Intervention de Victorin Lurel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 novembre 2013 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2014 — Audition de M. Victorin Lurel ministre des outre-mer mission « outre-mer

Victorin Lurel, ministre :

Une solution simple avait, en son temps, été annoncée avec fracas par le secrétaire d'État à l'immobilier de la justice, M. Pierre Bédier : la fermeture pure et simple de Basse-Terre et la reconstruction, dans la commune voisine de Gourbeyre, d'un nouvel établissement pénitentiaire. Ce projet a été abandonné et les prisonniers sont toujours accueillis dans cette prison-couvent qui date, rappelons-le, de 1672 ! Je pense qu'on commencera d'abord par Baie-Mahault.

S'agissant de la question sur les finances des collectivités territoriales de Mayotte, je tiens à rappeler que la situation financière du Département de Mayotte demeure fragile. Les communes de Mayotte connaissent, elles aussi, de réelles difficultés puisqu'elles ne bénéficient pas de l'autonomie fiscale et elles éprouvent à leur tour les retombées des difficultés de la collectivité départementale. A la demande des élus, le code général des impôts sera appliqué à Mayotte dès le 1er janvier 2014. L'ordonnance fiscale, prise le 20 septembre dernier, prend ainsi en compte les spécificités territoriales de Mayotte et lui applique le régime fiscal le plus favorable, à savoir le régime de la Guyane avec des abattements de taxe foncière, de taxe d'habitation, d'impôts sur le revenu de l'ordre de 40 % et une taxe sur les salaires de 2 %. Cette ordonnance prévoit également un régime transitoire pour la régularisation de la situation des occupants sans titre avec, à terme, je l'espère avant la fin de l'année, la création d'un établissement public foncier d'État. Mais cette ordonnance n'aborde pas les mesures de compensation de la départementalisation qui sont, quant à elles, présentées à l'article 29 du projet de loi de finances initial pour 2014. En revanche, elle garantit aux communes les mêmes ressources qu'en 2012 et permet de pallier aux incertitudes quant au rendement de la fiscalité locale.

Mais un tel dispositif n'est pas sans poser problème, du fait de la limitation des ressources de ces communes à laquelle il conduit. En effet, l'excédent des recettes des communes sera reversé au Département, ce qui lui confère une plus grande part de ressources fiscales dynamiques, à l'instar des nouvelles ressources perçues au titre de l'octroi de mer. En 2014, les taux votés par les communes seront encadrés et tiendront compte du potentiel propre à chacune d'elles, et la liberté de taux, ainsi que l'usage du levier fiscal, leur seront reconnus dès 2015. Il faut ouvrir des perspectives, et la question du retour à la normalité comptable, budgétaire et fiscale du fonctionnement de ces collectivités est posée. Nous sommes d'accord sur le principe ; reste à trouver le véhicule idoine pour y parvenir.

Certains pourront certes critiquer la rapidité avec laquelle toute cette démarche a été conduite, mais je pense que nous avons bien amorcé à Mayotte la convergence avec la métropole qu'il aura fallu attendre près de soixante-cinq ans dans mon propre département ! J'ai rappelé aux élus de Mayotte qu'il fallait se concerter sur un projet de société et éviter la précipitation, faute de quoi une surenchère à visée électoraliste, exigeant l'égalisation à marche forcée, risquait de se faire jour. Afin d'éviter une telle réduction du débat public, je ne peux qu'inciter les élus Mahorais à s'associer au Gouvernement pour résoudre les problèmes sociétaux auxquels la départementalisation risque de se heurter.

S'agissant de la question du développement économique et social de l'outre-mer, j'ai reçu une autre feuille de route sur les thématiques de la compétitivité et de l'emploi, afin de convertir en normes les différents rapports parlementaires et en particulier ceux relatifs à la politique économique européenne, l'application de la loi pour le développement économique des outre-mer et de l'échéance qui frappe les zones franches d'activité en 2017. Mais comment réformer sans dépenser, compte tenu de la situation économique de la France ? C'est possible, à la condition de remettre à plat l'ensemble des dispositifs, mais encore faut-il avoir le courage politique de le faire.

Certaines solutions ont été esquissées pour s'émanciper, fût-ce provisoirement, des contraintes générées par le statut de région ultra-périphérique tout en restant dans l'Europe ? Sur les carburants par exemple, dans un secteur monopolistique contrôlé par l'État, comment dégager des marges de 10 à 15 % ? Ce n'est pas tant la compétitivité que la faiblesse de la fiscalité des régions qui explique le niveau de prix analogues entre la métropole et l'outre-mer. Le manque d'insertion économique dans les zones de voisinage immédiat est une difficulté indéniable pour les collectivités ultramarines. Il faut sortir d'un tel isolement. En ce sens, dans ma feuille de route figure l'actualisation des lois organiques relatives aux trois territoires que sont Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Une mission est actuellement en cours pour redéfinir les dotations générales de décentralisation de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy qui est en contentieux avec l'État depuis 2008. Saint-Martin, quant à elle, pâtit de difficultés structurelles depuis l'obtention de son autonomie en 2007 et la passation de la convention avec l'État qui ne lui a pas octroyé les moyens techniques et humains d'assurer le recouvrement fiscal. Cette collectivité a d'ailleurs tout récemment voté une mesure fiscale dont la presse s'est faite l'écho, en imposant tous ses habitants à hauteur de cent euros, quelque soient leur situation ! Saint-Martin est donc loin d'être un paradis fiscal, avec une frontière fictive avec la partie hollandaise de l'île. Il faut réfléchir aux modalités de remise à parité de la partie française avec cette dernière qui est un pays et territoire d'outre-mer, au sens européen, à très large autonomie. Il faut trouver les dispositifs nécessaires pour assurer un juste équilibre entre les deux parties de l'île. En ce sens, l'approvisionnement en carburants peut constituer un début. Lorsque l'autonomie a été accordée en 2007 à Saint-Martin, j'étais alors président du conseil régional et siégeais en commission mixte paritaire au Parlement sur ce texte. Je me souviens de la dotation alors concédée à titre exceptionnel de dix-huit mois de recettes fiscales prélevées sur la région, octroi de mer compris, pour aider Saint-Martin. Au terme de ces dix-huit mois, le ministre d'alors, M. Yves Jégo a prorogé, de manière unilatérale, ce dispositif sur une même période, ce qui fut censuré, à la demande du groupe socialiste, par le Conseil constitutionnel. Depuis lors, il manque chaque année au budget de Saint-Martin quelque quatorze millions d'euros. L'absence de compensation, à laquelle s'ajoute le manque de recouvrement fiscal, alimente un déficit structurel.

