Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi, une fois encore, la relance de l’activité économique dans notre pays passerait par des mesures de soutien à l’offre.
Il est tout de même assez surprenant que le Gouvernement ait décidé, pour relancer l’activité et échapper à la récession – ou du moins la ralentir –, de recourir à une intense sollicitation de l’investissement public et privé.
Une première raison qui pourrait nous permettre de motiver cette question préalable tient d’ailleurs à ce constat.
Aucune mesure législative précise n’est prise en faveur du pouvoir d’achat des ménages, en tout cas de manière directe, dans le cadre de ce plan de relance. Tout au plus nous promet-on qu’une prime de 200 euros sera versée au 1er avril –n’y voyons surtout pas malice ! – aux personnes qui se seront engagées dans le parcours du revenu de solidarité active… La revalorisation des retraites attendra aussi le 1er avril, tandis que celle des prestations familiales s’avère insuffisante au regard de l’évolution des charges.
Pourtant, il aurait été simple, sans même voter une loi de finances rectificative ni arrêter le moindre plan de relance, de répondre à l’attente des ménages en matière de pouvoir d’achat, par exemple en décidant, par voie réglementaire, de revaloriser le SMIC au-delà de ce que prévoit le code du travail. De même, exiger des entreprises qu’elles fassent un effort en matière de rémunération de leurs salariés et de négociations annuelles sur les salaires ne nécessitait rien d’autre que l’action déterminée du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité auprès des partenaires sociaux.
À l’inverse, le mal nommé secrétaire d'État chargé de l'emploi nous indique que, faute d’un accord majoritaire sur la nouvelle convention de l’assurance chômage, qui se traduit par une réduction du niveau des allocations servies aux personnes privées d’emploi, le Gouvernement serait prêt à « prendre toutes ses responsabilités », c’est-à-dire à imposer par la loi la réduction de la couverture des sans-emploi !
Devons-nous rappeler que les sociétés du CAC 40, malgré la chute de leur valorisation boursière, comptent distribuer près de 45 milliards d’euros de dividendes, c’est-à-dire près de la moitié de leurs 99 milliards d’euros de profits annoncés ? Les mêmes entreprises, comme le rappelait opportunément notre collègue Jean Arthuis il y a peu, ont consacré l’an dernier 19 milliards d’euros au rachat de leurs propres actions pour les détruire et accroître la valeur de celles qui restent en circulation ! Si l’on ajoute 45 milliards à 19 milliards, cela fait déjà plus du double du montant prévu pour le plan de relance !
Au-delà de ce rappel et de l’évocation des mesures que l’on aurait pu prendre en faveur du pouvoir d’achat des ménages, que trouvons-nous dans ce texte ? Des dispositifs destinés à soutenir l’offre. Le Président Obama a annoncé une remise d’impôt de 1 000 dollars pour 95 % des ménages américains, mais ce n’est pas la voie qui est suivie dans le plan de relance.
Le plan gouvernemental comprend les mesures suivantes.
En premier lieu, il prévoit un accroissement de 4 milliards d’euros des investissements des grandes entreprises publiques dans les domaines ferroviaire, énergétique et postal.
En deuxième lieu, a été décidée une augmentation de 4 milliards d’euros des investissements directs de l’État dans des domaines dits stratégiques : le développement durable, l’enseignement supérieur et la recherche, les industries de défense.
En troisième lieu, l’État apportera son soutien à l’investissement des collectivités locales, via le remboursement anticipé et définitif du Fonds de compensation de la TVA à celles des collectivités territoriales qui accepteront d’investir davantage. Ce versement est estimé à 2, 5 milliards d’euros.
En quatrième lieu, le remboursement par l’État de 11, 5 milliards d’euros au titre du crédit d’impôt recherche sera accéléré.
En cinquième lieu, une exonération de cotisations sociales patronales sera accordée en 2009 pour toutes les embauches de salariés au niveau du SMIC par les entreprises de moins de dix salariés.
Enfin, une dotation de 500 millions d’euros supplémentaires a été inscrite dans le collectif budgétaire que nous venons d’examiner, au titre du financement des « politiques actives » de l’emploi.
Il apparaît clairement nécessaire, au vu de l’ensemble des mesures ainsi annoncées, de faire d’autres choix politiques que ceux qui ont été arrêtés par le pouvoir.
