Je vous invite à comprendre le sens de notre démarche : les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont un modèle particulier ; leur spécificité est de s’obliger à mettre une partie de leurs bénéfices en réserve impartageable. L’objectif est de privilégier la consolidation de l’entreprise elle-même sur la rémunération du capital. Cela ne rend pas pour autant mauvais un autre modèle d’entreprise, qui privilégierait la remontée de dividendes et la rémunération des actionnaires. Je le répète, nous ne portons pas de jugement moral sur les uns et les autres.
N’allez pas nous prêter un jugement moral là où nous commentons des modes d’entreprenariat auxquels nous reconnaissons des vertus différentes ! En l’occurrence, la principale vertu des entreprises de l’ESS, c’est d’avoir une espérance de vie plus longue que celle d’autres entreprises de même taille, implantées sur les mêmes marchés dans un secteur concurrentiel.
Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est une étude du Trésor comparant les entreprises transmises aux salariés à celles qui sont transmises à un tiers. Quand une entreprise est transmise à ses salariés, au bout de cinq ans, dans 75 % des cas, elle est toujours en vie – c’est ce qu’avait dit tout à l’heure le président Mézard. Cette statistique tombe à 60 % quand l’entreprise est transmise à un tiers.
En effet, il arrive qu’un tiers repreneur s’intéresse aux brevets, au savoir-faire, au capital et cherche à faire une plus-value. Les salariés auxquels l’entreprise est transmise se préoccupent quant à eux, assez logiquement, du maintien de leur emploi. C’est la raison pour laquelle nous voulons développer ce modèle, qui nous paraît intéressant.
Cela m’amène à évoquer la notion de personne morale dans sa définition pleine et entière. La personne morale est une entité qui survit au chef d’entreprise. Or le sort de bien des entreprises est aujourd’hui lié à celui du chef d’entreprise. Et ce qui nous intéresse, nous, dans le modèle des entreprises de l’ESS, c’est la primauté de la personne morale sur le propriétaire du capital.
C’est en ce sens que le débat que nous avons sur la mise en réserve impartageable est intéressant, même si ma position diffère de celle de Marie-Noëlle Lienemann ou de celle de Jean-Claude Requier. Je pense que le seuil de 15 % que nous avons retenu dans le texte, qui est celui des entreprises coopératives, est le bon. Nous pouvons, sur l’initiative du rapporteur et de M. Le Cam, élever quelque peu les seuils, mais il faut tout de même rester dans des étiages raisonnables au regard des enjeux économiques auxquels sont confrontées ces entreprises de l’ESS, comme leurs concurrentes.
Lors de mes discussions avec des représentants d’organisations patronales, j’ai été très frappé et surpris de voir que certains de mes interlocuteurs sont des permanents syndicaux, qui n’ont jamais dirigé une entreprise !