La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale, sur la mission « Remboursements et dégrèvements » et entend une communication sur son contrôle budgétaire relatif aux bénéficiaires des remboursements et dégrèvements d'impôts locaux.
Cette mission, qui ne passionne malheureusement pas les foules, ne manque pas d'intérêt ; je vais tenter de vous le démontrer. Avec ses 102 milliards d'euros, elle pourrait s'assimiler à un catalogue de dépenses hétéroclites commandées par des règles fiscales dépourvues de véritable cohérence. Elle est pourtant la seule à fournir une vision d'ensemble de notre système fiscal en retraçant les grands enjeux de la première partie du budget.
Les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État s'élèvent à 90 milliards d'euros pour l'année 2014, ce qui correspond aux neuf dixièmes des crédits de la mission. Cette hausse de 19 % par rapport à 2013, soit 15 milliards d'euros, s'explique par la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE. Ce dispositif, dont je déplore le manque de concentration sur les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, donnerait lieu à 5,3 milliards d'euros de restitutions d'impôt sur les sociétés en 2014 ainsi qu'à des restitutions d'impôt sur le revenu. Il est fondamentalement lié à une politique publique, comme le sont le crédit impôt recherche (CIR), la prime pour l'emploi, dont le barème est gelé depuis son intégration au revenu de solidarité active (RSA), ou encore les remboursements sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE), qui diminuent en raison de la fin progressive des avantages sur les biocarburants.
La progression des restitutions au titre de l'impôt sur le revenu traduit peut-être celle du nombre de foyers fiscaux imposables, un point à vérifier quand nous aurons un chiffrage précis.
Les restitutions d'impôts d'Etat découlent aussi de la simple mécanique de l'impôt, c'est-à-dire les restitutions d'excédents d'impôt sur les sociétés et les remboursements de crédits de TVA. Le chiffre de 64 milliards d'euros pour 2014 doit être pris avec précaution : ces montants sont extrêmement sensibles à la conjoncture économique, j'en veux pour preuve la sous-exécution de 10 % intervenue l'an dernier.
Dernier point sur les impôts d'État : 13 milliards d'euros financeront remises gracieuses, annulations contentieuses et autres recettes impossibles à recouvrer. Là aussi, une incertitude demeure : la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a condamné la France à reverser les impôts indûment perçus après les contentieux « Précompte » et « OPCVM » en 2011 et 2012. Peut-être ces crédits seront-ils sous-exécutés en 2014, après l'avoir été en 2013, et en attendant 2015...
Les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux s'élèveront à 11,3 milliards d'euros. Cette nouvelle diminution, de 344 millions d'euros, résulte d'une moindre prévision des remboursements et dégrèvements liées à la taxe professionnelle et à la contribution économique territoriale (CET) ainsi que des admissions en non valeur.
Les restitutions d'impôts économiques représentent 6,4 milliards d'euros. La hausse des dégrèvements de la CET ne compense pas la baisse du dégrèvement pour plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée.
Les montants des dégrèvements s'élèvent à 912,3 millions d'euros pour les taxes foncières et à 3,6 milliards d'euros pour la taxe d'habitation. Cette progression est imputable à celle du dégrèvement relatif aux travaux d'économie d'énergie pour les organismes HLM et les SEM pour les taxes foncières, mais aussi à celle du plafonnement de la taxe d'habitation en fonction du revenu. À ce propos, l'absence de revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu ces deux dernières années entraînera évidemment une diminution du nombre de contribuables exonérés.
Malgré les engagements de l'administration l'an dernier, la maquette du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » n'a pas fait l'objet d'une refonte. Je le regrette, de même que le manque d'information plus précise dans le projet annuel de performance. Nous devrions pouvoir évaluer l'efficacité des remboursements et dégrèvements consentis à l'aune des politiques publiques au service desquels ils ont été créés. Bercy me rétorquera que ces informations sont égrenées au fil des missions budgétaires ; justement, puisqu'elles existent, mieux vaudrait les rassembler.
Je vais également vous présenter les conclusions du contrôle budgétaire que j'ai mené au cours de l'année 2013, sur le profil des bénéficiaires de dégrèvements et d'exonérations de taxe d'habitation.
Je me suis tout d'abord penchée sur l'évolution de cette taxe depuis 1995. Son produit s'élevait à 17,4 milliards d'euros en 2010 pour une base totale de plus de 76 milliards d'euros et un taux moyen de 22,9 %. Mais les différences sont très fortes d'un département à l'autre, nous le savons. La base, qui est en moyenne de 1 169 euros par habitant, varie de 647 euros dans le Nord à 2 245 euros à Paris.
Le produit, qui s'élève à 268 euros en moyenne par habitant, est compris entre 130 euros en Haute-Saône et 484 euros dans les Alpes-Maritimes. De 1995 à 2010, le produit total est passé de 9,19 milliards à 17,4 milliards d'euros. Cette hausse de 89 % est due à 70 % à une évolution de la base, essentiellement du fait de la hausse de la population, et à 30 % à une augmentation du taux moyen de la taxe d'habitation ; la responsabilité des élus locaux, contrairement à ce que l'on peut entendre çà et là, est donc relativement faible dans cette affaire.
Là encore, la situation diffère considérablement d'un département à l'autre. Ainsi, 57 départements ont connu une croissance de leurs bases locatives supérieure à la moyenne de 64 %. La croissance la plus faible, 40 %, est observée à Paris ; la plus forte, 181 %, à La Réunion. À l'analyse, l'évolution des bases au sein d'un département dépend essentiellement des mouvements de population et, donc, en partie des constructions neuves. En revanche, ni la richesse du département ou de ses habitants ni son caractère rural ou urbain ne constituent des critères significatifs. Dans ces conditions, impossible d'établir une typologie.
J'en viens aux profils des bénéficiaires des exonérations et dégrèvements de taxe d'habitation. Comme vous pouvez le voir sur le graphique, leur nombre en termes de revenus dans le premier décile est inférieur à celui des deux déciles suivants. Cette anomalie provient du fait que les erreurs de déclarations sont comptabilisées par défaut dans cette première tranche. La suite est plus logique : le nombre d'assujettis à la taxe d'habitation sans allégement augmente régulièrement avec le revenu. Leur répartition en fonction du type de communes n'apporte pas d'éclairage particulier. Tout au plus peut-on constater leur plus forte proportion dans les communes de moins de 1 500 habitants et dans celles dont la population est comprise entre 5 000 et 20 000 habitants.