La caractéristique de ce plan est de ne pas traiter les causes profondes de la crise. Ne remettant pas en cause les critères de gestion et de financement qui sont à l’origine de la financiarisation de l’économie, il crée les conditions de l’apparition de nouvelles crises semblables dans le futur.
La première urgence est de sécuriser, de protéger les salaires et l’emploi contre des actionnaires qui veulent faire payer tout le prix de la crise au monde du travail, en procédant à des licenciements et en écrasant le pouvoir d’achat. Or ce n’est pas aux salariés de payer pour la crise des marchés financiers !
C’est pourquoi le Gouvernement se doit d’agir sans attendre.
Il doit tout d’abord obtenir la suspension immédiate de tous les projets de suppressions d’emplois.
Il doit, là où des problèmes se posent, provoquer la convocation de tables rondes quadripartites réunissant les directions d’entreprise, l’État, les élus et les syndicats, pour examiner des solutions de remplacement aux suppressions d’emplois ou au recours au chômage technique. Les contre-propositions issues de ces tables rondes devraient être étudiées prioritairement par les banques et les pouvoirs publics en vue de l’utilisation des sommes dégagées au nom de la relance.
Il doit mettre à contribution les profits et les dividendes versés aux actionnaires, dans l’esprit de la proposition de loi récemment déposée par M. Alain Bocquet et visant à affecter prioritairement les sommes distribuables sous forme de dividendes aux actionnaires à la garantie des rémunérations des salariés affectés par une réduction d’activité de leur entreprise.
Il doit, avant toute autre mesure, obtenir une diminution des taux d’intérêt pratiqués par les banques.
Il doit promouvoir le recours à des prêts à taux nul pour les PME en cas de difficultés de trésorerie, sous condition de renoncement aux suppressions d’emplois.
Enfin, pour lutter contre les politiques de délocalisation, il doit mettre en place des mesures de taxation dissuasive et de conditionnement des aides.
La deuxième urgence est l’élaboration d’un plan de relance massive des salaires et du pouvoir d’achat populaire, qui constituerait un soutien efficace de la demande. Un tel plan pourrait notamment comporter trois mesures d’application immédiate : le relèvement du SMIC, des traitements de la fonction publique, du minimum vieillesse et des minima sociaux ; la convocation, au cours du premier trimestre de 2009, d’une conférence nationale sur les salaires et le pouvoir d’achat, qui donnerait le signal de négociations généralisées sur la revalorisation des salaires et des qualifications ; une baisse significative de la TVA sur les produits de première nécessité et sur les transports.
La troisième urgence est une relance massive des investissements publics, des dépenses publiques et sociales. Elle permettrait tout à la fois de répondre à des besoins criants et de créer les conditions d’une relance intérieure saine. Cela passe d’abord par l’annulation des programmes de suppressions d’emplois publics, notamment dans les secteurs de la santé ou de l’éducation, qui devraient, au contraire, être prioritaires en temps de crise, ainsi que par l’annonce par la France d’une rupture définitive avec les critères du pacte de stabilité et de croissance et d’une demande de négociation d’un pacte européen pour l’emploi et la croissance.
La relance que j’évoquais pourrait également s’appuyer sur le lancement d’un plan national d’investissement dans la santé. La situation hospitalière montre que c’est là une urgence absolue : pour employer une formule lapidaire, je dirai qu’il y a urgence pour les urgences !
Par ailleurs, un plan pluriannuel de construction de logements sociaux, au rythme de 180 000 par an pendant cinq ans, pourrait être mis en œuvre afin de résorber le déficit accumulé par rapport aux besoins.
Il faudrait également moderniser le transport ferroviaire, en particulier en lançant un plan ambitieux pour le développement du fret, indispensable sur le plan économique comme sur le plan écologique, ou en mettant à niveau le transport de voyageurs, notamment en banlieue parisienne. Vous le savez bien, monsieur le ministre, sur certaines lignes du réseau SNCF francilien, un train par heure, en moyenne, enregistre un retard important ! Les salariés-contribuables-voyageurs attendent autre chose que du mépris !
Enfin, la relance d’une grande politique publique de la recherche, au rebours du démantèlement actuel, est nécessaire.
