Intervention de Alain Houpert

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 6 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Examen du rapport pour avis sur les crédits « recherche en matière de développement durable » de la mission « recherche et enseignement supérieur »

Photo de Alain HoupertAlain Houpert, rapporteur pour avis des crédits « Recherche en matière de développement durable » de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2014 :

Je vous présente pour la deuxième fois l'avis budgétaire portant sur la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables. Il s'agit des crédits de l'un des programmes de la vaste mission « Recherche et enseignement supérieur ». Son intitulé a été légèrement modifié par rapport à l'an dernier, où il faisait référence au développement et à l'aménagement, et non pas la mobilité, durables.

Les crédits de ce programme 190 correspondent majoritairement à des subventions pour charges de services publics versées aux huit établissements publics qui en sont les opérateurs. Cette année, je me suis intéressé plus particulièrement à quatre d'entre eux, dont nous pouvons être fiers : ils font référence dans le monde entier. J'en ai auditionné les responsables dirigeants : il s'agit du Commissariat à l'énergie nucléaire et aux énergies alternatives (CEA), de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaires (IRSN), de l'IFP - Energies nouvelles (IFPEN) et de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS).

Je commencerai tout d'abord par le CEA, qui est un opérateur majeur du programme 190. Ses actions de recherche interviennent dans le secteur du nucléaire, mais également dans les domaines des énergies décarbonées, des technologies de l'information et des technologies de la santé. Je rappelle que l'énergie nucléaire du futur fait partie des scénarios de la transition énergétique, même si l'on vise désormais une réduction de sa part dans le bilan énergétique de notre pays.

La dotation budgétaire allouée au CEA au titre du programme 190 est en baisse d'un peu moins de 1 % rapport à 2013, pour s'établir à 515 millions d'euros. Mais il faut aussi prendre en compte les crédits inscrits sur deux autres programmes : le programme 172 « Recherche duale » et le programme 191 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ». Au total, les crédits accordés au CEA en 2014 pour l'ensemble de ses activités civiles, hors le projet international ITER, sont en baisse de 9,7 % par rapport à 2013, pour s'établir à 1,06 milliard d'euros.

Cette baisse des subventions sera d'autant plus difficile à absorber par le CEA qu'il devra faire face en 2014 à un triple choc financier : les conséquences du renforcement de la réglementation nucléaire sur ses installations à la suite de l'accident de Fukushima, dont l'impact financier est estimé à 150 millions d'euros sur cinq ans ; la montée en charge de l'investissement dans le réacteur de recherche Jules Horowitz ; et la multiplication des départs en retraite anticipée pour le personnel spécial -qui travaille en laboratoire chaud, en scaphandre ou à la sécurité. Le renforcement des installations de sécurité consécutif aux intrusions de Greenpeace sur certains sites nucléaires d'EDF, même si le CEA a réussi à repousser les tentatives qui concernaient ses propres sites, aura pour le Commissariat un coût financier estimé à 250 millions d'euros sur cinq ans... Ce qui n'est pas rien !

Dans ce contexte de rigueur, le CEA a réparti sur l'ensemble de ses programmes un effort de maîtrise des dépenses, évalué à 35 millions d'euros pour 2014. Les économies de gestion, déjà engagées depuis plusieurs années, ne suffisent plus. Il faut désormais remettre en cause la programmation scientifique ; certaines installations devront être fermées par anticipation ; des services seront dissous et leur personnel redéployé.

Au titre du programme 190, la quasi-stabilité apparente de la dotation allouée au CEA masque en réalité la forte progression du financement des charges nucléaires de long terme, qui s'accroît de 60 millions d'euros pour atteindre 309 millions d'euros, soit une hausse de 24 %. Les fonds dédiés aux dépenses de démantèlement et d'assainissement des sites nucléaires du CEA sont en effet arrivés à épuisement depuis le mois de février 2012. Un nouveau système de financement a été mis en place l'an dernier, basé sur des ressources mixtes : d'une part, une subvention budgétaire croissante ; d'autre part, le rachat par l'État des actions d'AREVA détenues par le CEA, pour un montant de 214 millions d'euros en 2012, 357 millions en 2013 et 412 millions en 2014.

