En effet, indépendamment de l’intention initiale, cet article nous paraît aussi injuste pour les propriétaires qu’inefficace pour les salariés désireux de reprendre leur entreprise.
Tout d’abord, l’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine est superflue.
Ainsi, vous le savez, mes chers collègues, les entreprises de plus de cinquante salariés doivent d’ores et déjà consulter le comité d’entreprise dans un certain délai dès qu’un projet de cession est formalisé. Dans ce cas de figure, l’information des salariés est donc assurée par le comité d’entreprise, qui est le plus à même de déterminer les éléments qui doivent être communiqués à l’ensemble des employés.
Quant aux entreprises de moins de cinquante salariés, la valeur ajoutée de la disposition qui nous est proposée ne nous semble pas flagrante. En effet, la proximité entre propriétaires et salariés ou entre propriétaires et gestionnaires, inhérente à ce type d’entreprise, garantit de manière naturelle l’information des salariés.
Les patrons de ces petites entreprises, qui ont créé une activité florissante, souvent à partir de rien, n’ont aucun intérêt, ne serait-ce que sur le plan humain, à vendre le fruit de décennies d’effort au premier venu qui conduira peut-être à la perte son ancienne entreprise.
Dans les faits, comment les cessions se déroulent-elles aujourd’hui ? Les chefs d’entreprise sélectionnent l’offre la plus sérieuse, c’est-à-dire le candidat qui a une expérience de l’entreprise et, si possible, une surface financière importante. Au cours de cette démarche, les chefs d’entreprise se tournent le plus souvent d’abord vers leurs salariés, voire leurs anciens salariés.
Le second grief que je formulerai à l’encontre de l’article 11 tient à la nuisance que la mesure prévue occasionnera durant les cessions.
Restons dans le cas des entreprises de moins de cinquante salariés. L’information, outre qu’inutile, sera nuisible.
En effet, au moment de céder son entreprise, un patron peut très bien avoir identifié un repreneur privilégié parmi ses salariés. Personne n’est plus capable que le chef d’entreprise de savoir lequel de ses employés pourra assumer cette nouvelle charge.
Or les négociations entre le propriétaire et le ou les salariés concernés doivent se dérouler dans la discrétion, notamment vis-à-vis des autres salariés qui ne seront pas associés à la reprise.
Dans une telle situation, l’information des salariés créera des tensions entre les candidats et nuira aux projets de reprise, notamment aux projets internes à l’entreprise.
Inéluctablement, les risques de divulgation de la cession vont augmenter avec le délai incompressible de deux mois qui est prévu. Je me demande d’ailleurs si cette disposition n’a pas cette finalité ; en tout cas, elle sera utilisée de la sorte.
Par ailleurs, si certains pensent que la transparence en matière de cession d’entreprise est facteur de préservation d’activité économique et d’emplois, je les invite à consulter les principaux intéressés : les chefs d’entreprise. Parce qu’ils ne pourront préparer la cession dans la confidentialité, préalable indispensable à la recherche de repreneurs, ils retarderont leurs démarches, au risque de ne pas trouver de repreneurs.
De plus, cette information contribuera à installer un climat anxiogène, aussi bien chez les salariés, que chez les associés.
Qu’adviendra-t-il lorsque l’intention de vente se soldera par un échec car aucun repreneur ne se sera manifesté ? De telles situations seront de plus en plus nombreuses en raison du caractère prématuré de l’annonce de la vente. Par conséquent, l’information conduira purement et simplement à faire avorter toute possibilité de transaction.
Mais indépendamment des problèmes inhérents à la reprise, l’information des salariés, eu égard au risque de divulgation qu’elle entraîne, créera une inquiétude tant chez les clients qui hésiteront à passer commande, que chez les fournisseurs qui limiteront leur crédit.
En d’autres termes, cette information préalable des salariés sera facteur d’une grande insécurité et ne profitera à personne.
Si elle part d’une bonne intention, elle semble se faire en méconnaissance de la vie des entreprises, qui inévitablement en seront les victimes.