Intervention de Annie David

Réunion du 30 octobre 2013 à 14h30
Avenir et justice du système de retraites — Article 6

Photo de Annie DavidAnnie David :

Nous avons pu lire et entendre les déclarations des responsables de l’UMP et du MEDEF, disqualifiant ce dispositif comme trop coûteux. Cela ne nous étonne guère.

Souvenons-nous qu’en 2010 les mêmes avaient, à l’occasion de leur réforme des retraites, mis en place un dispositif pour les salariés souffrant d’incapacité en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.

Ce dispositif était complexe, surmédicalisé et ouvert à un nombre particulièrement restreint de salariés puisque, pour en profiter, le salarié devait justifier d’un taux d’incapacité, mesuré par les médecins de l’assurance-maladie, au moins égal à 20 %.

Ces critères particulièrement restrictifs ont joué le rôle indirect qui leur était assigné : rendre le dispositif peu opérant, donc peu coûteux. De fait, 5 366 personnes seulement en ont bénéficié, selon un bilan dressé à la fin du mois de juin, alors que le gouvernement de l’époque annonçait 30 000 bénéficiaires.

Si le dispositif qui nous est soumis ici est plus ambitieux, et répond davantage aux demandes des salariés, il n’est pas exempt de critiques, et certaines sont à nos yeux très importantes.

Ainsi, ce compte personnel de prévention de la pénibilité ne sera mis en œuvre qu’à partir du 1er janvier 2015, et les premiers départs en retraite anticipée en raison de l’exposition des salariés à des facteurs de risques ne seront possibles qu’en 2040.

Se pose donc légitimement la question de ces salariés qui, aujourd’hui, ont déjà été exposés, des années durant, à des facteurs de risques, comme le travail posté ou le travail de nuit. Nous entendons l’argument selon lequel les partenaires sociaux doivent travailler ensemble à l’élaboration de critères permettant de définir les facteurs de risques. Pour autant, certains de ces facteurs sont connus depuis des années et font l’objet d’une littérature scientifique, voire de décisions judiciaires, sur lesquelles il aurait été possible de s’appuyer sans attendre 2015. Pour ces salariés-là, il aurait donc été juste de prévoir un mécanisme réellement rétroactif.

Il en est ainsi du travail de nuit, qui fait l’objet d’une fiche spécifique dans la catégorie « facteurs de risques », disponible sur le site internet du ministère du travail et des solidarités. On peut y lire : « L’existence de situation de travail de nuit, au sens des définitions rappelées ci-dessus, doit conduire à considérer les personnes concernées comme exposées à un facteur de pénibilité ». Cette fiche précise que plusieurs effets ont été identifiés sur la santé des travailleurs, comme des « troubles digestifs » et un « déséquilibre nutritionnel » avec pour effets « d’éventuels problèmes de surpoids » ou encore des « risques cardiovasculaires accrus – surpoids, hypertension artérielle ».

De son côté, l’Institut national de recherche et de sécurité, l’INRS, fait valoir que les horaires atypiques favorisent aussi l’apparition de certaines pathologies, et contribuent à l’usure prématurée des salariés.

Des études révèlent ainsi que, plusieurs années après, l’état de santé des ouvriers ayant travaillé de nuit ou en trois-huit est dégradé par rapport à l’état de santé de ceux qui ont toujours connu des horaires « standard ».

Dans une telle situation, concernant de tels effets, visiblement connus, une action plus rapide et une prise en charge rétroactive nous paraissent techniquement possibles et socialement justes.

Certes, les salariés âgés de 52 ans pourront bénéficier de majorations de trimestres, mais celles-ci ne correspondent pas à la prise en compte qu’attendent ceux qui sont exposés depuis des années à des facteurs de risques ayant, tout au long de leur vie professionnelle, réduit leur espérance de vie.

Au final, le compte personnel de prévention de la pénibilité, s’il constitue une amélioration notable par rapport au dispositif introduit en 2010, ne répond pas aux besoins des salariés ayant déjà été exposés à des facteurs de risques. Ses effets, attendus en 2040, nous semblent trop tardifs, et cela n’est pas acceptable.

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