Enfin, j'ai voulu mesurer la progressivité de la taxe d'habitation, afin d'évaluer l'efficacité socio-économique des dispositifs pour les ménages les plus vulnérables. La cotisation, en proportion du revenu, diminue de façon relativement progressive. Idem pour le poids du dégrèvement, qui s'annule quasiment pour les trois dernières tranches. L'évolution surprenante entre la première et la deuxième tranche n'est qu'un effet de la comptabilisation des erreurs de déclarations, comme précédemment. Au total, la progressivité de la taxe est relativement satisfaisante, même s'il faudrait examiner les situations individuelles. Cela doit nous inciter à ne pas oublier dans nos réflexions sur la réforme des bases locatives le rôle joué par les dégrèvements et remboursements : c'est grâce à ces mécanismes que la taxe d'habitation acquiert une certaine progressivité, alors qu'elle est, par nature, peu progressive.
À découvrir ce très bon rapport, il y a de quoi être scandalisé : chaque année, 35 % des recettes fiscales, d'une manière ou d'une autre, sont reversées. Madame le rapporteur, en vous abstrayant de la routine technique que constitue l'examen annuel de cette mission, comment l'expliquez-vous ? Quelle part y tient une anarchie fiscale due à une complexité extraordinaire ? Quelle part est à attribuer à un mauvais travail en amont dans les services fiscaux ? Quel est le coût administratif de tels atermoiements ? Car coût, il y a forcément. Pourquoi réduire le personnel dans les services fiscaux si c'est pour occuper ensuite ceux qui restent à des tâches, peut-être incontournables, mais scandaleuses !
Je suis surpris : les tranches 7, 8 et 9 bénéficient encore de dégrèvements de la taxe d'habitation. Pourquoi ?
On a réformé la taxe professionnelle afin de ne plus pénaliser les entreprises qui investissent mais aussi pour réaliser des économies puisque l'Etat en était devenu l'un des principaux contributeurs. Ces économies sont-elles à présent au rendez-vous ?
Je partage complètement l'observation de François Trucy. Pour avoir siégé à la commission des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, je constate que le Parlement, depuis trente ans, ne débat plus de la fiscalité mais uniquement des dégrèvements et exonérations qui lui sont applicables, à l'exception de la contribution sociale généralisée (CSG). La complexité est que telle que nous ne nous y retrouvons plus, et les contribuables non plus.
Je n'évoquerai pas le coût. Pour ne pas la citer, l'écotaxe a un coût de recouvrement qui représente un quart de son produit. A ce stade, on peut parler de dépossession ! La semaine dernière, lors d'une réunion à la préfecture de Bretagne à laquelle assistaient également François Marc et Yannick Botrel, un haut fonctionnaire a détaillé, avec beaucoup de conscience, le fonctionnement de l'écotaxe. Je vous le garantis : rares sont les parlementaires et les ministres capables de faire de même ! Fermons cette parenthèse d'actualité pour revenir à la complexité de notre système fiscal. Gardons-nous d'en faire une critique trop systématique car nous en sommes les co-auteurs. Madame la rapporteure spéciale, si vous le voulez bien, dites au Gouvernement que la réforme des valeurs locatives n'est pas de complaisance ! Notre demande insistante doit déboucher. Il faudra cependant nous attendre aux réactions d'administrés qui verront leur facture s'alourdir d'un coup, à cause d'aménagements ou d'extensions passés qui n'ont jamais été déclarés. Nous serons une fois encore en première ligne...
Avec tout le respect que je vous dois, Madame Beaufils, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en vous entendant parler de la progressivité de la taxe d'habitation. Pour ma part, je soutiens que la taxe d'habitation doit être un impôt additionnel à l'impôt sur le revenu, fusionné avec la CSG. La progressivité de la taxe d'habitation n'existe pas ! Cela apparaîtra clairement dans nos villes le jour où une association établira une comparaison entre les différents quartiers.
Le temps est révolu où il était possible de distinguer entre la fiscalité de l'Etat, celle des collectivités territoriales et les contributions sociales. Dès lors, le moment est venu de mettre en oeuvre des bases communes. Pardonnez-moi, mon devoir était de le dire...
Je m'étonne que le CICE soit exclu du champ du contrôle fiscal. La confiance n'exclut pas le contrôle. A-t-on une idée des premiers résultats ?
Nous sommes bien en peine d'expliquer pourquoi deux maisons identiques et voisines sont taxées différemment. La révision des valeurs locatives est un chantier gigantesque. Qu'envisage le Gouvernement pour rétablir l'équité ? La fiscalité locale est un pan essentiel de la grande réforme fiscale que nous appelons de nos voeux.
Je salue le travail de la rapporteure, sur ce sujet très ardu. Pour être très au contact des habitants, j'ai été saisie de cas d'augmentation brutale de la taxe d'habitation, parfois passée de 500 à 850 euros, à cause d'effets de seuil sur l'exonération, eux-mêmes liés à l'absence de revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu. Cela se cumule parfois avec les effets du recouvrement des franchises de la sécurité sociale, de l'ordre de 300 à 400 euros. Sait-on combien de personnes sont concernées et quels sont leurs profils ?
Merci à Marie-France Beaufils des éclairages qu'elle apporte. François Trucy trouve 35 % de recettes fiscales reversées par l'État. Pourtant, avec une recette fiscale brute de 386 milliards et des remboursements et dégrèvement s'élevant à 90,6 milliards pour les impôts d'État, le pourcentage est plus proche de 23 %. Cela n'enlève rien à l'importance de ces montants. Le législateur, co-producteur de cette complexité comme l'a dit Edmond Hervé, a voulu faire de la dentelle, pour tenir compte de situations très diverses. Ne jugeons pas a priori ce système comme négatif, cherchons plutôt à le corriger. Hier, lorsque nous avons examiné le rapport sur la mission « Economie », nous avons constaté que 40 de ses 81 niches fiscales présentent un coût nul. Opérons rapidement un nettoyage, pour la transparence des finances publiques.
