Cette mission, qui ne passionne malheureusement pas les foules, ne manque pas d'intérêt ; je vais tenter de vous le démontrer. Avec ses 102 milliards d'euros, elle pourrait s'assimiler à un catalogue de dépenses hétéroclites commandées par des règles fiscales dépourvues de véritable cohérence. Elle est pourtant la seule à fournir une vision d'ensemble de notre système fiscal en retraçant les grands enjeux de la première partie du budget.
Les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État s'élèvent à 90 milliards d'euros pour l'année 2014, ce qui correspond aux neuf dixièmes des crédits de la mission. Cette hausse de 19 % par rapport à 2013, soit 15 milliards d'euros, s'explique par la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE. Ce dispositif, dont je déplore le manque de concentration sur les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, donnerait lieu à 5,3 milliards d'euros de restitutions d'impôt sur les sociétés en 2014 ainsi qu'à des restitutions d'impôt sur le revenu. Il est fondamentalement lié à une politique publique, comme le sont le crédit impôt recherche (CIR), la prime pour l'emploi, dont le barème est gelé depuis son intégration au revenu de solidarité active (RSA), ou encore les remboursements sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE), qui diminuent en raison de la fin progressive des avantages sur les biocarburants.
La progression des restitutions au titre de l'impôt sur le revenu traduit peut-être celle du nombre de foyers fiscaux imposables, un point à vérifier quand nous aurons un chiffrage précis.
Les restitutions d'impôts d'Etat découlent aussi de la simple mécanique de l'impôt, c'est-à-dire les restitutions d'excédents d'impôt sur les sociétés et les remboursements de crédits de TVA. Le chiffre de 64 milliards d'euros pour 2014 doit être pris avec précaution : ces montants sont extrêmement sensibles à la conjoncture économique, j'en veux pour preuve la sous-exécution de 10 % intervenue l'an dernier.
Dernier point sur les impôts d'État : 13 milliards d'euros financeront remises gracieuses, annulations contentieuses et autres recettes impossibles à recouvrer. Là aussi, une incertitude demeure : la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a condamné la France à reverser les impôts indûment perçus après les contentieux « Précompte » et « OPCVM » en 2011 et 2012. Peut-être ces crédits seront-ils sous-exécutés en 2014, après l'avoir été en 2013, et en attendant 2015...
Les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux s'élèveront à 11,3 milliards d'euros. Cette nouvelle diminution, de 344 millions d'euros, résulte d'une moindre prévision des remboursements et dégrèvements liées à la taxe professionnelle et à la contribution économique territoriale (CET) ainsi que des admissions en non valeur.
Les restitutions d'impôts économiques représentent 6,4 milliards d'euros. La hausse des dégrèvements de la CET ne compense pas la baisse du dégrèvement pour plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée.
Les montants des dégrèvements s'élèvent à 912,3 millions d'euros pour les taxes foncières et à 3,6 milliards d'euros pour la taxe d'habitation. Cette progression est imputable à celle du dégrèvement relatif aux travaux d'économie d'énergie pour les organismes HLM et les SEM pour les taxes foncières, mais aussi à celle du plafonnement de la taxe d'habitation en fonction du revenu. À ce propos, l'absence de revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu ces deux dernières années entraînera évidemment une diminution du nombre de contribuables exonérés.
Malgré les engagements de l'administration l'an dernier, la maquette du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » n'a pas fait l'objet d'une refonte. Je le regrette, de même que le manque d'information plus précise dans le projet annuel de performance. Nous devrions pouvoir évaluer l'efficacité des remboursements et dégrèvements consentis à l'aune des politiques publiques au service desquels ils ont été créés. Bercy me rétorquera que ces informations sont égrenées au fil des missions budgétaires ; justement, puisqu'elles existent, mieux vaudrait les rassembler.
Je vais également vous présenter les conclusions du contrôle budgétaire que j'ai mené au cours de l'année 2013, sur le profil des bénéficiaires de dégrèvements et d'exonérations de taxe d'habitation.
Je me suis tout d'abord penchée sur l'évolution de cette taxe depuis 1995. Son produit s'élevait à 17,4 milliards d'euros en 2010 pour une base totale de plus de 76 milliards d'euros et un taux moyen de 22,9 %. Mais les différences sont très fortes d'un département à l'autre, nous le savons. La base, qui est en moyenne de 1 169 euros par habitant, varie de 647 euros dans le Nord à 2 245 euros à Paris.
Le produit, qui s'élève à 268 euros en moyenne par habitant, est compris entre 130 euros en Haute-Saône et 484 euros dans les Alpes-Maritimes. De 1995 à 2010, le produit total est passé de 9,19 milliards à 17,4 milliards d'euros. Cette hausse de 89 % est due à 70 % à une évolution de la base, essentiellement du fait de la hausse de la population, et à 30 % à une augmentation du taux moyen de la taxe d'habitation ; la responsabilité des élus locaux, contrairement à ce que l'on peut entendre çà et là, est donc relativement faible dans cette affaire.
Là encore, la situation diffère considérablement d'un département à l'autre. Ainsi, 57 départements ont connu une croissance de leurs bases locatives supérieure à la moyenne de 64 %. La croissance la plus faible, 40 %, est observée à Paris ; la plus forte, 181 %, à La Réunion. À l'analyse, l'évolution des bases au sein d'un département dépend essentiellement des mouvements de population et, donc, en partie des constructions neuves. En revanche, ni la richesse du département ou de ses habitants ni son caractère rural ou urbain ne constituent des critères significatifs. Dans ces conditions, impossible d'établir une typologie.
J'en viens aux profils des bénéficiaires des exonérations et dégrèvements de taxe d'habitation. Comme vous pouvez le voir sur le graphique, leur nombre en termes de revenus dans le premier décile est inférieur à celui des deux déciles suivants. Cette anomalie provient du fait que les erreurs de déclarations sont comptabilisées par défaut dans cette première tranche. La suite est plus logique : le nombre d'assujettis à la taxe d'habitation sans allégement augmente régulièrement avec le revenu. Leur répartition en fonction du type de communes n'apporte pas d'éclairage particulier. Tout au plus peut-on constater leur plus forte proportion dans les communes de moins de 1 500 habitants et dans celles dont la population est comprise entre 5 000 et 20 000 habitants.
Enfin, j'ai voulu mesurer la progressivité de la taxe d'habitation, afin d'évaluer l'efficacité socio-économique des dispositifs pour les ménages les plus vulnérables. La cotisation, en proportion du revenu, diminue de façon relativement progressive. Idem pour le poids du dégrèvement, qui s'annule quasiment pour les trois dernières tranches. L'évolution surprenante entre la première et la deuxième tranche n'est qu'un effet de la comptabilisation des erreurs de déclarations, comme précédemment. Au total, la progressivité de la taxe est relativement satisfaisante, même s'il faudrait examiner les situations individuelles. Cela doit nous inciter à ne pas oublier dans nos réflexions sur la réforme des bases locatives le rôle joué par les dégrèvements et remboursements : c'est grâce à ces mécanismes que la taxe d'habitation acquiert une certaine progressivité, alors qu'elle est, par nature, peu progressive.