La totalité des actions d'AREVA mobilisables aura été rachetée en 2015 ; la participation du CEA ne peut pas descendre en dessous de 50 % du capital d'AREVA ; il est important qu'AREVA reste français et contrôlé par un établissement public. En conséquence, le besoin de financement budgétaire de l'activité de démantèlement nucléaire du CEA augmentera brutalement de plusieurs centaines de millions d'euros en 2016 ; il faut le savoir.

L'IRSN est issu de la fusion, en 2002, entre l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et l'Institut de protection et de sûreté nucléaire qui existait au sein du CEA. Il intervient en appui technique des pouvoirs publics et de l'Autorité de sûreté nucléaire, et accomplit en propre une mission de surveillance radiologique. Notre commission a entendu très récemment la nouvelle présidente du conseil d'administration de cet institut.

Son budget, de 301 millions d'euros en 2013, est constitué pour les deux tiers par la dotation provenant du programme 190. Le tiers restant provient, pour moitié, des contributions des exploitants d'installations nucléaires de base, sous forme d'une taxe affectée, et, pour moitié, de prestations commerciales, de cofinancements internationaux et industriels. Les dépenses de l'IRSN se répartissent entre 40 % pour la recherche et 60 % pour l'appui technique et la radioprotection.

La dotation prévue pour l'IRSN en 2014 est présentée en baisse de 20 millions d'euros, soit une diminution de 10 % par rapport à 2013. L'Institut devra donc engager un plan d'efficacité et d'efficience pour comprimer ses moyens généraux, prélever 5 millions d'euros sur son fonds de roulement, différer dans le temps certains programmes de recherche et réduire sa masse salariale. Son plafond d'emplois est abaissé de 36 équivalents temps plein, sur environ 1 700 salariés.

Cette stratégie d'adaptation à la rigueur risque de vite rencontrer ses limites, car les autorités publiques ont, de manière structurelle, des demandes croissantes en matière d'expertise radiologique. L'IRSN a ainsi directement contribué à la mise à niveau générale de la sûreté nucléaire en France, à la suite de l'accident de Fukushima. Or, c'est regrettable, la recherche ne peut pas être la variable d'ajustement du budget de l'Institut, car elle est la clef de la radioprotection et de la sûreté nucléaire de demain.

Héritier de l'Institut français du pétrole créé en 1943, l'IFPEN, établissement public industriel et commercial a pour mission de réaliser des études et des recherches dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement. Il vise à développer les technologies et matériaux du futur, et à les valoriser, notamment en prenant des participations dans des sociétés industrielles ou commerciales. L'IFPEN accompagne également le développement de petites et moyennes entreprises et de petites et moyennes industries dans le cadre d'accords de collaboration.

Pour la troisième année consécutive, l'IFPEN fait partie des cent entreprises les plus innovantes au monde. Avec 176 brevets déposés en 2012, soit 12 % de plus qu'en 2010, l'IFPEN se classe parmi les 11 premiers déposants français. 88 de ces brevets ont concerné les nouvelles technologies de l'énergie : biocarburants, énergies marines, chimie « verte », motorisations alternatives, captage et valorisation du CO2, etc.

L'IFPEN bénéficie d'une dotation budgétaire de l'État rattachée exclusivement à l'action 10 « Recherche dans le domaine de l'énergie » du programme 190. Cette dotation s'élève pour 2014 à 143,6 millions d'euros en autorisations d'engagement, comme en crédits de paiement, soit un montant inférieur de 3 millions d'euros à celui de 2013.