La réforme fiscale est nécessaire, celle des valeurs locatives est engagée. Le Président Marini et moi-même vous proposerons bientôt de saisir le Conseil des prélèvements obligatoires, afin qu'il approfondisse pour nous l'étude de la progressivité de l'impôt, voire de la fusion entre la CSG et l'impôt sur le revenu. A la lumière de ces travaux, nous pourrons proposer des évolutions. N'en doutez pas, nous avons un désir commun de toiletter notre système fiscal, de l'améliorer, de le rendre plus transparent.
Monsieur Trucy, soyons clairs, les dégrèvements et remboursements sont des politiques publiques. Ils sont d'ailleurs décidés en débat budgétaire, Edmond Hervé l'a rappelé et François Marc l'a confirmé. À nous de veiller à financer une politique sur le budget de l'État plutôt que par des avantages fiscaux. J'ai souvenir d'un amendement autorisant les collectivités à accorder un allègement de taxe foncière aux habitants proches d'un site Seveso. Personne ne s'est alors interrogé sur la manière dont la collectivité financerait ce manque à gagner.
J'ai mis l'accent sur le CICE plutôt que sur le CIR, parce qu'il est nouveau. Tous deux ressortent du même mécanisme : un financement par la politique fiscale au lieu d'une aide budgétaire directe. Les dégrèvements et remboursements sont fonction des choix nationaux guidant la politique fiscale.
Monsieur Dallier, je partage votre interrogation sur les trois dernières tranches de la taxe d'habitation : pour l'heure, les services fiscaux ne m'ont pas apporté de réponse.
Je ne désespère pas, il faut savoir être tenace.
Concernant la réforme de la taxe professionnelle, mon rapport retrace l'évolution des dégrèvements et compensations d'exonération par niveau de collectivité territoriale, ainsi que l'historique de la part prise en charge par l'Etat. En 2009, les remboursements et dégrèvements représentaient 44,5 % du produit de la taxe professionnelle ; en 2012, cette proportion est tombée à 30 % pour la CET.
Les crédits dévolus à l'action « taxe professionnelle » atteignaient quelque 11,6 milliards d'euros en exécution en 2010, 6,7 environ en 2011.
À Edmond Hervé, je dirai que la révision des valeurs locatives est indispensable mais ne règlera pas le problème du poids de la taxe d'habitation en fonction du revenu. Ce sont bien les remboursements et dégrèvements qui donnent à cette imposition une certaine progressivité. Prenons-y garde, sans quoi les ménages aux faibles revenus ne pourront plus payer. Je parle bien ici de la taxe d'habitation, et non de la taxe sur le foncier bâti.
Quant à l'idée de faire de la taxe d'habitation un impôt additionnel à l'impôt sur le revenu ? Je ne suis pas certaine que cette réforme aboutisse sous cette législature, menons déjà au bout celle des bases locatives.
Monsieur Bocquet, nous ne disposons pas encore d'informations sur l'impact du CICE. Le ministère a exclu, non pas les contrôles, mais la possibilité de les déclencher sur la seule base du CICE.
Insistez plutôt sur le fait que le CICE bénéficie rarement à l'industrie et aux petites et moyennes entreprises (PME). Il va à La Poste, EDF ou Foncia. Faut-il donner des millions à ce genre d'entreprises alors que le problème de notre compétitivité est d'abord industriel ?
L'industrie manufacturière reçoit 18 % du CICE. Quant à La Poste, elle y gagne exactement les 50 millions d'euros qu'elle a perdus du fait de la suppression de l'aide à la distribution de la presse. C'est une opération blanche.
Nous reviendrons sur le CICE lorsque nous recevrons le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, la semaine prochaine.
Je complète les chiffres du CICE : 10 % pour les services administratifs, 9 % pour la construction et 8 % pour les transports.
L'expérimentation sur la révision des valeurs locatives va être lancée.
Tout à fait. Un amendement sera déposé lors de l'examen du projet de loi de finances.
Madame Keller, 400 000 à 800 000 foyers supplémentaires - la fourchette est large - sont imposés cette année, notamment du fait de la non-revalorisation du barème. Les seuils ont conduit des contribuables à passer de l'exonération au plafonnement. Je ne peux guère vous en dire plus, il nous faudra attendre les résultats de la campagne de taxe d'habitation en cours pour mesurer toutes les incidences précises.
S'agissant des crédits de la mission, à titre personnel, je m'abstiendrai : j'attends plus de rigueur et de transparence, pour des politiques telles que le CICE ou le crédit d'impôt recherche, qui devraient être financées sur le budget de l'État. Mais je propose qu'ils soient votés par la commission.
Ce rapport alimente notre débat sur la fiscalité de notre pays. On y trouve notamment des éléments de réponse sur la fiscalité locale. Voyez la taxe d'habitation ! Sa progressivité provient, non de la taxe elle-même, mais des interventions de l'État. Peut-être pourrions-nous tenir compte du revenu plus objectivement. Comme cela n'existe pas aujourd'hui, l'État apporte des correctifs à un système qui est par endroit inopérant, injuste, insuffisant, pour ne pas dire approximatif.
Faire l'éloge de la simplicité est très tentant. Lundi soir, lors d'un débat sur Public Sénat, un interlocuteur issu d'un groupe représenté au sein de notre commission me traitait presque de ringard, affirmant qu'il fallait supprimer l'impôt sur le revenu et créer un seul impôt proportionnel. Je ne défends pas par principe la complexité, mais je suis très attaché à la progressivité. Le système est insatisfaisant, je ne le nie pas ; pour ne pas avoir eu le courage de le corriger, nous avons dû lui apporter des ajustements successifs.
Je souhaite que notre commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission parce qu'ils traduisent notre effort de solidarité envers ceux qui en ont le plus besoin.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat le rejet des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
Elle donne acte à Mme Beaufils de sa communication sur les bénéficiaires d'exonérations et de dégrèvements sur la taxe d'habitation et en autorise la publication.
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration » et entend une communication sur son contrôle budgétaire relatif à l'allocation temporaire d'attente.
Pour faire suite à notre débat précédent, je tiens d'abord à dire au rapporteur général que mon parti n'a en rien renoncé à défendre la progressivité de l'impôt sur le revenu.
Erreur de jeunesse, manque d'expérience ! Ce sont des cas isolés.
