Mesdames, messieurs les sénateurs, pour appuyer mon propos, je vais vous présenter un certain nombre de graphiques que je commenterai en même temps. Je commencerai en nous resituant dans la tendance économique générale.
S'agissant de la croissance du PIB mondial en volume, nous subissons toujours les conséquences de la crise des subprimes survenue en 2008, avec une rechute bien visible en 2012-2013 suivie, récemment, d'un léger rebond. Cette rechute, l'évolution de l'indice boursier mondial le montre, les marchés boursiers ne l'ont pas connue : un tel optimisme est compréhensible dans la mesure où les entreprises mondiales bénéficient du dynamisme des pays émergents.
Pour leur part, les marchés des matières premières sont, encore aujourd'hui, touchés par un choc d'une ampleur comparable à celui que nous avons connu en 1974. Nous construisons tous les jours avec Coe-Rexecode un indicateur global, assis sur un panier constitué de matières premières, de l'énergie, des matières agricoles et des métaux non ferreux. Depuis sa création en 1988, cet indicateur a connu son point le plus bas à la fin de 1998 et au début de 1999 : jamais sans doute, au cours du XXe siècle, les prix des matières premières n'avaient été, en valeur réelle, si peu élevés. Ils ont été, depuis, multipliés par six.
Je mettrai deux bémols à ce constat. D'une part, ces cours sont exprimés dans une monnaie, le dollar, qui est instable. D'autre part, il s'agit de prix courants, même si l'incidence de l'inflation est toute relative. Le graphique montre très clairement un « hoquet » au second semestre 2008, suivi d'un rebond. Depuis pratiquement trois ans, les prix des matières premières restent stables, à des niveaux très élevés.
Quelles sont les incertitudes qui pèsent actuellement sur la situation économique mondiale ?
Tout d'abord, l'économie chinoise ralentit. J'attire votre attention sur le fait que, pour la Chine, ce qui équivaut pour nous à la croissance zéro se situe probablement entre 5 % et 6 %. Autrement dit, à ce niveau, la Chine ne crée pas les emplois nécessaires pour satisfaire non seulement son trend démographique mais surtout les vingt millions de migrants qui, chaque année, quittent les campagnes pour aller vers les villes.
Le graphique illustrant la croissance de la production industrielle chinoise est sans doute le plus intéressant à ce titre, car il est vraiment le plus explicatif de la crise des matières premières que nous vivons aujourd'hui. Je ne cesse de le dire à mes étudiants, c'est le graphique le plus extraordinaire de toute l'histoire économique. Il commence en 1998, mais il aurait pu débuter en 1976, à la mort de Mao. Depuis 1976, la Chine et son 1,3 milliard d'habitants tournent en moyenne à 10 % de croissance annuelle.
Pour donner un ordre de grandeur, entre 1880 et 1914, les États-Unis, le grand pays émergent de l'époque, ont enregistré une croissance annuelle moyenne de 4,5 %, avec une population passant de soixante millions à cent millions de personnes, sur un total mondial de 1,8 milliard d'êtres humains à la veille de la Première Guerre mondiale.
À la fin du XXe siècle, la production industrielle chinoise suit un trend de 10 % de croissance par an et connaît un changement de braquet brutal à partir de 2001-2002. Souvenez-vous qu'en novembre 2001, à Doha, la Chine adhère à l'OMC. Sur les huit années suivantes, la moyenne de la croissance chinoise monte à 16 %, et la Chine apparaît alors sur les marchés mondiaux des matières premières, alors que ce pays avait auparavant un rôle marginal, tantôt importateur, tantôt exportateur.
C'est à partir du début du XXIe siècle que la Chine importe de plus en plus de matières premières, jusqu'à en devenir pratiquement le premier importateur aujourd'hui. À la limite, il est plus facile de recenser ce qu'elle n'importe pas ou pas beaucoup : cela se résume au café, au chocolat et au sucre. Ainsi, en 2002, la Chine importait cinquante millions de tonnes de minerai de fer ; en 2012, elle en a importé six cent cinquante millions de tonnes.
La croissance de la production industrielle marque une pause avec la crise de 2008, en diminuant même légèrement vers janvier 2009. Puis elle repart à la hausse, ce qui explique que l'indice des matières premières atteigne son plus haut à la fin de 2009 et au début de 2010.
Depuis, la production chinoise est assez fluctuante, très dépendante des aléas de la conjoncture politique. Elle a ainsi eu un passage à vide en 2012, en raison des incertitudes pesant sur le changement des équipes au pouvoir, de la tenue du 18e congrès du Parti communiste et des « révolutions de palais » autour de l'affaire Bo Xilai. Au début de 2013, la production industrielle est revenue à un niveau de croissance annuelle autour de 8 %-9 %, et de 10 % aujourd'hui.
La Chine était encore un petit radeau dans les années quatre-vingt-dix ; elle est désormais la deuxième puissance économique mondiale. Le fait de maintenir de tels niveaux de demande sur les marchés mondiaux est véritablement marquant.
Derrière la Chine, les autres pays émergents sont en train de « digérer » leur croissance récente relativement forte. Le taux de croissance annuel atteint 4 %-5 % en Inde, 2 %-3 % au Brésil. La Russie est plus un « émirat pétrolier » qu'un pays émergent : c'est un très bel exemple de ce que j'appelle la malédiction des matières premières ; j'y reviendrai.
La croissance américaine, inférieure à 2 %, n'a rien de très extraordinaire quand on sait tous les « dopants » fournis par les autorités de la FED au travers notamment du quantitative easing. Cela va tout un petit mieux sur le marché immobilier, d'où la crise est partie avec les subprimes. Les États-Unis se sont remis à créer des emplois, entre cinq millions et six millions, mais pas suffisamment pour récupérer les sept millions et demi d'emplois perdus en 2008-2009. D'où la faiblesse persistante du taux de participation à l'emploi calculé selon les critères américains. Néanmoins, les chefs d'entreprises américaines ont retrouvé un tant soit peu le moral, d'après les résultats de la célèbre enquête menée auprès des directeurs d'achat.
Un élément joue pour moitié au moins dans la croissance américaine : c'est le choc énergétique des gaz de schiste.
En France, la messe est dite, leur exploitation n'est pas envisageable avant la prochaine élection présidentielle.