Combattre la pénibilité, s’efforcer d’améliorer les conditions de travail est un devoir absolu auquel personne ici ne songe à se soustraire. C’est une tâche extrêmement difficile à laquelle nous nous étions attelés, vous avez bien voulu le rappeler, en 2003. Des négociations entre employeurs et salariés ont fonctionné, à un rythme que l’on peut qualifier de réfléchi et de mesuré.
Vous nous proposez, madame le ministre, une mesure globale avec un compte personnel de prévention de la pénibilité. C’est un hommage que vous rendez au régime de retraite par points, puisque vous individualisez non pas des avantages mais des efforts et, ce faisant, permettez aux salariés de les affecter, dans des conditions que l’examen des articles me permettra de préciser, à différentes solutions, y compris l’avancement de l’âge de la retraite.
Mon intervention portera sur un point qui est assez proche de celui qu’a évoqué Philippe Bas, mais qui s’en distingue, à savoir le transfert de responsabilité. Philippe Bas souligne que la création du compte de pénibilité ne doit pas être l’occasion de différer l’amélioration des conditions de travail pour tous. Je voudrais insister, quant à moi, sur le risque – je parle avec prudence – de transfert de charge de l’employeur vers les régimes de retraite. La pénibilité est une évidence ; elle est reconnue dans beaucoup de professions – pas dans toutes – et se traduit par des dispositions salariales plus avantageuses.
Je suis élu d’une région de tradition industrielle, la Lorraine, où le travail sous-terrain et le travail posté ont toujours bénéficié, et à juste titre, d’avantages salariaux significatifs. Les salaires de l’industrie sont évidemment insuffisants, le groupe communiste me le dirait, mais je constate qu’au XIXe siècle les salaires pratiqués dans les mines de fer ont absorbé sans aucun problème la totalité de la population rurale disponible de mon département, car elle préférait la sécurité d’un revenu mensuel et une organisation du travail, qui n’était certes pas exemplaire au regard des critères actuels mais constituait un vrai progrès social par rapport aux conditions du travailleur rural et agricole de l’époque.
La pénibilité a été prise en compte depuis longtemps par l’employeur, qu’il s’agisse de l’attractivité des salaires et, sans doute, du paternalisme qui paraît aujourd’hui désuet mais qui était animé de bonnes intentions, comme nous l’avons vu avec les lois sociales allemandes, lesquelles découlaient en réalité, après l’annexion due au traité de Francfort, des accords patronaux alsaciens.
Je ne voudrais pas que la mise en place d’un « compte pénibilité » puisse apparaître comme exonérant l’employeur de l’obligation de récompenser les salariés qui acceptent le travail posté, le travail dans des conditions difficiles, le travail exposé à la chaleur ou aux intempéries. Il faut veiller à ce que la politique salariale tienne compte des difficultés de façon continue, ce qui se traduit d’ailleurs par des avantages en termes de retraite. En effet, les vingt-cinq meilleures années étant prises en compte dans le calcul de la retraite du salarié du secteur privé, la reconnaissance de la pénibilité se traduit favorablement dans le calcul de celle-ci.
Madame le ministre, j’attire donc votre attention sur cet article. Nous éprouvons un grand intérêt pour votre démarche. Cependant, ne transférons pas la responsabilité de l’employeur sur un régime collectif de retraites : c’est à l’employeur de payer la pénibilité que le salarié accepte librement d’assumer, parce qu’il y trouve en contrepartie son compte sur le plan salarial.