Le budget 2014 proposé pour la mission « Immigration, asile et intégration » poursuit les orientations de 2013. Avec 653,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 664,9 millions d'euros en crédits de paiement, il est en légère baisse. Il s'agit en fait d'un rééquilibrage après une forte augmentation des crédits en 2013. De plus, la diminution des crédits est insuffisante pour respecter le plafond triennal, déjà dépassé de 6 millions d'euros - dépassement qui n'est toutefois pas considérable. Enfin, la diminution de certaines dotations en loi de finances initiale devra être confirmée en exécution, car l'État, régulièrement, abonde certains programmes sous-dotés.
Les dépenses liées à l'asile, qui recouvrent pour l'essentiel le financement des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), l'hébergement d'urgence et l'allocation temporaire d'attente (ATA), représenteront 77 % des dépenses de la mission. Elles progressent fortement et de manière désordonnée. C'est que l'augmentation du nombre de demandes s'accélère : sur les sept premiers mois de l'année, 13 % de plus par rapport à la même période de 2012. En 2013, nous aurons environ 70 000 demandes d'asile. Il en résulte une explosion des frais d'hébergement et d'allocation.
L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) traitait les dossiers dans un délai jugé trop long. On a accru son budget de 25 % depuis 2009 et dix postes d'officiers de protection seront créés en 2014 pour accélérer l'étude des dossiers. Mais l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile annihile cet effort et le délai d'examen a encore augmenté au premier semestre 2013, pour s'établir à 204 jours actuellement.
En 2012, l'État a lancé un programme de 4 000 places supplémentaire en CADA, sur deux ans. Celles-ci commencent à être livrées. En 2015, 25 000 places seront disponibles, pour 70 000 personnes à loger. Le ministère de l'intérieur convient du problème mais n'obtient pas de rallonge de Bercy. Au contraire, les crédits de l'hébergement d'urgence et ceux de l'ATA ont diminué respectivement de 10 et 5 millions d'euros. La loi de finances pour 2014 ne sera manifestement pas respectée. Cette année, un décret d'avance a été pris dès le mois de septembre pour abonder une des lignes de l'hébergement d'urgence, celle qui figure au sein de la mission « Égalité des territoires, logement et ville ». Pour ce qui concerne le programme 303, la situation est de même nature et les crédits pour 2014 sont inférieurs à ceux de 2013 !
Je suis inquiet pour le devenir du programme 303 et les crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière. Est-ce vraiment sur les centres de rétention administrative qu'il faut faire des économies ? Cela pèsera sur les reconduites à la frontière, au nombre de 21 000 en 2012.
De façon générale, sur l'asile, il est irréaliste de vouloir faire des économies, sauf à assumer un changement de politique. On ne peut laisser entrer les gens et refuser ensuite de payer leur hébergement. Cela ne tient pas.
Surtout, j'exprime mon profond désaccord au sujet du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française ». En effet, les crédits correspondants baissent de 4 millions d'euros, soit 6 % sur un an et 20 % en quatre ans. La première victime en est l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), placé dans une situation intenable, à moins d'une redéfinition de ses missions.
À la baisse des dotations s'ajoute celle, de 10 millions d'euros, du plafond de taxes affectées et la suppression de 15 à 20 ETPT en deux ans. L'OFII gère l'intégration des étrangers dans la société française, comme les cours de français et de formation civique. Ceux-ci sont remis en cause : une journée de formation est réduite à une session de deux heures, il n'y a plus qu'un niveau unique d'enseignement du français. Il est insensé de ne pas vouloir favoriser l'intégration. Je suis très hostile à la baisse de ces crédits. Le ministre, soumis au rabot, n'en peut mais. Les actions d'intégration hors OFII, subventions aux associations, aides aux foyers de travailleurs migrants, enregistrent une baisse de 4 millions d'euros.
Nous ne pouvons simultanément affirmer que les demandeurs d'asile seront accueillis et ne pas nous donner les moyens de leur intégration. A titre personnel je voterai contre ce budget, qui ne me semble pas convenable ; et comme rapporteur spécial je m'en remets à la sagesse de la commission.
J'en viens aux conclusions de mon contrôle budgétaire sur l'ATA, versée aux demandeurs d'asile majeurs lorsqu'aucune solution d'hébergement en CADA n'a pu leur être proposée. La dépense suit une courbe exponentielle et elle est régulièrement sous-budgétée. L'ATA a coûté près de 150 millions d'euros en 2012, plus de 20 % du total des dépenses de la mission. Le montant prévu pour 2014, 135 millions d'euros, est très sous-estimé. Il faudra l'abonder en cours d'année.
L'ATA et l'hébergement d'urgence ont été conçus comme des solutions subsidiaires, l'accueil en CADA étant la norme. En théorie, du moins, car l'ATA concerne aujourd'hui la majorité des cas. Cet état de fait révèle un système à bout de souffle. Ni les entrées sur le territoire, ni les sorties - en raison des obstacles à la reconduite effective à la frontière - ne sont maîtrisées.
La gestion de l'ATA a été confiée à Pôle Emploi, qui ne connaît pas les procédures et ignore les décisions rendues par l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Un rapport d'inspection de 2013 évalue à plus de 20 % le taux de versements indus, à des demandeurs déboutés ou logés en CADA, soit 30 millions pour 2012. Je propose deux solutions : la mise en place d'un système d'information partagé entre Pôle Emploi, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA, et le transfert de la gestion de l'ATA à l'OFII. Les gouvernements, il faut le dire, ne se sont guère donné la peine de former ni d'informer les agents de Pôle Emploi ; aucune circulaire n'a été adaptée au fil du temps, pas même lorsque des dispositions étaient invalidées par la justice...
L'ATA, d'un montant de 336 euros par mois et par bénéficiaire, est en apparence plus élevée que les aides existant dans les autres pays européens. Cependant nous n'avons pas d'ATA familiale, le montant de l'allocation ne tient pas compte du nombre d'enfants à charge. C'est une aberration. Je propose de réduire le montant pour les demandeurs isolés et de l'augmenter pour les familles.
