Intervention de Élisabeth Lamure

Réunion du 6 novembre 2013 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure :

Ces deux sujets sont suffisamment vastes pour mériter d’être examinés de façon distincte.

Sur le fond, comme mon collègue Gérard César, je m’arrêterai sur la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire qui figure à l’article 1er, sur l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » prévu par l’article 7, ainsi que sur les articles 11 et 12 concernant le droit d’information des salariés.

Monsieur le ministre, ma principale préoccupation porte sur la place réservée aux sociétés commerciales dans votre nomenclature. Naturellement, vous faites entrer dans celle-ci de nombreux acteurs non commerciaux, qui y ont toute leur place compte tenu de la part qu’ils occupent dans le secteur de l’économie sociale et solidaire et de leur expérience, mais qu’en est-il des entreprises ?

Eh bien, que ce soit avec l’article 1er, qui prévoit le prélèvement d’une fraction au moins égale à 50 % du bénéfice de l’exercice, ou avec l’article 7, qui prévoit que la charge induite par son objectif d’utilité sociale affecte de manière significative le compte de résultat ou la rentabilité financière de l’entreprise, il semble bien que la majorité des entreprises ne pourront pas prétendre à intégrer l’économie sociale et solidaire ni même à bénéficier de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ».

Je crois que cela vous a été dit pendant l’élaboration du projet de loi : vous consacrez une définition de l’économie sociale et solidaire beaucoup plus stricte que celle souhaitée par de nombreux acteurs. Par comparaison, si l’on reprend la définition de l’entrepreneuriat social présentée à la fin de 2011 par la Commission européenne lors de l’initiative pour l’entrepreneuriat social, on voit bien que la définition du caractère social d’une entreprise, au niveau européen, n’exclut pas d’emblée l’essentiel des entreprises des secteurs de l’aide à la personne ou en lien avec l’environnement. Pourtant, la définition de la Commission n’est pas si éloignée de la vôtre, puisqu’elle prévoit que ces entreprises ont pour « principal objectif […] d’avoir une incidence sociale plutôt que de générer du profit pour ses propriétaires ou ses partenaires ». Simplement, la Commission n’envisage pas de prélèvement sur les bénéfices ou de réserves obligatoires aussi imposantes que celles prévus par le texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen.

Toujours dans le but de montrer la singularité de la définition française de l’économie sociale et solidaire, je note que l’OCDE plaide en faveur d’un dépassement de l’opposition classique entre profit et utilité sociale. Cette volonté de ne pas opposer dimension sociale et rentabilité se retrouve également dans la définition de l’entrepreneuriat social proposée par le Centre d’analyse stratégique, qui explique que « les entrepreneurs sociaux cherchent à conjuguer efficacité économique et finalité sociale ».

Ces précisions, ces définitions doivent retenir notre attention, car c’est d’elles dont va dépendre l’essor de ces secteurs d’activité socialement utiles. À cet égard, mon inquiétude porte sur les entreprises évoluant dans le secteur des services à la personne. Chacun sait que ce secteur est un important vivier d’emplois, sous-exploité en France. Or il est l’objet d’un paradoxe qui doit tous nous interpeller : tandis que la demande de services ne fait que croître, nous assistons dans le même temps à une diminution de l’offre. Pour preuve, nous constatons une baisse du volume d’heures déclarées, avec un passage certain vers le travail dissimulé. Ce fait montre que, contrairement aux craintes exprimées par certains, il n’y a pas de lien de causalité entre la progression du privé et la baisse d’activité des associations, puisque ces deux types d’acteurs peuvent voir leur activité ou diminuer ou progresser dans le même temps.

Il ne faut pas que le projet de loi laisse croire que l’essor des sociétés commerciales nuira au développement du secteur associatif. Intégrer les entreprises au dispositif, ce n’est pas le dénaturer. C’est au contraire lui permettre d’acquérir une autre dimension.

Que vous aidiez le monde associatif sans fixer de conditions, à la rigueur… Mais pourquoi empêcher les entreprises, le plus souvent très petites et donc plutôt précarisées, d’apporter leur pierre à votre édifice ?

Monsieur le ministre, vous partez du postulat que le droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine permettra de prévenir les démontages d’usines et autres dépeçages d’entreprises. Si la cause est louable, cette disposition me paraît à la fois risquée et pour le moins injuste.

Premièrement, cette mesure est risquée, car, malgré les précautions que vous introduisez quant au devoir de confidentialité, il ne s’agit que de précautions, et elles ne tiendront pas.

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