Cette mobilisation publique suppose l’adoption de premières mesures fortes de réorientation de la fiscalité.
Il faudrait notamment annuler le « paquet fiscal » inscrit dans la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat. On ne peut d’ailleurs que souligner que cette collection de cadeaux fiscaux divers n’a pas eu d’incidence sur la croissance de l’activité. Au contraire, l’application de cette même loi explique sans doute dans une large mesure la recrudescence du chômage constatée en 2008, les taux élevés des crédits immobiliers et le maintien à un haut niveau des prix des logements !
Il faudrait en outre moduler sans attendre l’impôt sur les sociétés, pour pénaliser les entreprises qui continueraient à donner la priorité aux rendements financiers plutôt qu’à la préservation et à la création d’emplois.
Il faudrait enfin baisser la TVA sur les produits de première nécessité.
La quatrième urgence est l’élaboration d’un plan d’aide exceptionnelle aux collectivités locales, dont l’activité est un élément essentiel du dynamisme de l’économie nationale et dont l’asphyxie serait une catastrophe.
Ce plan pourrait notamment comporter le remboursement immédiat de la TVA sur les investissements, la compensation des transferts de charges et une réforme de la taxe professionnelle, plutôt que sa suppression, afin de doter les collectivités de ressources nouvelles.
La cinquième urgence est une relance forte de l’activité industrielle et de services.
Nous proposons, en particulier, une mobilisation nationale en faveur de la filière automobile, le développement, parallèlement à l’effort de création de logements sociaux, de toute la filière de la construction et du bâtiment, ainsi qu’un plan de soutien aux PME, leur ouvrant notamment la possibilité de bénéficier de prêts à taux zéro en cas de difficultés de trésorerie, à condition qu’elles renoncent aux suppressions d’emplois.
La sixième urgence est la mobilisation, la réorientation et le contrôle du crédit bancaire.
Des pouvoirs d’intervention nouveaux pour les salariés, les syndicats, les élus et les populations doivent être exigés à tous les niveaux. Pourquoi ne pas créer, dans les départements ou les bassins d’emplois, des commissions transparentes dont le rôle, bien plus étendu que celui, au demeurant parfaitement louable, du médiateur du crédit, serait de contrôler l’utilisation des milliards d’euros mobilisés au titre du plan de relance ?
Les mesures que je viens d’énoncer pourraient constituer un réel plan de relance de l’activité combinant intervention des populations – lesquelles sont sensibles à la situation parce qu’elles en souffrent et souhaitent prendre part à l’action contre la crise –, mesures volontaristes et pertinentes de l’État et renforcement de l’autorité politique.
Au lieu de cela, le projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés vise surtout à accélérer le démantèlement du service public ! Il tend ainsi à encourager la passation de contrats de partenariat public-privé, contrats dont la Cour des comptes a pourtant montré, dans un rapport récent, qu’ils étaient loin de constituer une panacée en matière d’investissement public.
On constate une autre accélération : celle du démantèlement du droit des sociétés en ce qu’il responsabilise les entreprises privées.
Nous sommes particulièrement frappés de constater qu’à l’issue de sa discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi se trouve accru de moult mesures de dépénalisation du droit des sociétés, facilitant la passation de marchés publics selon la procédure de gré à gré, revenant sur les règles d’enquête publique, rendant responsables les archéologues ou les architectes des Bâtiments de France de la baisse de l’activité dans le secteur de la construction et des travaux publics… Comme si, dans notre pays, les origines de la crise étaient exclusivement liées à de prétendues rigidités administratives et juridiques qui décourageraient l’initiative et l’investissement !
Étrange conception de la relance que celle-ci, étrange conception des investissements, particulièrement en un temps où l’on se répand volontiers en professions de foi écologiques…
Que devient le Grenelle de l’environnement ? À quoi rime le nouveau projet de loi, sans doute tissé de bonnes intentions, portant engagement national pour l’environnement quand on laisse à ce point les mains libres aux bétonneurs et aux affairistes, sous prétexte d’un allégement des contraintes de procédure ?
Je ne peux donc que vous inviter, chers collègues, à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable à un projet de loi qui ne correspond aucunement aux attentes du moment.