Il y a aujourd'hui des abus. L'aide continue parfois à être versée après rejet de la demande par la CNDA et tant qu'il n'a pas d'obligation de quitter le territoire. Le demandeur présente une demande de réexamen, grâce à quoi il obtient à nouveau l'ATA, et ainsi de suite. Cela peut durer longtemps ! Nous avons visité une plateforme d'accueil des familles de demandeurs d'asile à Paris. La situation y est très difficile, bien que le personnel des associations qui gèrent ces centres soit parfaitement digne et compétent. En pratique, il m'a été dit que les passeurs déposent directement devant la porte du foyer plusieurs familles, qui sont ensuite enregistrées, obtiennent un rendez-vous trois mois plus tard, puis reçoivent l'ATA parfois pendant deux ans, voire deux ans et demi. Or, certains demandeurs ne sont manifestement pas éligibles. L'ATA ne suffit pas pour vivre, mais tout est organisé par les réseaux pour adjoindre à cette part fixe un revenu variable : prostitution, racket, mendicité.
Il faut changer le système d'accueil, le ministère de l'intérieur en convient. Par rapport aux 61 000 demandes d'asile de 2012, 10 000 ont été acceptées par l'OFPRA, 30 000 ont fait l'objet d'un recours à la CNDA, qui en a validé 5 000. Finalement, un quart des demandes reçoit une suite positive. Sur les 45 000 demandeurs d'asile déboutés, 5 000 sont partis d'eux-mêmes, 10 000 ont été reconduits à la frontière et 30 000 sont mécaniquement devenus des sans-papiers. Nous proposons que le premier accueil soit confié à un organisme régalien, en l'occurrence l'OFII, le mieux placé. Il serait habilité à transmettre à l'OFPRA pour traitement immédiat d'une part les demandes à l'évidence légitimes, d'autre part celles manifestement infondées.
Le droit d'asile est un droit ancien de la République, il doit être préservé. S'il devient une voie d'immigration économique, il ne remplit plus son rôle.
Ces crédits sont insincères. Que proposez-vous ? Y a-t-il des solutions, reposant sur la fongibilité des crédits ? Mais faut-il déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
Y a-t-il une coordination à l'échelle européenne pour définir les critères du droit d'asile ? Existe-t-il une liste, comme pour les paradis fiscaux, de pays qui font l'objet d'une attention particulière ?
Ces chiffres montrent que la France est plébiscitée, je m'en réjouis. Je veux faire une observation sur la fonction régalienne de l'État et le transfert de ses compétences à des agents extérieurs. Nous sommes en pleine hypocrisie comptable. De 2006 à 2012 les ministères ont perdu 103 100 agents, mais les établissements à caractère administratif en ont gagné 79 000, tout ceci cautionné par la Cour des comptes.
Il est utile que le premier accueil du demandeur soit pris en charge par des services publics, c'est un des points-clés. Confier cette charge à des associations, aussi sérieuses soient-elles, peut avoir un effet pervers. En toute bonne foi, elles ne peuvent pas faire la différence entre une première demande légitime et des demandeurs déjà déboutés après un refus de la CNDA. Quant aux réseaux de passeurs, il y a évidemment une lutte à mener, car ils vivent d'un commerce de violence et de mort, le drame de Lampedusa l'a rappelé récemment.
Nous voterons ces crédits, mais il faut en effet être attentif. Monsieur le rapporteur, peut-être auriez-vous pu proposer un amendement sur l'OFII ? Il serait logique d'offrir l'asile aux Syriens, comme le fait, je crois, beaucoup plus facilement l'Allemagne. C'est une erreur de confondre l'asile, l'immigration et la délinquance. Nous avions souligné ce problème lors de la discussion sur la loi relative à l'immigration en 2007. Le droit d'asile repose sur la convention de Genève et n'a rien à voir avec l'immigration économique ou climatique.
Ce rapport très riche nous renseigne très précisément sur la situation. Il est essentiel, pour préparer l'avenir, de reconnaître et d'intégrer ceux qui ont un droit à obtenir l'asile chez nous.
Le premier accueil par un service public est essentiel si l'on veut être efficace. J'ai été souvent saisie, comme chacun de vous, du cas de personnes qui ont été mal orientées dès l'origine - j'ose espérer que c'est involontaire - avec pour conséquence un allongement des procédures et bien des difficultés.
Nous nous abstiendrons sur le vote des crédits, car nous apprécions positivement l'augmentation des places en CADA et d'autres points positifs. Quant aux événements de Lampedusa, ils montrent la nécessité de traiter ces problématiques à l'échelle européenne.
Renforcer les moyens humains pour traiter plus rapidement les dossiers aurait aussi pour effet de raccourcir la durée de versement de l'allocation. De quel montant serait l'économie ? Est-il possible de l'estimer ?
Dans l'accueil des demandeurs, les problèmes de traduction sont un obstacle considérable à l'efficacité des procédures.
Je signale les travaux du Conseil de l'Europe et en particulier de son commissaire aux droits de l'homme, Nils Muiúniesk, qui travaille sur les conventions internationales et leur application. La bonne échelle sur ces questions est non pas l'Union européenne mais l'Europe. Je cède la parole au rapporteur général.
J'espérais pourtant que vous m'aideriez à convaincre Bercy. C'est un regret, car je me considère dans une certaine mesure comme l'émissaire de Manuel Valls...
Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'on laisse rentrer les gens et qu'on ne paye pas. Des gens entrent sur le territoire : c'est une donnée sur laquelle nous avons peu de prise. Par ailleurs, la conjoncture budgétaire nous oblige à être pointilleux sur tous les sujets.
Je dis seulement que nous autorisons ces personnes à rester longtemps sur le territoire, sans avoir les moyens de les accueillir correctement. Pour répondre à Philippe Dallier, étant opposé à la baisse globale des crédits du programme 104, il me serait difficile d'opérer un transfert vers le programme 303.
L'hypocrisie fait qu'il n'y a pas de liste de pays non sûrs, mais une liste, nationale et non européenne, de pays dits « sûrs ». Cependant certains pays, passés depuis longtemps à la démocratie, n'ont pas été inclus dans la liste, ce qui ouvre des opportunités pour une immigration qui est en fait de nature économique.
On ne peut se dire pays d'accueil sans prévoir de crédits d'intégration. Si les moyens sont insuffisants, il n'est pas étonnant que cette intégration soit médiocre. Quant à l'orientation des demandeurs, il faut effectivement un service public efficace au départ. Le seul dépôt d'un dossier de demande peut prendre jusqu'à cinq mois. Les demandeurs sont ballottés entre cinq ou six lieux différents, entre les services de premier accueil, d'hébergement, de contrôle d'identité, de dépôt de la demande, etc. Nous devons donner plus de moyens à l'OFII et redéfinir ses missions, en lui confiant l'accueil. Michèle André a évoqué la convention de Genève : celle-ci est dépassée par la réalité des flux...
