Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 6 novembre 2013 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui marquera l’histoire de l’économie sociale et solidaire dans notre pays, car c’est la première fois qu’une loi est consacrée à celle-ci. La commission des affaires sociales a donc souhaité émettre un avis sur ce projet de loi.

Compte tenu de la densité de ce texte, rappelée à l’instant par M. le ministre et par notre collègue rapporteur Marc Daunis, nous avons restreint notre avis aux articles ayant un lien direct ou indirect avec le code du travail, soit une dizaine d’articles au total.

La commission des affaires sociales a adopté la vingtaine d’amendements que je lui ai présentés le 15 octobre dernier. Presque tous ont été adoptés le lendemain par la commission des affaires économiques. Je voudrais rapidement vous en présenter les principaux.

À l’article 7, nous avons ajouté les acteurs du logement et de l’hébergement des personnes défavorisées dans la liste des bénéficiaires de plein droit du nouvel agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ».

Nous avons également porté, à l’article 52, de un à deux ans la période minimale pendant laquelle les entreprises bénéficiant de l’agrément solidaire seront réputées bénéficier de plein droit du nouvel agrément. Ce délai supplémentaire permettra aux entités concernées de s’approprier les dispositions de la nouvelle loi et de modifier leurs statuts sans avoir à convoquer une assemblée générale extraordinaire.

À l’article 9, nous avons rendu obligatoire la conclusion de conventions dans toutes les régions entre les préfets, d’une part, et les maisons de l’emploi et les gestionnaires des plans locaux pour l’insertion et l’emploi, d’autre part, afin de favoriser le recours aux clauses sociales. Ces conventions permettront de repérer les marchés pertinents et les publics à insérer, de guider la rédaction des clauses d’insertion et d’accompagner les entreprises titulaires des lots dans la mise en œuvre des clauses sociales.

La généralisation de ces conventions présente un double intérêt : elle relancera le recours aux clauses sociales pour les marchés publics de l’État, qui accuse un retard certain en la matière ; elle fournira un cadre, sur la base du volontariat, aux grandes collectivités territoriales qui devront mettre en place les schémas de promotion des achats publics socialement responsables prévus, justement, à l’article 9.

Nous avons enfin souhaité sécuriser les dispositions de l’article 33, relatif aux entrepreneurs salariés associés des coopératives d’activité et d’emploi, les CAE. Nées au milieu des années quatre-vingt-dix pour permettre à des porteurs de projets de créer et de développer leurs activités dans un cadre coopératif, autonome et sécurisé, ces coopératives remplissent deux grandes missions : elles accompagnent les entrepreneurs dans la définition et la mise en œuvre de leurs projets ; elles mettent à leur disposition des services mutualisés qui comprennent, notamment, la gestion financière, sociale et administrative. Elles offrent donc une véritable alternative à l’auto-entreprenariat, aux couveuses d’activité et aux sociétés de portage salarial.

Selon la Confédération générale des SCOP, on comptait, au 31 décembre 2012, quatre-vingt-onze entreprises autonomes et quarante-quatre établissements secondaires, qui rassemblaient 5 000 salariés, leur nombre augmentant de 15 % à 20 % par an.

Il s’est toutefois avéré que les critères classiques du contrat de travail ne convenaient pas aux spécificités de ces coopératives, compte tenu de l’absence de lien de subordination entre la direction et les entrepreneurs et des modalités de calcul de la rémunération, fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par ces derniers.

C’est pourquoi l’article 33 crée un nouveau contrat dans le code du travail, distinct du contrat de travail de droit commun, au profit des entrepreneurs salariés associés des coopératives d’activité et d’emploi.

Par souci de lisibilité, nous avons clairement distingué les règles du contrat des entrepreneurs salariés associés de celles qui sont applicables aux entrepreneurs salariés n’étant pas encore devenus associés de la coopérative à l’issue de la période de test de trente-six mois de leurs projets.

Compte tenu du principe d’assimilation présenté à l’article L. 7331-1 du code du travail, nous avons également supprimé les dispositions redondantes pour éviter tout risque d’interprétation a contrario. Le développement de ces coopératives originales pourrait entraîner, toujours selon la Confédération générale des SCOP, plus de 10 000 créations nettes d’emploi dans les cinq années à venir. Avec un cadre juridique ainsi sécurisé, nous donnons tous les moyens à ces coopératives pour se développer.