Alors que j'avais salué l'an dernier la décision de stabiliser le montant de la dotation de l'IFPEN, je regrette la baisse de 2 % des crédits qui lui sont alloués pour 2014. Celle-ci pourrait s'avérer d'autant plus dommageable que, dans les faits, la dotation budgétaire de l'IFPEN a été amputée de plus de 10 millions d'euros en 2013, en raison d'un gel en début d'année, puis d'un surgel à l'automne.

Au total, au cours des dix dernières années, le montant de la subvention pour charges de services publics allouée à l'IFPEN a diminué de 34 %, soit de 45 % en euros constants. Cette évolution risque d'aggraver le déficit budgétaire de cet établissement public, récurrent depuis plusieurs années.

Pour 2013, le budget prévisionnel de l'IFPEN fait apparaître une perte de 5,8 millions d'euros, après celle de 1,7 million d'euros en 2012. Ce déficit est principalement le résultat d'une diminution significative des ressources propres de l'établissement.

Comment y faire face ? La stratégie d'augmentation du taux des redevances perçues auprès des filiales commercialisant les procédés, produits et logiciels issus de la recherche menée par l'IFPEN atteint ses limites. Toute nouvelle baisse de la dotation budgétaire de l'IFPEN risque donc de le placer dans une situation extrêmement délicate. Une nouvelle baisse pourrait même se traduire, selon les représentants de l'IFPEN que j'ai rencontrés, par des licenciements, notamment de chercheurs.

Né en 1990 d'une fusion entre le Centre de recherche des charbonnages de France (CERCHAR) et l'Institut de recherche chimique appliquée (IRCHA), l'INERIS a le statut d'établissement public national à caractère industriel et commercial.

Il a pour mission de réaliser ou de faire réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur l'environnement.

Les dotations budgétaires affectées à l'INERIS relèvent non seulement du programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur », mais aussi - et à titre principal - du programme 181 « Prévention des risques » et du programme 174 « Énergies et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Au titre du programme 190, l'INERIS contribue à l'action 11 « Recherche dans le domaine des risques » en réalisant des recherches sur l'évaluation et la prévention des risques technologiques et des pollutions.

Le projet de loi de finances pour 2014 accorde au total 40,3 millions d'euros à l'INERIS, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, dont 6,9 millions au titre du programme 190.

Cela représente une forte diminution de sa dotation budgétaire globale, réduite de 3,2 millions d'euros par rapport à 2013, soit une baisse de 7,3 %. Cette baisse est tout particulièrement marquée s'agissant des crédits alloués au titre du programme 190, qui sont réduits de 17 %. Cette diminution brutale tranche avec la quasi-stabilité de la dotation allouée l'année dernière.

Elle pourrait entraîner un réel déclin des actions de recherche que cet établissement mène au profit de l'État, alors qu'il conduit des projets de recherche d'une importance fondamentale, notamment pour étudier les risques liés à l'exposition aux nanoparticules - on en parlera de plus en plus dans le futur -, aux effets des perturbateurs endocriniens, ou encore à la production et au stockage de l'hydrogène, solution d'avenir, notamment pour la voiture électrique.

L'impression que je retire de mes auditions avec les responsables de ces quatre opérateurs est que ces établissements, qui sont des fleurons de la recherche française et des acteurs majeurs de la transition énergétique et écologique, sont de plus en plus inquiets de la pression budgétaire prolongée à laquelle ils sont soumis, dont ils ne voient pas la fin et qui atteint le coeur de leurs missions. On mesure ici à quel point la crise de la dette publique se répercute sur notre capacité collective à anticiper l'avenir.

Il est dommage d'obérer ainsi l'action que l'on peut, par la recherche, avoir sur le futur. Le levier de développement de la France est l'innovation. En s'en privant, on risque de se laisser devancer par les autres pays européens qui ne sont pas dans la logique vertueuse que nous adoptons vis-à-vis de l'environnement.

Je vous propose en conséquence de rejeter les crédits du programme « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » pour soutenir nos chercheurs et, par cette action symbolique, ne pas insulter notre avenir.

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