Certes, mais le droit d'asile ne conserve un sens que s'il est concrètement mis en oeuvre au service des personnes réellement persécutées. S'agissant des réfugiés syriens que vous avez mentionnés, la France s'est engagée à en accueillir cinq cents. Dans les trois derniers mois, l'Allemagne en a accueilli dix fois plus.
Pour répondre à Fabienne Keller, les coûts d'interprétariat sont d'autant plus importants que les demandes d'asile doivent être remplies en français.
Le ministère a lancé une mission de récupération des indus versés par Pôle Emploi : entre 9 et 10 millions d'euros ont été récupérés en 2012.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Elle donne acte de sa communication à M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La commission procède enfin à l'examen du rapport de MM. Thierry Foucaud et Claude Haut, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Enseignement scolaire ».
Dotée de 46,27 milliards d'euros en crédits de paiement, la mission « Enseignement scolaire » fait partie des missions prioritaires du budget de l'État. Ses crédits sont en augmentation de 1,3 %. Entre 2008 et 2012, l'ancienne majorité a supprimé 65 600 équivalents temps plein (ETP) dans l'éducation nationale. Le Gouvernement a décidé de créer 55 000 postes sur cinq ans - dont 1 000 dans l'enseignement technique agricole - notamment dans les zones difficiles, pour lutter contre le décrochage scolaire et favoriser la scolarisation des enfants avant trois ans.
Pour 2014, la mission comporte 8 984 postes supplémentaires - je signale que les créations intervenant à la rentrée scolaire, la variation du plafond d'emplois annuel intègre l'extension en année pleine des créations d'emplois de l'année précédente et, à hauteur d'un tiers, les créations d'emplois qui interviendront à la rentrée scolaire suivante.
Le Gouvernement a rétabli une formation initiale supprimée par l'ancienne majorité et dispensée avant l'immersion totale en classe. Elle est d'autant plus nécessaire que les nouveaux enseignants peuvent se retrouver d'emblée devant des classes difficiles. Le concours organisé pour les postes à pourvoir à la rentrée 2014 a comporté des épreuves d'admissibilité en juin 2013 et les épreuves d'admission se dérouleront en juin 2014. Dans l'intervalle, ces étudiants sont formés au sein des nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Une des conséquences du recrutement de nouveaux enseignants a été la diminution du volume et du coût des heures supplémentaires. Dès l'année scolaire 2012-2013, la baisse enregistrée a été de 27,5 millions d'euros. Il en résulte que 10 % des créations de postes sont en quelque sorte autofinancées.
La mission présente une caractéristique : certaines dépenses de personnel sont financées sur des crédits d'intervention et non des dépenses de titre 2. Le nombre des assistants d'éducation a progressé de 8 300, pour atteindre 92 600 cette année. Il serait souhaitable que cette catégorie de personnel relève d'un plafond d'emplois soumis à l'autorisation du Parlement. À la rentrée 2013, il a été procédé au recrutement de 30 000 auxiliaires de vie scolaire individuels, notamment pour l'accompagnement des élèves handicapés. Le statut et l'avenir des assistants d'éducation posent question. Le groupe de travail interministériel animé par Pénélope Komitès envisageait il y a quelques mois leur pérennisation au-delà des six ans aujourd'hui fixés par le code de l'éducation. Cela est effectivement souhaitable. D'ores et déjà, un CDD peut être signé.
Enfin, le budget 2014 marque la montée en puissance des emplois d'avenir professeurs, créés en octobre 2012. Le système consiste en une sorte de pré-recrutement d'étudiants boursiers, en deuxième année de licence, âgés de 25 ans au plus, qui s'engagent à présenter les concours de l'enseignement et qui bénéficient d'une rémunération de 900 euros par mois pendant trois ans et d'une immersion progressive sur le terrain. C'est une solution pour remplacer les professeurs partant en retraite et pourvoir les nouveaux postes. Déjà 10 000 étudiants ont été recrutés ainsi en 2013 : un succès ! On en prévoit 6 000 de plus en 2014. L'objectif de 18 000 contrats sur trois ans est en passe d'être dépassé.
Un nouveau programme « Internats de la réussite » retrace les dépenses exceptionnelles intervenant dans le cadre du nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA) : 150 millions d'euros en 2014, pour 6 000 nouvelles places. Je m'en félicite car ce mode de scolarisation a des effets très positifs, notamment pour les élèves qui ne bénéficient pas d'un environnement favorable à la réussite scolaire. Certaines interrogations demeurent ; la notion d'internat d'excellence méritera d'être approfondie sur la base d'objectifs clairs. La charte de l'internat devra être précisée.
Les crédits s'inscrivent dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, dont j'ai été le rapporteur au nom de votre commission des finances.
Je salue la présence de Françoise Cartron, rapporteure pour avis au nom de la commission de la culture.
La masse salariale, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », s'élève à 0,39 milliard d'euros, soit 67 % de l'augmentation totale des crédits : le schéma d'emplois entraîne une progression des crédits de 263 millions d'euros, les mesures catégorielles de 94 millions d'euros, la garantie individuelle du pouvoir d'achat de 84 millions d'euros, les mesures en faveur des bas salaires de 17 millions d'euros, le glissement vieillesse technicité de 52 millions d'euros. Les mesures de débasage et de rebasage - retenues pour faits de grève, suppression du jour de carence, etc. - diminuent de 100 millions d'euros et les mesures diverses, résultant notamment d'un moindre recours aux heures supplémentaires, reculent de 11 millions d'euros. Au total, les deux tiers des augmentations de la masse salariale proviennent des créations de postes effectuées à la rentrée 2013 et de celles prévues à la rentrée 2014.
Les mesures catégorielles, notamment en faveur de la catégorie C, concerneront l'ensemble de la fonction publique et seront mises en oeuvre par voie d'accord. Des dépenses sont toutefois provisionnées à ce titre, pour un montant identique à celui de 2013.
