Intervention de Gérard César

Réunion du 6 novembre 2013 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Gérard CésarGérard César :

En ce qui concerne la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire, le projet de loi s’adresse directement à l’économie des services à la personne. Nous admettons sans réserve que ce secteur d’activité mérite la réflexion que nous allons lui consacrer. Nous connaissons tous les chiffres : 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, près de deux millions de salariés. Surtout, ce secteur est idéal pour lutter contre le chômage de longue durée en s’adressant aux populations les plus sensibles. En effet, nous le savons, 82 % des employés du secteur n’ont pas le bac et 40 % des salariés déclarent qu’ils n’avaient pas d’emploi auparavant.

Mieux encore, les effectifs salariés ont progressé en 2011 de 16 %. Ce secteur est effectivement un réservoir d’emplois et de croissance. La situation du secteur des services à la personne est donc la suivante : une offre en pleine croissance, mais la croissance de cette offre ne saurait couvrir totalement la croissance de la demande.

Des occasions sans précédent s’offrent à notre économie. Il convient donc de stimuler l’offre en matière de services à la personne. Malheureusement, si l’on regarde dans le détail les dispositions déterminant le champ de l’économie sociale et solidaire, j’en viens à me demander si votre cadeau, monsieur le ministre, n’est pas empoisonné. Pour rappel, ces dispositions qui permettent à une entreprise ou à une association d’intégrer l’économie sociale et solidaire sont primordiales, car elles rendent éligibles aux prêts de la Banque publique d’investissement et détermineront ultérieurement l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », celui-là même qui rend éligible aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME » et « Madelin ».

Si nous ne nous opposons pas, par principe, à votre dispositif de soutien fiscal rendu possible par l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », en revanche, nous nous opposons fermement aux conditions d’obtention de cet agrément ainsi qu’aux conditions d’intégration dans l’économie sociale et solidaire.

Que dit l’article 1er sur ces conditions d’intégration ? Il dispose que les sociétés commerciales souhaitant intégrer l’économie sociale et solidaire doivent prévoir le prélèvement d’une fraction au moins égale à 15 % des bénéfices affecté à la formation d’un fonds de réserve dit « réserve statutaire », le prélèvement d’une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires et, enfin, l’interdiction du rachat par la société d’actions ou de parts sociales. En plus de ces restrictions propres aux sociétés commerciales, ces dernières devront viser un but « autre que le seul partage des bénéfices », exigence vague et surtout invérifiable.

Quel est le but de ces restrictions ? Sans doute empêcher que les groupes les plus importants entrent dans le champ de l’économie sociale et solidaire et puissent bénéficier du soutien fiscal. Nous comprenons votre inquiétude, mais la rédaction de l’article 1er est comme un filet aux mailles trop étroites qui empêchera l’immense majorité des entreprises commerciales du secteur d’intégrer l’économie sociale et solidaire.

Quelles sont ces entreprises ? C’est très simple : 65 % des entreprises évoluant dans le secteur des services à la personne comptent moins de cinq salariés. Or même ces très petites entreprises seront prises dans les mailles de votre filet. Par exemple, même un auto-entrepreneur, qui n’est pourtant pas un danger pour les acteurs non commerciaux du secteur, ne pourra pas entrer dans l’économie sociale et solidaire du fait de ces exigences irréalistes. Par comparaison, les réserves légales d’une entreprise, seules réserves obligatoires par défaut pour une entreprise, s’élèvent à 5 % du bénéfice de l’exercice, diminué de l’éventuel report à nouveau débiteur. Nous sommes bien loin des exigences gouvernementales pour entrer dans l’économie sociale et solidaire.

Que dit l’article 7 sur l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » ? Il faut pour cela que l’entreprise fasse la preuve que « la charge induite par son objectif d’utilité sociale affecte de manière significative [son] compte de résultat ou [sa] rentabilité financière ».

Cette disposition me paraît pour le moins incertaine. En effet, selon que l’on a une conception étroite ou souple de l’impact financier de ces charges, l’essentiel des sociétés commerciales du secteur pourront être soit exclues du dispositif, soit intégrées.

Aussi, l’addition des dispositions visées à l’article 1er et de celles qui sont visées à l’article 7 conduira à exclure la majorité des entreprises du secteur des services à la personne de l’économie sociale et solidaire et de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Pour remédier à cette lacune, le groupe UMP présentera des amendements qui auront pour objet d’assurer l’intégration des sociétés commerciales du secteur dans ce dispositif, auquel elles peuvent légitimement prétendre.

