Intervention de François Patriat

Réunion du 6 novembre 2013 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Article 1er

Photo de François PatriatFrançois Patriat :

Je souscris bien sûr à l’ensemble des propos tenus par mes collègues sur les bienfaits de l’économie sociale et solidaire. Reste que, à mes yeux, ce projet de loi pose un problème d’équité.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré vouloir éviter que des entreprises d’insertion sous statut commercial, qui seraient trop souvent des filiales de grands groupes, puissent bénéficier de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », ou ESUS, dans l’objectif de sécuriser l’utilisation des fonds de la finance solidaire.

Je comprends cette intention, elle est louable. Elle conduit cependant, en raison de trois contre-exemples, à légiférer pour l’ensemble des 1 260 entreprises d’insertion du territoire et de leurs 65 000 salariés à travers le prisme de quelques exceptions, représentant au maximum 2, 5 % des entreprises. Nous remarquerons que cette proportion marginale met fin au doute sur l’éventuelle aubaine que représenterait ce modèle d’entreprise pour de grands groupes guettant çà et là des opportunités.

À l’article 1er, vous avez choisi de définir le périmètre de l’économie sociale et solidaire sur des critères propres aux acteurs statutaires, dits historiques, de l’économie sociale et solidaire que sont les coopératives, les mutuelles, les fondations et les associations, sans considération pour la spécificité et le poids historique, sinon numéraire, de l’insertion par l’activité économique, ou IAE. Les acteurs de l’insertion, qui, depuis trente ans, salarient et accompagnent vers l’emploi des personnes qui en sont éloignées, nourrissent le sentiment que leur appartenance engagée à l’économie sociale et solidaire et la spécificité de leur modèle n’ont pas été prises en compte dans le projet de loi.

Les amendements que je vous propose visent à pallier cet oubli en soumettant les acteurs de l’IAE conventionnés par l’État pour leur mission d’insertion aux mêmes conditions que les autres acteurs historiques que sont les coopératives, les mutuelles, les fondations ou les associations. En effet, les entreprises d’insertion et les entreprises de travail temporaire d’insertion, les ETTI, dont plusieurs centaines en France sont constituées sous forme de sociétés commerciales, seraient exclues de l’agrément ESUS non parce qu’elles font mal leur travail, ou parce que leur activité ne répond pas à la définition de la solidarité, mais parce qu’elles n’ont pas la bonne couleur juridique. Cela fait pourtant vingt-cinq ans que les entreprises d’insertion sont des entreprises solidaires, ainsi que l’indique le code du travail.

Ce refus d’intégrer de droit dans le périmètre de l’économie sociale et solidaire ces entreprises, déjà agréées comme entreprises solidaires, au prétexte qu’elles ont un statut commercial, persiste. Pour rester entreprises solidaires, monsieur le ministre, ces entreprises devraient accepter des conditions d’encadrement administratif de leur fonctionnement. Il leur serait, par exemple, impossible d’acquérir des parts sociales ou des actions d’une autre société. Quel investisseur privé acceptera de créer une entreprise d’insertion dans de telles conditions ?

Il n’y aura plus de place pour les PME du secteur marchand dans l’insertion par l’activité économique. En conséquence, il restera trois types d’entreprises solidaires dans ce secteur : celles qui sont capitalisées par l’argent public via des associations, celles qui sont capitalisées par de grandes entreprises, directement ou par le biais de leurs fondations, ces dernières réalisant alors des opérations de mécénat et de communication, et les coopératives.

Le fil conducteur de la loi, qui consiste à définir la notion de « solidarité » ou de « social » en se reposant sur la forme juridique des structures plutôt que sur la nature et la qualité de leur travail, aboutit à des situations ubuesques. Ainsi, les banques mutualistes, la Caisse d’épargne, le Crédit agricole ou la Banque populaire, seront de droit et sans autres conditions des structures de l’économie sociale et solidaire. Il y va de même pour toutes les mutuelles, les grandes coopératives et les associations. Un club d’investissement en bourse entrera donc de droit dans ce périmètre, mais pas une entreprise d’insertion sous forme de société commerciale installée dans une zone urbaine sensible.

Pourtant, les entreprises de travail temporaire d’insertion sous forme commerciale, que l’on rejette du premier périmètre de l’économie sociale et solidaire, n’ont pas la même réalité économique et financière que les mammouths de l’économie sociale et solidaire qui figurent dans ce périmètre. Je vous rappelle quelques-unes des rémunérations annuelles de ces patrons de l’économie sociale pour 2011 : à la MAIF, 350 000 euros ; à la MACIF, 370 000 euros ; à la Caisse d’épargne, 691 000 euros ; à la CNP, 1 million d’euros.

Les PME commerciales de l’insertion par l’économique, qui ne sont pas envieuses de la rémunération des autres acteurs de l’économie sociale et solidaire, ne demandent rien d’autre que la reconnaissance de leur action solidaire, en étant intégrées de droit dans le périmètre, d’autant que, en vertu de la loi, elles sont déjà conventionnées par l’État au titre de l’insertion par l’économique et qu’elles étaient historiquement des entreprises solidaires, conformément au code du travail.

Dans un monde aussi complexe, on ne saurait se satisfaire d’une nouvelle maxime selon laquelle « l’habit fait le moine » pour définir ce qui relève de l’action sociale et solidaire. En un mot, les ETTI ne veulent entrer dans l’économie sociale et solidaire non par la filière, mais par la gouvernance parce que leur histoire et leur action montrent qu’elles peuvent y adhérer.

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