Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens à mon tour pour défendre une motion de procédure sur le putatif plan de relance du Gouvernement.
Monsieur le ministre, le 5 décembre dernier, vous avez été nommé par le Président de la République ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance. L’attribution de cette mission, qui se veut stratégique, est une réponse légitime à une crise aiguë, inédite par son ampleur, à la durée inconnue et aux conséquences redoutées.
Plutôt que de vous atteler à la rédaction en urgence d’un projet de loi, vous avez entamé votre mission par d’imprudentes prédictions, assez irréalistes sur le plan économique. Vous avez ainsi déclaré, en décembre, que « le plan de relance de 26 milliards d’euros doit permettre de créer 150 000 emplois en 2009 et avoir 100 milliards d’impact économique en deux ans » via un « effet multiplicateur », c’est-à-dire que lorsque « l’État engage un euro, il veut entraîner trois euros, soit des collectivités locales, des entreprises publiques ou des entreprises privées. […] Si on réussit, ça fait 100 milliards d’impact économique. »
À l’évidence, monsieur le ministre, vous maniez les concepts économiques de façon approximative lorsque vous faites ainsi référence à l’effet multiplicateur keynésien. Dans cette perspective, en situation de sous-emploi, un euro de dépense publique supplémentaire produit des effets en cascade dont l’incidence sur la demande globale est finalement supérieure à ce que permet en principe la dépense initiale.
Vous avez d’ailleurs été immédiatement contredit par vos collègues du Gouvernement, Mme Lagarde et M. Woerth, qui tablent plutôt, pour leur part, sur la création de 100 000 emplois.
Entre la date de votre nomination et le dépôt du présent projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, quinze jours se sont écoulés. Je vous concède qu’un délai aussi court rend difficile la rédaction d’un texte de qualité, mais cela ne justifie pas que vous nous présentiez un projet de loi dont le contenu même trahit la promesse contenue dans son titre : il n’est nullement question, ici, d’accélérer quoi que ce soit.
Il s’agit non de l’expression d’un scepticisme partisan, quelque peu prévisible, mais d’une question de fond : à quoi sert ce projet de loi ?
À vrai dire, nous sommes un peu perdus. Quiconque a écouté votre discours introductif s’attend à un projet de loi volontariste et riche en propositions. Mais après avoir parcouru le famélique exposé des motifs de ce projet de loi et en avoir étudié les articles, je me frotte les yeux et je me demande si nous parlons bien de la même relance, ou de la même crise… Il est d’usage qu’un parlementaire regrette qu’un texte ne soit pas à la hauteur des enjeux, mais encore faut-il que le projet de loi présenté entretienne quelques liens, fussent-ils ténus, avec l’objectif annoncé d’une relance de la construction.
Or, que nous soumet-on ? Des dispositions examinées antérieurement, lors de la discussion d’un projet de loi relatif au logement, des mesures urbanistiques à la portée assez anecdotique, comme l’a souligné à cette tribune M. Revet voilà quelques jours, un article relatif aux établissements de santé, au lien plus que ténu avec le texte que nous étudions, et des dispositions précédemment censurées par le Conseil constitutionnel, qui refont surface de façon impromptue.
Pour accélérer, monsieur le ministre, il faut propulser, soutenir, encourager. Je crains, au fond, que vous n’ayez retenu du mot « accélération » que son acception la plus littérale. Le catalogue de mesures adoptées ne vise qu’à économiser un jour, une semaine, un mois peut-être. En somme, vous répondez à une crise systémique par des mesures exclusivement techniques qui manquent singulièrement d’imagination !
Jugez-en plutôt, mes chers collègues.
La seule mesure de ce projet de loi censée accélérer la construction de logements consiste en la simplification des règles de mitoyenneté sans recourir à la procédure de l’enquête publique, dont le délai ne peut excéder deux mois. Quel intérêt y a-t-il à raccourcir certains délais lorsque, en fait, c’est la machine économique qui est grippée ? À quoi bon supprimer une procédure d’enquête publique lorsque les mises en chantier sont au point mort ? À titre personnel, je me suis d’ailleurs demandé si cet article n’était pas destiné à résoudre un problème local particulier, rencontré par une commune ou un promoteur immobilier. La portée de la disposition paraît si faible que l’on ne peut que s’interroger !
Cependant, il y a sans doute plus grave : ce projet de loi semble être devenu, au fil de son élaboration puis de son examen à l’Assemblée nationale, un réceptacle de dispositions diverses, sans lien apparent avec son objet. Manifestement, au vu du nombre d’amendements déposés tendant à insérer des articles additionnels, ce processus n’est pas terminé, tant s’en faut, et nous irons de surprise en surprise, y compris ce soir !
