Intervention de Alain Anziani

Réunion du 6 novembre 2013 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois :

Nous avons tous appris que, même dans une période de forte croissance, la seule recherche du profit ne permet de satisfaire ni l’ensemble des besoins collectifs ni la demande d’emploi, en particulier dans les zones connaissant de grandes difficultés. Il existe donc un consensus sur la nécessité de se doter de nouveaux outils, parmi lesquels l’économie sociale et solidaire.

Bien sûr, l’économie sociale et solidaire ne résoudra pas à elle seule le problème du chômage, de la désertification de certains territoires et de la désindustrialisation de notre pays. Elle n’est d’ailleurs pas un outil irréprochable ; elle peut encore progresser.

Pourquoi fait-elle cependant consensus ? Selon moi, ce consensus repose non pas sur une idéologie, mais sur l’expérience. Chacun d’entre nous connaît en effet une entreprise de l’économie sociale et solidaire ayant offert une alternative au modèle classique de l’entreprise là où l’on pensait que rien n’était possible.

Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, a une grande ambition. L’économie sociale et solidaire représente une autre façon d’entreprendre, que je vous sais gré d’avoir évoquée en employant des mots de philosophe. Ce faisant, vous avez placé le débat au niveau où il doit se situer.

Entreprendre sans recherche du lucre : dans le monde actuel, voilà une grande audace, que nous approuvons avec enthousiasme !

Votre texte présente un autre mérite, celui d’apporter des réponses concrètes aux questions suivantes : comment mieux définir les entreprises de l’économie sociale et solidaire ? Comment faciliter leur création ? Comment améliorer leur financement et assurer leur pérennité ?

Quant aux réflexions formulées par la commission des lois, elles pourraient se résumer en une seule interrogation : comment favoriser le développement de l’économie sociale et solidaire ?

Le projet de loi traite cette question sous plusieurs angles : la définition de l’économie sociale et solidaire – comme l’a dit M. le rapporteur, il était temps d’en donner une –, le financement public, l’accès aux marchés publics et, plus globalement, la dynamique de l’entreprise.

Le financement public peut prendre différentes formes. Sur ce point, comme sur d’autres, l’étude d’impact me paraît d’excellente qualité.

La première forme de financement public est la subvention publique, laquelle est devenue un objet juridique dangereux, pour une raison très simple : il est parfois difficile de la distinguer du marché public lui-même. Un juge peut ainsi requalifier une subvention publique en un acte qui aurait dû relever d’un marché ou d’une délégation de service public. Lorsque cela se produit, c’est la catastrophe, car l’entreprise doit alors rembourser les sommes perçues, ce qui peut la conduire à la faillite ou à la liquidation judiciaire. Il était donc grand temps de sécuriser la notion de subvention, en lui donnant pour la première fois une définition, que la commission des lois propose de simplifier.

En matière de financement public, l’accès aux marchés publics constitue un deuxième volet. Aujourd’hui, seulement 5 % des marchés publics des collectivités territoriales et 2, 5 % de ceux de l’État comportent une clause d’insertion : nous sommes très loin des objectifs que nous cherchons à atteindre !

Au travers du schéma de promotion des achats publics socialement responsables, le présent texte nous invite, dans un esprit de pragmatisme, à une prise de conscience. Il vise à provoquer un débat, et non à imposer. Il s’agit d’un choix excellent, qui aura des vertus pédagogiques, mais il faudra peut-être, un jour, aller plus loin.

La commission des lois propose, quant à elle, de retenir, pour l’application obligatoire de ce schéma, un seuil démographique, et non de montant annuel d’achats. Ce seuil démographique reste à préciser, mais ce serait plus clair.

J’ajouterai que si les collectivités territoriales sont invitées à passer davantage de marchés publics comportant des clauses d’insertion, l’État, qui recourt deux fois moins qu’elles à ces dernières, doit aussi consentir un effort de ce point de vue. Je sais que tel est votre souhait, monsieur le ministre.

Le troisième point, en matière de financement public, a trait à cette idée remarquable de transposer à l’économie sociale et solidaire ce qui marche bien dans l’économie classique, en créant, à l’image des sociétés d’amorçage, des SCOP d’amorçage, avec des règles souples devant faciliter l’apport de capitaux.

Il est une autre façon de favoriser ce développement, qui consiste à donner aux salariés la possibilité de reprendre leur entreprise en cas de cession.

Sur ce point, je vais vous faire part de l’avis non pas unanime, mais majoritaire, de la commission des lois.

Je trouve, pour ma part, qu’il y a trop de discussions sur la question du droit prioritaire des salariés à l’information. Pourquoi le simple fait d’accorder aux salariés une priorité d’information fait-il autant débat ? Ne dramatisons pas les choses !

Prenons l’exemple, très concret, d’un boulanger qui part à la retraite : il en informe ses salariés, qui ont deux mois pour décider ou non de reprendre l’entreprise. Pense-t-on vraiment que, pendant ce délai, les banquiers vont refuser leur aide, les fournisseurs se désengager et les clients aller voir ailleurs ?

Je rappellerai d’abord que s’applique en principe une clause de discrétion. On nous objectera sans doute qu’elle ne sera pas respectée, mais je ferai tout de même observer qu’une telle clause s’impose déjà en cas de cession d’entreprise, sans que l’on constate de débordements particuliers ou d’effets pervers en termes de divulgation de l’information donnée au comité d’entreprise. Il faut, je crois, se fonder sur cette expérience.

En la matière, nous devons faire confiance, me semble-t-il, aux règles bien connues de l’économie de marché. Ce qui déterminera l’attitude d’un repreneur, d’un banquier ou d’un fournisseur, ce sera non pas l’information préalable donnée aux salariés, mais l’état financier, économique et social de l’entreprise. Si la situation de l’entreprise est bonne, les banquiers, les fournisseurs et les clients ne lui tourneront pas le dos. Revenons donc aux règles de l’économie de marché, qui doivent permettre – paradoxalement, peut-être ! – de répondre aux inquiétudes exprimées ici ou là.

À l’inverse, doit-on aller plus loin et créer un droit préférentiel de rachat de l’entreprise par les salariés ? J’attire l’attention sur un point : comment justifier juridiquement qu’une offre de reprise puisse s’imposer au propriétaire de l’entreprise, qui se trouvera alors privé de tout choix ? Comment, d’ailleurs, mettre en œuvre un tel droit préférentiel ? Par exemple, le montant de l’offre des salariés devra-t-il être aligné sur celui de l’offre la plus élevée présentée par des repreneurs extérieurs à l’entreprise ? Si oui, nous voyons quel mauvais cadeau pourrait être fait aux salariés ; si non, nous serons confrontés à une difficile question de constitutionnalité. Nous nous heurterions alors, en effet, au droit de propriété et surtout au principe de liberté contractuelle, que le Conseil constitutionnel a invoqué dans son arrêt du 13 juin 2013.

Reste que le présent texte peut être amélioré. La commission des lois souhaiterait notamment que le délai d’information de deux mois s’applique également aux entreprises de plus de cinquante salariés.

Je tiens à saluer la partie du projet de loi relative au droit associatif. Elle apporte des précisions très utiles et offre aux associations davantage de possibilités pour acquérir, administrer et, parfois, vendre des biens et des immeubles. C’est là une perspective tout à fait intéressante. La commission des lois a approuvé l’ensemble de ces dispositions. §

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