Permettre à des salariés dont l’activité professionnelle provoque une réduction de l’espérance de vie, ou de l’espérance de vie en bonne santé, de bénéficier d’une réduction du temps de travail ou d’un départ anticipé à la retraite, constitue indéniablement une avancée par rapport au droit existant.
Pour la première fois, le législateur reconnaît vouloir rompre avec la logique précédente selon laquelle il serait impossible d’associer à parts égales la prévention des risques et leur réparation. C’est pourquoi ce dispositif suscite de nombreux espoirs. Cependant, il risque, dans les faits, d’engendrer quelques déceptions.
En effet, présenté comme un compte personnel de prévention de la pénibilité, ce mécanisme s’inscrit dans la continuité des autres comptes personnels, comme le compte individuel de formation. Celui-ci, instauré en transposant l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, est un compte personnel dans lequel l’employeur est très présent et au sein duquel une part importante des choix opérés par les salariés sont soumis à son autorisation.
La liberté du salarié quant à l’usage des droits accumulés en raison de son exposition à des facteurs professionnels s’arrête, dans les faits, là où commence la volonté de l’employeur. Il résulte de cette situation que les salariés ne sont pas réellement maîtres des droits auxquels ils pourraient prétendre.
Ainsi, une partie des droits acquis par les salariés devront obligatoirement être utilisés dans le cadre de la formation professionnelle. Pourtant, celle-ci constitue déjà une obligation des employeurs ouvrant des droits aux salariés, indépendamment de leur exposition à des facteurs de risques.
Nous nous interrogeons donc sur cette mesure, d’autant plus que, dans le projet de loi, on se contente de prévoir que cette formation devra être de nature à permettre l’accès à un emploi non exposé, ou moins exposé, à des facteurs de pénibilité.
Pour autant, le changement de situation professionnelle, le passage d’un poste exposé à un poste non exposé, ne dépend pas de la volonté du salarié, quand bien même ce dernier aurait suivi une formation professionnelle, mais relève bien de la seule volonté de l’employeur. Le salarié pourrait donc se trouver, après avoir suivi une formation, contraint, faute de disponibilité ou de volonté de l’employeur, de regagner le même poste de travail ou un poste exposé au même facteur de risque.
Qui plus est, nous redoutons que le salarié ne soit, d’une certaine manière, rendu responsable, en partie, de son exposition à des risques professionnels. Un employeur pourrait ainsi refuser la mobilité interne d’un salarié vers un poste moins exposé, au motif que la formation que le salarié aurait choisie ne serait pas en adéquation avec les besoins de l’entreprise.
À l’inverse, ce système pourrait être dévoyé par l’employeur si l’on ne précisait pas que cette formation doit servir à la reconversion. Surgit alors une autre question : en six mois, peut-on vraiment se reconvertir ?
Ce texte soulève donc beaucoup de questions. Tout en espérant que le débat nous permettra d’avancer sur le sujet, nous soulignons d’emblée le risque de susciter beaucoup de déception si ces questions devaient rester sans réponse.
Nous aurions préféré que l’utilisation du compte individuel de formation demeure sous la seule responsabilité des salariés et qu’ils en soient ainsi réellement propriétaires. Tel n’est pas le cas.
Des orateurs de notre groupe évoqueront d’autres sujets relatifs à ce compte pénibilité. Tenir compte de la pénibilité afin d’y mettre un terme est un postulat que nous partageons. Toutefois, beaucoup de réponses manquent encore.