Trois amendements votés par la commission des affaires sociales n’ont pas été adoptés par la commission des affaires économiques. Compte tenu de l’importance qu’ils revêtent à mes yeux, je les ai présentés à nouveau, mercredi dernier, moyennant quelques adaptations, à la commission, qui les a adoptés. Je voudrais les évoquer brièvement.

Le premier amendement concerne la fourchette des rémunérations dans les entreprises qui demandent à bénéficier du nouvel agrément solidaire prévu à l’article 7. Le texte de la commission des affaires économiques prévoit que la moyenne des sommes versées aux cinq salariés ou dirigeants les mieux rémunérés doit être inférieure à un plafond fixé à sept fois la rémunération annuelle d’un salarié à temps complet qui perçoit le SMIC, ou le salaire minimum de branche si celui-ci est supérieur. Nous avons souhaité maintenir cette disposition, mais en remplaçant la référence au salaire minimum par la moyenne des cinq rémunérations les plus faibles dans l’entité considérée. Nous rendons ainsi le dispositif plus dynamique et vertueux : d’une part, en renforçant l’attractivité du secteur de l’économie sociale et solidaire pour certains profils techniques très recherchés ; d’autre part, en tirant vers le haut les salaires les plus faibles dans l’entité considérée, afin de lutter contre les « trappes à pauvreté ».

Nous aurons l’occasion de débattre de cette question lorsque je présenterai cet amendement ; je m’en réjouis, car nous sommes plus forts quand nous réfléchissons et prenons des décisions collectivement.

Le deuxième amendement porte sur l’information préalable des salariés lors d’une transmission d’entreprise, prévue à l’article 11 du projet de loi. Je rappelle que le dispositif de cet article concerne toutes les entreprises, et pas seulement celles de l’économie sociale et solidaire. La rédaction actuelle du texte ne prévoit aucun délai précis pour l’information préalable des salariés en cas de cession d’un fonds de commerce dans les entreprises employant entre cinquante et deux cent quarante-neuf salariés. Nous avons souhaité, par souci d’efficacité et de simplicité, instaurer un délai de deux mois en cas de carence du comité d’entreprise coïncidant avec une absence de délégués du personnel, en reprenant ainsi la règle prévue pour les entreprises employant moins de cinquante salariés.

Les études de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, montrent en effet qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école puisque, selon une publication datée d’avril 2013, 6 % des établissements de plus de cinquante salariés ne disposaient d’aucune institution représentative du personnel en 2010-2011.

Nous avons également adopté un amendement similaire à l’article 12, concernant les cas de cession des parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les sociétés qui emploient entre cinquante et deux cent quarante-neuf salariés.

Enfin, outre ces trois amendements, la commission des affaires sociales a adopté un amendement à l’article 33, afin de poursuivre la sécurisation du dispositif, en précisant notamment que tous les entrepreneurs salariés, qu’ils soient ou non associés, jouissent des mêmes droits, sont soumis aux mêmes sujétions et doivent être affiliés aux assurances sociales du régime général.

Tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le fruit des travaux de la commission des affaires sociales.

Nous aurons l’occasion, au cours du débat, d’aborder des questions qui dépassent le strict cadre de l’avis de la commission des affaires sociales, mais auxquels nous attachons une grande importance. Je pense, par exemple, à la place des structures d’insertion par l’activité économique dans le projet de loi, ou encore à la définition de l’utilité sociale et de l’innovation sociale. Sur tous ces sujets, vos explications et précisions, monsieur le ministre, sont attendues et permettront de répondre à certaines de nos interrogations, mais surtout à celles des personnes que j’ai pu auditionner.

Je voudrais, pour conclure, rappeler ces mots empreints de sagesse de Léon Bourgeois, prix Nobel de la paix et ancien sénateur, extraits de son ouvrage Solidarité : « la loi de solidarité des actions individuelles finit par apparaître, entre les hommes, […] non comme une nécessité extérieurement et arbitrairement imposée, mais comme une loi d’organisation intérieure à la vie […], un moyen de libération ».

Je souhaite que le développement des associations, des fondations, des mutuelles, des coopératives et des sociétés commerciales relevant du champ de l’économie sociale et solidaire ou aspirant à y entrer permette de promouvoir les valeurs humanistes, la solidarité et la démocratie participative, qui sont parfois mises à mal dans notre société.

Tel est l’objectif de ce projet de loi, que je soutiens avec enthousiasme.

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