Je vous fais grâce d’un inventaire à la Prévert, monsieur le ministre, pour évoquer maintenant ce qu’aurait pu être ce plan de relance, si toutefois vous aviez accepté d’y travailler quelques semaines de plus. Entendons-nous bien : les mesures budgétaires devaient être prises rapidement, mais ce projet de loi pour l’accélération de la construction ne présentait pas le même caractère d’urgence.
Des mesures plus ambitieuses auraient pu être mises en œuvre. Je me permets de vous rappeler que, le 28 mars dernier, lors du comité interministériel pour le développement de l’offre de logements, le Gouvernement a lancé un ambitieux programme de cession de terrains publics pour favoriser la mise en chantier de logements, notamment sociaux. La barre a été fixée à 11 000 logements en 2009 ; elle aurait d’ailleurs pu l’être à 16 000 logements, à la hauteur de l’objectif de 2008, afin de marquer le volontarisme du Gouvernement. Que faites-vous de la promesse du Président de la République de simplifier les conditions de cession des terrains publics aux communes ? Rien. C’est dommage !
Alors que l’immobilier privé est en difficulté, que nous traversons une crise financière asséchant les liquidités des banques et engendrant une restriction de la distribution de prêts pour l’acquisition de logements, il aurait fallu réfléchir à des solutions s’appuyant sur le rôle contra-cyclique des investissements des collectivités territoriales et des organismes de logements sociaux. Ces derniers ont renforcé leur capacité de construire eux-mêmes et d’acquérir des logements. Vous devriez encourager leur activité de construction. Pour cela, certaines mesures mériteraient un examen plus approfondi.
Alors que les organismes d’HLM jouent l’un de leurs rôles traditionnels en prenant la relève d’un secteur privé aujourd’hui à la peine, vous fermez le robinet des financements. En outre, le texte de Mme Boutin prévoit de ponctionner leur trésorerie. Pis encore, la plupart d’entre eux n’ont toujours pas, à ce jour, reçu notification de leurs subventions pour l’année 2009 et attendent donc pour mettre en œuvre des projets qui devraient être lancés dès maintenant !
Pourquoi ne pas avoir envisagé des mesures tendant précisément à mobiliser cette trésorerie au profit de projets qui peinent à sortir de terre ? Pourquoi ne pas avoir consacré une part des 340 millions d’euros supplémentaires du plan de relance à la réhabilitation du parc existant, plutôt que de concentrer les aides uniquement sur la construction neuve ? Vous le savez aussi bien que moi, dans le climat économique actuel, le nombre des constructions neuves ne sera pas à la hauteur des annonces en 2009 !
C’est ainsi que l’on pourra, sans aggraver la dépense publique, mais en la réorientant vers l’efficacité sociale et économique, conjuguer soutien à l’activité dans le secteur immobilier, satisfaction des besoins et défense du pouvoir d’achat. Il s’agit de jouer de la complémentarité des professions pour une plus grande efficacité.
Enfin, et cette dernière remarque n’est pas la moindre, ce plan de relance aurait pu être davantage compatible avec les objectifs du Grenelle de l’environnement. En effet, vous ne réussirez pas à nous faire croire que quatre nouvelles lignes de TGV vont sortir de terre dans les quatre ans ! En revanche, à l’instar du réseau d’associations France nature environnement, nous pensons que des propositions exceptionnelles auraient pu être faites, combinant aide à la consommation de produits locaux et effet multiplicateur : « De manière générale, il faut adapter l’existant : rénover le réseau ferroviaire et relancer le fret, rénover les outils industriels pour fabriquer des produits éco-conçus, rénover le bâtiment existant dans un contexte de chute du nombre des mises en construction. »
Il va de soi que ce texte ne nous semble pas présentable en l’état. C’est un plan de rattrapage, comme vous avez d’ailleurs admis, devant les commissions sénatoriales réunies, rattraper le retard des contrats de projet État-région, les CPER. Nous aurons donc dû attendre la relance pour que le Gouvernement consente à rattraper le retard qu’il a accumulé en matière d’investissement dans les territoires ! Quelle ironie !
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite, mes chers collègues, à renvoyer ce texte à la commission, où il sera, j’en suis sûr, amélioré avec toute la diligence nécessaire pour qu’un nouveau débat puisse se tenir dans les plus brefs délais.