 à 14h30
Avenir et justice du système de retraites — Article 5

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Mes chers collègues, nos collègues députés ont voté, jeudi 10 octobre dernier, la création d’un « compte personnel de prévention de la pénibilité ». Celui-ci permet à tout salarié exposé à des conditions de travail pénibles d’accumuler des points, à convertir en formation, en temps partiel ou en départ anticipé à la retraite.

Si certains se réjouissent de cette instauration, qu’ils considèrent comme une véritable avancée sociale, beaucoup d’autres ne voient dans cette nouveauté qu’une véritable usine à gaz, coûteuse, non maîtrisée et engendrant de nouvelles difficultés. Permettez-moi de relayer leur inquiétude et leur incompréhension.

Des catégories entières de salariés pensent que l’espérance de vie n’est pas la même pour tous. Ayant été durablement exposés à des conditions de travail pénibles, occasionnant une usure physique accélérée, je conçois que ces salariés demandent que ces différences soient prises en compte ! Cela dit, je me permets de rappeler que la réforme des retraites de 2010 avait déjà introduit des départs anticipés pour pénibilité, même si ces derniers ne devaient bénéficier qu’aux salariés souffrant d’incapacité en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité proposé dans le présent texte permettrait à ces salariés de pouvoir partir jusqu’à deux ans plus tôt en retraite, de réduire leur temps de travail en le transformant en temps partiel ou encore d’évoluer vers un poste non pénible grâce à des actions de formation auquel ce compte ouvre droit. Il ne crée donc des droits que pour l’avenir.

Dans ces conditions, il faudra de nombreuses années pour que ces « comptes pénibilité » créent des droits suffisants pour les salariés, et cet outil n’apportera pas de réponse à tous ceux qui, aujourd’hui, parce qu’ils se sentent directement concernés, demandent la mise en place d’une nouvelle réforme. Si la loi leur semble intéressante, elle leur paraîtra encore très complexe.

Que peut-elle prévoir pour ces salariés, proches de la retraite, qui ont été exposés à des facteurs de pénibilité par le passé ? En tout état de cause, elle ne prévoit pas de rétroactivité, alors que de nombreuses personnes sont concernées. Ce point seul fait déjà l’objet d’un débat.

N’est-il donc pas plus judicieux, pour commencer, de préciser la définition exacte de la « pénibilité », après avoir établi, sur cette question, un réel dialogue social avec les différents partenaires sociaux ? Vous en conviendrez, mes chers collègues, la notion de « pénibilité » reste encore floue et imprécise pour beaucoup d’entre nous !

Un tel effort de définition se justifie d’autant plus que les conditions de pénibilité auxquelles les travailleurs sont exposés doivent donner lieu, de la part des employeurs, à la consignation, dans une fiche, pour chacun des salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels, de la période au cours de laquelle cette exposition est survenue, ainsi que des mesures de prévention mises en œuvre par le chef d’entreprise pour faire disparaître ou, du moins, réduire ces facteurs.

Nous savons ce qu’est un « accident du travail » ou une « invalidité », nous pouvons définir une « maladie professionnelle ». En revanche, il me semble nécessaire de préciser la notion de « pénibilité », dont les contours seront définis par décret – certains paraissent précis, d’autres ne me semblent pas particulièrement clairs – et devront être soumis à des seuils.

Mon autre inquiétude concerne la maîtrise des dépenses. Toutes les entreprises seront mises à contribution, celles dont les salariés partent le plus en « retraite pénibilité » étant le plus taxées.

Alors que de nombreuses entreprises, notamment les TPE et les PME, rencontrent des difficultés financières, je souligne l’urgente nécessité d’adopter des mesures assurant une maîtrise vigilante de ce dispositif, qui, si on n’en contrôle pas les limites, pourrait leur coûter extrêmement cher et faire retomber une grande partie d’entre elles dans des difficultés similaires à celles rencontrées à l’occasion de la mise en place des 35 heures.

Mes chers collègues, vous en conviendrez, nous parlons plus de compensation que de prévention, ce qui constitue, à mes yeux, une grosse erreur. En effet, il me semble que l’urgence exige de tout mettre en œuvre pour développer les actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, et, certainement, de reprendre les négociations de branches pour permettre l’application d’un dispositif plus proche du terrain.

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