Claude Haut et moi-même avons conduit cette année un contrôle budgétaire sur les réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficultés (Rased). Entre 2008 et 2012, environ 5 000 postes de Rased ont disparu, au détriment de la qualité de l'enseignement pour les enfants qui en avaient le plus besoin. Parmi les 54 000 postes devant être créés dans l'éducation nationale au cours du quinquennat, 7 000 seront consacrés au renforcement de l'encadrement pédagogique dans les zones difficiles, ce qui inclut les Rased mais aussi le nouveau dispositif « plus de maîtres que de classes ». Nous avons préconisé de rétablir, sur la durée de la législature, les postes de Rased supprimés. À ce jour, le ministère n'a pas apporté de réponse à nos recommandations. Certes, toutes les données de la rentrée scolaire 2013 ne sont pas encore disponibles, mais en l'absence de réponse, nous serions amenés à évoquer à nouveau ce sujet et à poursuivre nos travaux sur cette question.
La rentrée 2013 a été marquée par la réforme des rythmes scolaires. Depuis la mise en place de la semaine de quatre jours, la France avait le volume annuel d'enseignement le plus élevé des pays occidentaux et le plus faible nombre de jours de cours. Cela était préjudiciable aux apprentissages et engendrait une fatigue accrue. La réforme de 2013 a prévu le passage à neuf demi-journées et l'instauration d'activités pédagogiques complémentaires. Sur les 22 000 communes qui comptent au moins une école, 2 953 ont appliqué le nouveau régime dès la rentrée 2013. Elles accueillent 1,35 million d'élèves, soit 22,2 % de l'effectif total du secteur public. Un fonds d'amorçage a été mis en place, comportant une part forfaitaire à 50 euros par élève initialement, limitée à l'année 2013-2014, et une part majorée à 40 euros par élève, portée à 45 euros pour l'année 2014-2015. Sur le plan financier, nos observations sur le projet de loi d'orientation pour l'école restent d'actualité : toutes les dépenses engagées par les collectivités territoriales ne seront pas couvertes, d'autant que le fonds d'amorçage, comme son nom l'indique, a un caractère temporaire. Des dépenses indirectes, transport, cantine, nettoyage des locaux, ne sont pas prises en compte. Il conviendra d'être extrêmement vigilant sur les aspects financiers de la réforme, dont la généralisation est envisagée à la rentrée 2014. C'est pourquoi nous nous félicitons de l'engagement du Gouvernement à pérenniser la part forfaitaire à la rentrée prochaine, tout en observant que la question de la pérennisation du fonds mérite d'être posée.
En ce qui concerne le décrochage scolaire, les « micro-lycées » qui accueillent entre 80 et 100 élèves volontaires en rupture de scolarité, et qui appliquent une pédagogie innovante, méritent d'être généralisés, car les premiers résultats apparaissent très positifs. Le ministère s'est fixé pour objectif de créer au moins un micro-lycée par académie. Il faut faire davantage pour réduire de moitié, comme le Gouvernement s'y est engagé, le nombre de jeunes sortant sans diplôme du système scolaire.
Le nombre d'élèves dans l'enseignement technique agricole est stable, autour de 170 000, témoignant de l'attractivité de ces carrières. En 2014, 150 postes sont créés - avec un objectif de 1 000 créations sur cinq ans. Le nombre d'assistants d'éducation de l'enseignement technique agricole augmente de manière moins dynamique, ce qui peut conduire les établissements à utiliser une partie de leurs crédits de fonctionnement pour pourvoir l'ensemble des postes inscrits en loi de finances. Il conviendra d'éviter que ne s'installent des différences de traitement au détriment de l'enseignement technique agricole.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
Ce budget est en augmentation malgré les difficultés financières et la mission est confirmée comme priorité du Gouvernement. Que tous les enfants puissent se construire à l'école et que les inégalités scolaires soient réduites sont des exigences pour notre société. Trop d'élèves sortent sans qualification du système scolaire. Les créations de postes sont essentielles pour compenser les suppressions durant le quinquennat précédent et faire face à la croissance du nombre des élèves dans certains départements.
Vos rapporteurs spéciaux souhaitent approfondir les investigations sur les rythmes scolaires. Précisément, une mission commune d'information vient d'être décidée, qui établira un état des lieux et étudiera les difficultés, les réussites, les blocages à la mise en place des nouveaux rythmes. Il faudra entendre les enfants, car la réforme vise à servir leurs intérêts, non à plaire aux parents, aux enseignants ou aux élus.
Cela pourrait venir dans une deuxième étape. Je signale qu'à l'aide forfaitaire de 50 euros par enfant - et 40 euros de plus en zones sensibles, urbaines ou rurales - s'ajoute un versement de la caisse d'allocations familiales (CAF) de 53 euros, dès lors qu'est mis en place un projet éducatif territorial. Bien sûr, ce ne sera pas une réforme à somme nulle : mais pour l'avenir de notre pays, il est normal que chacun se mobilise.
Les emplois d'avenir professeurs ont également pour but de compenser un recul de la mixité sociale parmi les enseignants, depuis que le niveau de recrutement a été élevé au master. En effet les enfants de familles défavorisées poursuivent plus rarement que les autres leurs études jusqu'à ce seuil.
Les internats de la réussite sont à distinguer des internats d'excellence ; ils doivent être ouverts à tous les jeunes qui souhaitent y étudier, sans sélection. Je remarque que l'internat, objet de désaffection il y a une quinzaine d'années, opère un grand retour. Les conseils régionaux financent nombre d'implantations proches de lycées.
Je m'associe aux préconisations de nos rapporteurs. Quand les temps sont difficiles, la tentation du rabot grandit. Je rends hommage à ce Gouvernement qui n'a pas transigé sur ses priorités et a su mobiliser les moyens correspondants. La mise en place des nouveaux rythmes scolaires est un objectif noble. Il était indispensable de restaurer, pour les enfants, l'environnement favorable qui a été déconstruit dans la dernière période. Françoise Cartron a évoqué les réussites : oui, presque partout où la réforme est déjà appliquée, elle marche ! Chacun y trouve son compte. Le personnel communal mis à contribution est ravi de cet enrichissement des tâches. La réforme doit à présent être généralisée : nous avons en France la capacité d'accueillir les enfants dans de bonnes conditions, n'hésitons pas !