Sur le crédit d'impôt, le dispositif demeure attractif et fera l'objet d'une évaluation courant 2016, lors de la préparation de la loi de finances initiale pour 2017. Si l'on peut toutefois éviter l'évaporation fiscale et la perte pour la collectivité de quelque trois cent millions d'euros, il faudra alors proposer d'autres solutions.

S'agissant de la Polynésie française, j'estime que la confiance est de retour, notamment parmi les investisseurs. Nous considérons que le plan de redressement proposé par le président Gaston Flosse va dans le bon sens à condition de s'assurer de sa bonne mise en oeuvre. Le Premier ministre vient d'ailleurs d'accorder le versement d'une avance de trésorerie de 41,9 millions d'euros à rembourser sur deux ans, dans le cadre d'une convention avec la Polynésie française, qui devrait figurer dans le prochain collectif budgétaire.

En Nouvelle-Calédonie, l'Accord de Nouméa, dont le contenu est constitutionnalisé, fournit la feuille de route suivie par l'État. Nous demeurons cependant ouverts à d'éventuelles concertations susceptibles d'être conduites à partir des élections de mai 2014.

Hors de l'espace Schengen, la libéralisation de la délivrance des visas a eu lieu dans la Caraïbe, dont se sont occupés, en leur temps, M. Novelli et Mme Penchard, à l'exception de trois pays qu'étaient Haïti, Saint-Domingue et la Jamaïque. Plus récemment, nous avons libéralisé la délivrance de visas touristiques pour l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud à destination des « Iles Vanilles » qui rassemblent notamment La Réunion, afin de capter les flux touristiques en provenance de ces importants pays.

Mesdames et messieurs les sénateurs, il est vrai que le budget, en termes relatifs, s'avère satisfaisant, mais nous savons qu'il reste un long chemin à parcourir. Je suis convaincu que la remise à plat, appelée de ses voeux par le sénateur Cointat, des dispositifs actuellement en vigueur nous permettrait de sortir des schémas pérennes qui n'ont pas jusqu'à présent permis de répondre durablement aux enjeux des outre-mer.

La dotation spéciale de construction et d'équipement des établissements scolaires à Mayotte devrait s'élever à 10 millions d'euros.

En ce qui concerne la grève dans les trois fonctions publiques au motif de la sur-rémunération des agents territoriaux, les syndicats se sont étonnés - et la presse s'est faite l'écho de cet étonnement - que le décret ne mentionnait pas la fonction publique territoriale parmi les bénéficiaires de ce dispositif. Il incombe aux collectivités elles-mêmes de prendre une délibération en ce sens, mais l'extension de la sur-rémunération aux agents de la fonction publique territoriale entraînerait pour Mayotte un coût de neuf à dix millions d'euros en fin d'année, si la décision est prise en prenant en compte la rétroactivité demandée. Dans les autres outre-mer, ce sont bien les collectivités qui payent cette sur-rémunération de l'ordre de 40 %, puisqu'elles assurent les recrutements.

Lorsque cette sur-rémunération a été instituée, un grand nombre de collectivités locales a refusé de la prendre en charge. Elle a ainsi été imposée, au-delà des textes réglementaires, par le Conseil d'État, pour l'ensemble des agents, y compris les contractuels de droit public. J'ai demandé aux services d'étudier la licéité d'un décret imposant une dépense supplémentaire aux collectivités territoriales ; cette démarche me paraissant, à première vue, constituer un sérieux accroc au principe de libre administration des collectivités territoriales.

La revendication de l'exemption fiscale de la prime d'éloignement, évoquée comme une sorte de contrat moral me paraît contestable, car cette prime est imposée dans l'ensemble des outre-mer. Et cette prime d'éloignement n'est pas le seul facteur de l'attractivité territoriale de Mayotte !

Si les dispositifs d'aide publique visés par le projet de loi actuellement défendu par M. Hamon seront applicables en outre-mer, la prochaine loi compétitivité que nous préparons devrait comporter un volet spécifiquement consacré à l'économie sociale et solidaire. En ce sens, dans le budget de la mission outre-mer, nous soutiendrons toutes les initiatives en faveur des centrales d'achat, les groupements d'achats de détaillants, les plateformes logistiques communes, la création de sociétés civiles d'intérêt collectif auxquelles les collectivités et les consommateurs peuvent être adhérents. Les actions de groupe en matière de santé ou d'environnement devraient également devenir applicables, comme l'a souhaité le président de la République qui a saisi Mme Marisol Touraine de cette question. Nous aurons l'occasion de vous revoir, à l'occasion de l'élaboration de ce projet de loi sur la compétitivité autour de problématiques précises comme l'aide à la personne, les filières d'approvisionnement ou encore la logistique.

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