Intervention de Philippe Chalmin

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 octobre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Chalmin économiste et historien sur les perspectives des marchés des matières premières

Philippe Chalmin, économiste et historien :

Je partage totalement votre point de vue sur les pays que vous avez cités. Le Qatar et l'Arabie saoudite illustrent cette malédiction des matières premières que j'évoquais. Simplement, ces pays sont tellement petits et disposent de tellement d'argent à dépenser qu'ils représentent des modèles, dangereux certes, mais impossibles à reproduire.

J'ai conclu ma présentation en soulignant que jamais le monde n'avait été aussi instable. J'aurais pu ajouter : jamais il n'y a eu aussi peu de pilotes dans l'avion. Et ce n'est pas la faute des marchés.

Qu'il me soit permis de rappeler que la dimension spéculative des marchés traduit simplement une fonction d'anticipation. Au travers de la fixation du prix d'une denrée, il projette ce qu'il en sera, demain ou après-demain, du rapport entre l'offre et la demande.

Nous avons tous en tête les images de 2008, au moment de la flambée des prix alimentaires, de ces « émeutes de la faim » : c'étaient des émeutes de la pauvreté et de la mal-gouvernance, pas des émeutes de la faim. Les produits ne sont jamais venus à manquer. Ont alors été immédiatement incriminés les « horribles spéculateurs ». Mais les marchés étaient dans leur fonction d'alerte. Que disent-ils encore aujourd'hui ? Pour nourrir correctement 10 milliards d'hommes en 2050, il va falloir doubler la production agricole de la planète ; il est donc temps d'investir et d'encourager la production pour augmenter les rendements, plutôt que d'inciter les agriculteurs à faire du bio.

Pour la prise de conscience du problème alimentaire mondial, les marchés, par le biais des trois crises des cinq dernières années, ont fait beaucoup plus que le silence coupable qui a été le nôtre par le passé, notamment dans les années quatre-vingt-dix.

Il y avait autant de gens qui mourraient de faim ; simplement, ce n'étaient pas les mêmes. Quand les prix sont bas, ce sont les agriculteurs qui crèvent de faim, et aucune caméra n'est là pour les filmer. Quand les prix sont élevés, il y a, dans les villes du tiers-monde, des « émeutes de la faim » et beaucoup de caméras.

Au fond, la fonction des marchés, c'est d'alerter.

Quand le prix du pétrole atteint plus de 100 dollars le baril, voici ce qu'il faut comprendre : le pétrole, c'est rare, c'est sale et cela vient de lieux instables, donc il faut en payer le prix. À la limite, c'est le meilleur cadeau que nous puissions faire aux générations à venir.

Je n'ai jamais réussi à convaincre un ministre de l'agriculture, que ce soit Bruno Le Maire ou Stéphane Le Foll, de l'utilité de la spéculation. Je me suis rendu compte qu'ils traduisaient le mot anglais regulation, qui veut dire « réglementation », par « régulation », c'est-à-dire intervention et stabilisation.

À titre personnel, j'ai pris une grande part à la négociation d'accords internationaux, notamment sur les marchés du sucre, du café, du cacao. Cela n'a jamais marché. Je suis d'accord avec vous, le monde a besoin de gouvernance. Mais aucune stabilisation des prix des matières premières ne sera possible sans la mise en place d'un nouveau système monétaire international avec des taux de change stables. Cela devrait être facile à obtenir compte tenu du cartel de banques centrales existant. Nous n'y sommes pas encore parvenus.

La mère de toutes les instabilités, c'est l'instabilité monétaire. Ce n'est pas le rôle de l'OMC, ni celui de la FAO. Il faudrait, au minimum, pouvoir demander une certaine forme de réglementation sur les marchés dérivés. Mais pareil souhait se heurte à la réalité internationale, à tous ces opérateurs installés dans des paradis fiscaux.

Je suis désolé de le dire, nous sommes dans des situations totalement ingérables. Jamais le monde n'a été aussi instable mais, quelque part, il gère cet état de fait. Il y a dans cette instabilité une certaine forme de dynamique. Oui, monsieur le sénateur, vous avez totalement raison : jamais le monde n'a été aussi peu gouverné. Malheureusement, je ne sais pas du tout comment tout cela peut évoluer. Ce qui est clair, c'est que l'instabilité majeure est celle des devises. Tant que les marchés des devises n'auront pas été stabilisés, tant qu'un nouveau Bretton Woods n'aura pas été mis en place, assis sur un trépied dollar-euro-yuan, nous ne pourrons pas avoir quelque stabilité de longue période sur les prix des matières premières que ce soit.

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