Nos rapporteurs spéciaux ont été plus prudents que le rapporteur général... Je ne souhaite pas quant à moi critiquer ou approuver la réforme : je m'en tiens à la compétence financière de notre commission. Et je ne peux que protester contre les transferts de charges aux collectivités locales. Quant aux compléments par la CAF, je ne les ai pas vus pour l'instant !
La réforme coûte 150 euros par élève, au minimum - et dans ma ville, j'ai fait un chiffrage : j'arrive au-delà de ce seuil, en ayant repris des activités que je menais déjà avant qu'on ne nous impose la réforme des rythmes scolaires. Les collectivités sont exsangues. Elles perdent 2,5 milliards d'euros de dotations par an. Toutes ne pourront pas dégager un niveau égal de financements. Cela crée une injustice. Comment s'enorgueillir de cette situation ?
Nous ne disposons toujours pas d'une vision claire des effectifs du ministère de l'éducation nationale ni de leur emploi. Je déplore ce manque de transparence. Nous savons qu'il y avait, entre 2008 et 2012, un professeur pour 18 élèves dans le primaire : qu'en est-il dans le secondaire ? Je voudrais aussi connaître les affectations du personnel, combien d'enseignants en poste, combien de personnes affectées aux programmes, etc.
Il n'y a pas eu de concertation sur les rythmes scolaires. Un décret nous a mis devant le fait accompli. Les collectivités ont dû financer et organiser l'application de la réforme, dans une conjoncture difficile et sans assurance d'être aidées au-delà de la deuxième année. Comment, du reste, ces 62 millions d'euros pourraient-ils suffire en 2014 pour généraliser les nouveaux rythmes, alors que le coût en 2013 a été de 30 millions d'euros, pour 22 % des élèves français, et sur un seul trimestre ?
Contrairement à ce qu'affirme le rapporteur général, les effets de la réforme sont contrastés. Il est trop tôt pour un bilan. Quoi qu'il en soit, le problème de fond, c'est le nombre d'heures par semaine. Les enseignements devraient être mieux étalés : c'est pourquoi il faut réduire la durée des vacances.
J'y insiste, le compte, budgétairement, n'y est pas. On nous raconte des histoires, comme au sujet de l'enveloppe dite exceptionnelle de 50 millions d'euros concernant les emprunts structurés : elle a été présentée comme ponctuelle mais nous sommes à présent engagés pour quinze ans. Je ne vois pas comment l'État s'y prendra, avec 62 millions d'euros, pour verser 50 euros par enfant, quand 5,8 millions d'enfants seront concernés pour la première fois par la réforme l'an prochain.
Je me réjouis de l'évolution positive des crédits de la mission. Dans le Puy-de-Dôme, les nouveaux rythmes sont en application dans une majorité de communes, à commencer par Clermont-Ferrand. Dans les zones rurales, les enseignants renouent avec des activités périscolaires traditionnelles et ils y reprennent goût. La suppression massive de postes les années passées est tout de même une source de problèmes. Je rappelle aussi que lorsque les rythmes avaient été modifiés par Xavier Darcos, ils l'avaient été sans concertation. Un mot enfin des enfants handicapés : ils sont pris en charge par un personnel que j'espère stable, donc compétent : en ce domaine, la bonne volonté ne suffit pas.
Je voterai avec conviction ces crédits.
Nous les voterons aussi car la rupture est franche après dix années de souffrance, durant lesquelles les enseignants ont perdu confiance. Ce signal est bienvenu. Je me réjouis du renfort de 30 000 auxiliaires de vie pour faciliter l'intégration des élèves handicapés. Je ne partagerais pas l'enthousiasme du rapporteur général à propos des nouveaux rythmes scolaires. Dans les grandes villes, il y a déjà des activités qui permettent aux élèves de s'initier au chinois, à l'aïkido, à l'art brut. Ce ne sera pas le cas cependant dans les petites communes rurales, où l'on n'a rien à proposer dans les plages de temps libérées, y compris en lien avec le tissu associatif local. C'est l'aspect le plus difficile. Personne ne conteste le bien-fondé de la réforme, mais sa mise en oeuvre est plus compliquée. Quoi qu'il en soit, l'audition de Vincent Peillon devant notre groupe a été très appréciée : le ministre a une vraie vision et il connaît son sujet. Malgré les bémols que j'ai exprimés, nous voterons les crédits de cette mission.
Il est essentiel de respecter le rythme des enfants. Deux principes forts - un seul enseignant tout au long de la semaine, des horaires stables - sont remis en cause par la réforme. Méconnaître ces exigences a des conséquences considérables, notamment dans les quartiers fragiles. Je me souviens de l'aménagement des rythmes scolaires sous le gouvernement Jospin, qui nécessitaient une dépense de 500 euros par enfant. À Strasbourg, il avait donné lieu à des interventions de grande qualité, notamment d'artistes ; mais il avait aussi demandé un énorme travail de préparation et de concertation. Les beaux projets se méritent ! J'approuve les écoles de la deuxième chance. Mais les internats d'excellence sont utiles également. Vont-ils être supprimés ? Ou leurs financements sont-ils maintenus ?
Je me réjouis de la constitution d'une mission commune d'information. Oui, l'intérêt des enfants est notre principale préoccupation. À cet égard, l'absence de repos en milieu de semaine pose problème.
Pour mettre en oeuvre la réforme, il faut des moyens, et les associations d'élus ont eu raison de faire savoir qu'une contribution de 150 euros par enfant était imposée aux collectivités. Dans certaines petites communes, où l'école ne comporte même pas de préau, il est bien difficile de mettre en place un projet éducatif. Comment trouver des intervenants extérieurs, qui auront une heure de route à faire, et autant au retour, pour une heure d'activité sur place ? La question des ressources est cruciale, non seulement en 2014 mais aussi au-delà. C'est pourquoi nous demandons la pérennisation des crédits inscrits à l'action n° 6 du programme « Vie de l'élève », dotée pour 2014 de 74,5 millions d'euros en crédits de paiement et 141,5 en autorisations de programme.
Les effectifs suscitent des questions récurrentes. La situation est compliquée par la diversité des statuts. Le ministère de l'éducation nationale compte 979 192 ETP, mais en cours d'exercice, le nombre varie.
Les internats d'excellence changent de nom - ils sont à présent dits « de la réussite » - mais ils sont maintenus. La dotation est de 150 millions, 6 000 nouvelles places sont prévues.
À l'issue de ce débat la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».