Intervention de Jean Desessard

Réunion du 13 novembre 2013 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2014 — Article 12 ter nouveau priorité

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

… Aline Archimbaud défendra tout à l'heure l’amendement de suppression de l’article 12 ter que nous aussi avons déposé.

Cet article, issu d’un amendement du Gouvernement déposé à l’Assemblée nationale, réintroduit, de fait, les clauses de désignation dont nous avons discuté lors de l’examen du projet de loi transposant l’ANI de janvier 2013.

Je souhaite m’attarder quelques instants sur un argument souvent évoqué pour justifier cette disposition : celui de la mutualisation. Il a en effet été argué à de multiples reprises, y compris par le Gouvernement, pendant la discussion du projet de loi en question, que la mutualisation des risques serait plus importante à l’échelle de la branche, ce qui justifierait la clause de désignation.

Rappelons d’abord que le simple fait de généraliser la complémentaire santé pour les salariés exclut de fait les autres. En effet, les salariés ne souscriront désormais plus de contrats individuels et les organismes d’assurance seront donc contraints de ne mutualiser leur portefeuille de contrats individuels que sur le reste de la population, qui présente statistiquement plus de risques.

Ces personnes, à savoir les inactifs, les chômeurs, les étudiants et les retraités, verront donc leurs cotisations augmenter s’ils décident de souscrire une complémentaire à titre individuel, alors même qu’ils n’ont par définition aucune entreprise pour prendre en charge une partie de leurs cotisations.

Intéressons-nous maintenant à l’effet des accords de branche. Le besoin de mutualisation en santé est très particulier et ne correspond pas aux besoins habituels connus en technique d’assurance, par exemple en matière de prévoyance : en l’espèce, le risque de décès ou celui d’invalidité, lourds à couvrir, présentent une faible occurrence, de l’ordre de 2 à 3 cas pour 1 000 personnes. En santé, ces mêmes 1 000 personnes couvertes engendreront 15 000, voire 20 000 événements de coût modéré à garantir annuellement – recours à des médecins à plusieurs reprises pendant l’année, dépenses de pharmacie, auxiliaires médicaux, etc. –, sans oublier les gros risques comme l’hospitalisation, fort heureusement beaucoup moins fréquents.

Le risque de santé est donc un risque de court terme, à montants limités et de forte fréquence. Il en résulte qu’il est aisément maîtrisable et ne nécessite que peu d’assurés pour être garanti : les actuaires estiment que le seuil à partir duquel le risque santé est mutualisé est de l’ordre de la centaine d’assurés.

C’est d’ailleurs aussi le raisonnement que tient l’administration fiscale. En effet, pour que les risques soient réellement garantis, les organismes d’assurance sont soumis à des règles prudentielles : il leur est imposé de constituer des provisions d’égalisation, c’est-à-dire des provisions faites pour assurer le bon paiement des engagements, qui sont fonction du nombre d’assurés. Le niveau des provisions demandées est, bien sûr, d’autant plus faible que les populations assurées sont importantes, c’est-à-dire que la mutualisation est jugée plus solide. Par exemple, la dernière tranche reconnue par l’administration pour un contrat prévoyance est fixée à 500 000 personnes.

Dans le domaine de la santé, en revanche, aucun seuil n’a été retenu. La qualité de la mutualisation en santé dépend non pas du nombre d’assurés, mais de leur profil. Les besoins de mutualisation en la matière ne sont que de deux ordres : d’ordre intergénérationnel – il s’agit d’assurer une solidarité entre les plus jeunes et les plus âgés – et d’ordre interprofessionnel – les risques ne doivent pas porter sur des populations homogènes, de sorte qu’ils soient répartis entre des groupes présentant des profils de consommation de soins différents.

Ces deux mutualisations, et notamment la seconde, sont en réalité bien mieux garanties par une mutualisation transversale, interbranches, que par une mutualisation de branche, le plus souvent homogène. Il existe en effet un risque systémique à concentrer les risques de branche sur un même organisme assureur, par exemple dans le cas où surviendraient des pathologies de branche, telles celles liées à l’amiante, pathologies qu’il convient évidemment de prévenir.

En outre, la mutualisation par branche génère d’importantes inégalités, les branches étant plus ou moins riches.

Cette segmentation des risques et des revenus peut même être vue comme un détournement de la mutualisation, d’autant que les branches à hauts revenus ne sont généralement pas celles qui présentent les risques les plus élevés. Les hauts revenus ne payeront donc plus les risques supérieurs des plus pauvres.

Par conséquent, il me semble que l’argument d’une meilleure mutualisation est non seulement infondé, mais socialement dangereux.

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