Pourquoi soutenons-nous cette position ? Tout simplement parce que le projet de loi, s’il venait à être adopté en l’état, créerait une distorsion de concurrence au détriment des sociétés commerciales évoluant dans le secteur des services à la personne. Celles-ci seront privées du soutien fiscal dont leurs principaux concurrents, associations ou organismes d’insertion, pourront bénéficier. Or ces petites sociétés commerciales n’ont pas les moyens d’évoluer sur le même marché que des agents économiques, sans but lucratif certes, mais qui bénéficient d’avantages fiscaux importants.

Autre point de ce projet de loi, qui soulève de vives interrogations : le droit d’information des salariés.

Les articles 11 et 12 créent un droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine. Quelle est la finalité de ces dispositions ? L’exposé des motifs explique qu’il s’agit de « préserver la viabilité de l’entreprise et [d’]assurer la pérennité de l’activité et de l’emploi ». Vous expliquez également que ce nouvel outil doit permettre le recours aux sociétés coopératives et participatives. Cependant, il nous semble que ce dispositif est assis sur un mécanisme dont les contours sont encore très incertains. En effet, l’article 11 dispose que « la cession d’un fonds de commerce par son propriétaire ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de son intention de vendre » – des amendements ont été présentés en commission visant à relever ce délai à trois mois, six mois, un an, etc.

Vous l’aurez compris, nous sommes, dans le meilleur des cas, dubitatifs à l’endroit de cette disposition, notamment en ce qui concerne l’utilisation de l’expression « intention de vendre ». Le terme « intention » nous semble source de profondes confusions. Il n’est pas question ici d’une démarche proactive de recherche de repreneurs qui peut se manifester formellement, mais il est simplement question d’intention. Or je ne vois pas quel acte formel peut être rattaché à l’intention de vendre. Soit il s’agit d’une décision, et dans ce cas l’arsenal législatif existe déjà, soit il s’agit d’une interrogation, et dans ce cas les questionnements des propriétaires n’ont pas vocation à être publics.

Dans un souci de bien faire, le projet de loi prévoit que « les salariés sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations communiquées ». Si la précaution me semble bienvenue, je ne vois pas comment elle pourrait s’appliquer concrètement.

Autre source d’inquiétude, la baisse d’attractivité que cette disposition entraînera. Ces petites entreprises, souvent intégrées à un tissu économique complexe, seront exposées à des tentatives de déstabilisation. Mais, au-delà de ce risque direct, le droit d’information rendra la reprise de nos entreprises moins attractive pour les repreneurs étrangers, qui, dans leur grande majorité, soutiennent un vrai projet industriel.

Ensuite vient la question de l’offre de rachat que les salariés peuvent présenter une fois l’intention de vendre communiquée. Nous ne pouvons que regretter que le texte ne prévoie pas de dispositions visant à prévenir tout risque de proposition de rachat qui viserait uniquement à ralentir d’éventuelles cessions.

Aussi, nous estimons que ce droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine est superflu, dans le meilleur des cas, voire dangereux pour la viabilité d’une activité économique en exacerbant les craintes des salariés, même si celles-ci sont justifiées.

En ce qui concerne le reste du projet de loi, nous admettons que nombre de dispositions que vous introduisez relèvent du bon sens, monsieur le ministre. Vous le voyez, certains de ses aspects peuvent être positifs ! Il y est en effet question de sécuriser juridiquement et de simplifier la vie des acteurs de l’économie sociale et solidaire, entreprises, associations, coopératives, assureurs.

Permettre aux coopératives exploitées sous forme de société anonyme ou de société à responsabilité limitée de bénéficier du statut de société par actions simplifiée, permettre la constitution d’une coopérative sous forme de SARL à capital variable entre au moins quatre associés et assouplir le régime des SCOP : nous souscrivons à la majorité de ces dispositions.

Malheureusement, les griefs que nous formulons quant à la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire, qui servira de base à l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » et aux dispositions afférentes au droit d’information des salariés, nous semblent insurmontables pour que nous puissions voter favorablement ce projet de loi. Plus inquiétant encore, ce texte témoigne de la défiance du Gouvernement à l’endroit du monde de l’entreprise. Une chose est certaine : on ne peut pas stimuler la croissance d’un secteur d’activité comme celle de l’économie tout entière en ignorant ostensiblement le monde de l’entreprise ou, pis encore, en faisant croire qu’il est le problème et non la solution.

Pour conclure mon intervention, j’ajoute que ce n’est pas en complexifiant les reprises d’entreprises que l’on protégera leurs employés. Nos 3, 3 millions de chômeurs attendent autre chose qu’un surplus de pesanteur législative.

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